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Basile Guissou : « L’histoire, ce n’est pas comme des tranches de saucisson »

Publié le jeudi 20 septembre 2007 à 08h02min

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Basile Guissou

Aujourd’hui Délégué Général du Centre National de la Recherche Scientifique et Technologique (CNRST), le Pr Basile Guissou a été Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération sous le Conseil National de la Révolution (CNR). Il y a passé quatre ans : de 1984 à 1987. C’est sous cette casquette qu’il jette un regard sur l’évolution de la diplomatie burkinabè.

Lefaso.net : Vous avez été ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération entre 1984 et 1987.Que retenez vous de votre passage à la tête de ce ministère et quels étaient concrètement les axes majeurs de la diplomatie burkinabè à cette époque ?

Basile Guissou : Disons que le Burkina Faso revenait de loin dans la mesure où nous avons toujours été campés comme le petit pays pauvre, enclavé, toujours affamé qui ne vivait que de l’aide internationale. Donc, il fallait arrêter cette vision et en impulser une nouvelle à savoir que ce pays devrait avoir son droit d’exister en dehors de ces schémas réducteurs et prouver que son peuple était capable d’utiliser son cerveau et ses bras pour s’inventer un avenir à la hauteur de ses ambitions qui ne sont ni plus ni moins que celles des autres pays du monde. Le Burkina a donc fait une irruption tonitruance sur la scène politique sous régionale et africaine qui a été marquée par plusieurs évènements qui seraient très longs à détailler ici. Mais, retenons simplement que ce n’était plus comme avant.

Le Burkina avait décidé de rompre la sous traitance surtout parce qu’en vérité c’était un pays qui était sous traité par un vice consul Français installé à Yamoussoukro. Je veux parler du Président Houphouët Boigny qui était chargé de gérer en quelque sorte en sous traitance pour la métropole française, les autres pays du Conseil de l’Entente. L’ultime objectif était de maintenir les pays dans le giron du pré carré français. L’axe de la diplomatie à l’époque du CNR c’était donc de rompre avec cette tradition de la sous traitance politique et diplomatique. Je pense que sur ce terrain- là, c’était une expérience plutôt réussie dans la mesure où jusqu’à nos jours, je crois que le Burkina Faso s’affirme de façon autonome dans sa diplomatie, dans sa politique étrangère.

Parlons en termes de résultats tangibles. Qu’avez-vous obtenu ?

J’ai servi de mon mieux l’idéal qui était le nôtre à l’époque. C’est- à- dire affirmer notre existence, notre personnalité, notre façon de voir les choses et penser par nous même les solutions que nous envisageons et les mettre en œuvre. Je pense que c’est aux autres de faire un bilan. Moi j’ai agi dans une dynamique collective dans la mesure ou c’était le gouvernement du CNR. Donc, je suis collectivement responsable avec tous les autres dirigeants de l’époque de tout ce qui a été engrangé comme positif et comme négatif. Raison pour laquelle je refuse de porter des jugements de valeur dans la mesure où c’est ceux qui ont eu à observer cette période-là qui peuvent donner un jugement.

Mais avec le recul et l’expérience, comment appréciez-vous l’évolution de la diplomatie burkinabè ?

J’ai donné une conférence le 04 septembre 2007 où je disais que le drame du burkinabè c’est qu’il a peur de son histoire. Il veut l’écrire comme des tranches de saucisson découpées les unes des autres, alors que l’histoire est une. Je pense que depuis la récréation de la colonie de la Haute Volta (Ancien nom du Burkina Faso, Ndlr) en 1947, jusqu’à nos jours, 60 ans après, si on veut, on peut voir une évolution en continu où tous les régimes, tous les hommes politiques, tous les acteurs ont apporté quelque chose à la constitution de ce que nous appelons aujourd’hui, le Burkina Faso, la terre des hommes intègres. Il ne faut donc pas donner l’impression qu’il y a d’un côté ceux qui n’ont rien foutu et de l’autre ceux qui ont excellé en tout.

Chacun a apporté sa pierre à un moment donné de l’histoire avec ce qu’il avait de mieux à offrir parce que je crois au patriotisme des burkinabè. Donc, je ne suis pas de ceux qui chantent les louanges d’une période pour en diaboliser l’autre. Je pense qu’il revient aux observateurs de le dire, nous nous sommes des acteurs. Pendant les 04 ans que j’ai passés au gouvernement sous le CNR, j’ai agis selon mes convictions, selon ma foi et selon la ligne politique qui était la nôtre. Toutes nos actions s’inscrivaient dans ce registre. Si on ne croyait pas que c’était pour le bien de notre pays, on ne les aurait pas posées. Si on l’a réussi à 10%, je pense que c’est bon. Si c’est à 80%, c’est bon également. Depuis ce temps jusqu’à nos jours, je pense que tous ceux qui sont venus après mon passage au gouvernement, ont essayé d’apporter ce qu’ils pouvaient.

Donc, je n’entre pas dans les notations un tel a 05/20 l’autre 15/20 ; même si on l’a fait sous le CNR. Je précise qu’au moment où mon courant politique était combattu, des journalistes dits révolutionnaires n’ont pas hésité à me donner 02/20 pour me faire chasser du gouvernement sous prétexte que j’étais un ministre médiocre. Donc, on a eu des guéguerres internes. Mais cela n’empêche pas le monde de tourner. Je souhaite seulement que la diplomatie de mon pays puisse s’améliorer et que ceux qui sont actuellement à la tête de cette diplomatie puissent faire mieux que nous.

