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Célébration du 15-octobre : L’incurie du pouvoir et les torts des sankaristes

Publié le mercredi 19 septembre 2007 à 08h31min

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Le Monument des martyrs à Ouaga 2000

Le 15 octobre prochain, le Burkina vivra le 20e anniversaire de la mort du chef de la Révolution démocratique et populaire, Thomas Isidore Noël Sankara. Pour les sankaristes, l’événement c’est la synonymie avec la mort de leur idole. Pour les partisans du pouvoir, c’est l’expression de l’arrivée de leur patron au pouvoir ou pour faire plus soft, le début du processus de démocratisation.

Ainsi, au sein d’un même pays, d’une même nation, il y a une interprétation dichotomique de cette étape, de ses péripéties historiques.

En soi, ce n’est pas une mauvaise chose dans la mesure où cela peut être interprété comme la preuve de l’existence de la liberté d’opinion au Burkina Faso. Il est vrai que plus on possède une chose, plus elle se déprécie, car moins on la remarque et plus on a tendance à la négliger. D’un autre côté, le fait que ce n’est pas mauvais en soi est dû aux débats que cette date suscite ; lesquels débats contribuent à éclairer l’opinion sur certains aspects de la crise et ses conséquences qui ont fini par emporter le Conseil national de la révolution (CNR) sans oublier que, dans la foulée, le niveau de compréhension du citoyen ordinaire de la chose politique prend de l’altitude.

Cela étant, on ne peut tout de même pas s’empêcher de regretter qu’une expérience aussi merveilleuse que la RDP se soit terminée en queue de poisson par la faute de ses propres acteurs avec en prime un carnage. Nous disons bien une expérience merveilleuse en dépit du lourd bilan humain des quatre années de révolution car notre appréciation s’appesantit sur les plans social et économique en dépit du fait qu’on ne peut point faire un distinguo net entre les sphères politiques et éthiques d’une part et les domaines socioéconomiques de la collectivité.

Chiens de faïence pourtant crocodiles d’une même mare

Aujourd’hui, vainqueurs et vaincus du 15 octobre 1987 sont plus que jamais à couteaux tirés ; les premiers considérés comme des bourreaux et les seconds des victimes innocentes du dénouement sanglant. Une telle perception est manichéiste Ce qu’il convient de qualifier aujourd’hui de tragédie a été la résultante malheureuse et le dénouement regrettable d’une crise d’abord latente et ensuite ouverte qui opposait les groupes communistes et/ou les tendances de ces groupes. Ils avaient pour noms :
- Union des luttes communistes reconstruite (ULC-R) sous l’instigation de laquelle le Parti africain pour l’indépendance (PAI) avait été violemment et avec ingratitude, débarqué du navire révolutionnaire ;
- Union des communistes burkinabè (UCB) - ‘’avant-garde’’ du mouvement dit de rectification synonyme de victoire ( ?) sur