Pensez vous que le Burkina dispose d’atouts à même de lui permettre de prétendre au titre de force diplomatique ?

Moi je l’affirme. Je pense que le Burkina Faso n’est pas la Haute Volta. Ça au moins, c’est clair ! Ce que le Burkina représentait dans la sous-région, il y a trente ans, n’est pas du tout la même chose aujourd’hui. Je pense donc qu’il y a eu un plus.

Est-ce en référence aux médiations du Burkina dans certains pays ?

Je pense que cette implication est une constante d’une diplomatie qui se veut active et constructive. Si elle est sollicitée par rapport à la possibilité de faire régner la paix, la sécurité chez les pays voisins, ce serait un très grand tort de ne pas prendre cette tâche au sérieux. D’ailleurs, comme on le dit, quand la case du voisin brûle, ce n’est pas l’occasion d’amener son œuf et faire griller. Parce qu’en fait, après le voisin, le feu va rentrer chez vous. Donc je pense que c’est de la diplomatie préventive que d’accepter d’apporter son concours pour solutionner les crises chez les voisins.

Y’a-t-il tout de même à votre avis des points sur lesquels la diplomatie burkinabè devrait davantage s’affirmer ?

A chaque temps, ses conditions. Cela fait 20 ans que j’ai quitté le gouvernement. Les rapports de force ont beaucoup changé, la situation géopolitique mondiale a changé, les acteurs ont changé et je n’ai pas la prétention d’être capable aujourd’hui de cibler des actions qui amèneraient la diplomatie burkinabè à faire mieux que ce qu’elle fait. J’apprécie positivement le positionnement actuel de mon pays dans la géopolitique sous régionale, africaine et mondiale. Je suis conscient que je fais un peu has been. Je ne sais pas dans quelles conditions le gouvernement actuel travaille. Je pense que ces acteurs sont mieux placés que moi car ils sont dans l’action.

L’Etat est une continuité, dit-on. Dans cette logique, une association des anciens ministres existe depuis quelques temps. Avez-vous déjà été approché ou consulté sur un dossier diplomatique ou une quelconque question ?

C’est une jeune association qui vient juste de commencer ses activités. La première manifestation, c’était le 04 septembre pour commémorer le 60ème anniversaire du rétablissement de la colonie de Haute-Volta. C’est moi-même qui ai donné la conférence inaugurale. Mais au-delà de cette activité, on n’a pas encore entrepris d’autres démarches. Mais il n’est pas exclu que l’initiative dont vous faites cas soit mise en œuvre. Cette association regroupe des compétences et l’Etat à le droit d’avoir recours à elles pour gérer telle ou telle situation ponctuelle. Ce n’est pas exclu.

Si la date du 04 septembre semble méconnue celle du 15 octobre fait par contre l’objet d’interprétations variées. A quel niveau du débat vous situez-vous ?

Il n y a pas une date au Burkina Faso qui ne fait pas objet de guéguerre. J’ai tantôt évoqué le 04 septembre 1947, c’est ignoré. On ne sait même pas que ça a existé. Deuxièmement, le 11 décembre 1958, polémique. Proclamation de la République par Maurice Yaméogo. Le 04 Août, Révolution Démocratique et Populaire. Contestée. Il y a deux camps : ceux qui veulent commémorer et ceux qui disent que c’est mauvais. 05 Août 1960, accession à l’Indépendance. Là aussi c’est contesté. Il y a ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, ceux qui disent qu’il n y a pas eu d’indépendance, qu’il n y a rien eu... L’unanimité ne se fait sur rien y compris sur le 15 octobre. A mon avis, cette date porte en elle-même deux évènements majeurs dans l’histoire de ce pays : la disparition du président Thomas Sankara du CNR et l’arrivée au pouvoir du n°2 du CNR, Blaise Compaoré. Donc, on ne peut pas occulter un des deux aspects de cette date. Maintenant, si des gens pensent qu’il faut effacer un aspect pour mettre l’accent sur l’autre, c’est leur droit. Mais je pense qu’en toute objectivité, les deux évènements se sont produits au même endroit dans des conditions de temps qui font qu’ils sont indissociables.

Si on vous faisait appel, seriez-vous à nouveau prêt pour un maroquin ministériel à la diplomatie ou à un quelconque poste au sein du gouvernement ?

(Rires) Je ne vous comprends pas... Ce n’est vraiment pas dans mes préoccupations. Je suis à quatre ans de la retraite, j’ai beaucoup de choses dans la tête.

Même si l’appel est pressant ?

Je ne pense même pas à ça. Je suis un chercheur. Je pense qu’il y a tellement de choses à chercher, à trouver et à diffuser sur la sociologie politique au Burkina que vraiment être ou ne pas être dans un gouvernement, est loin de mes préoccupations. J’aime mon métier et je m y réalise pleinement.

Interview réalisée par Arsène Flavien Bationo
(bationoflavien@yahoo.fr)
Lefaso.net

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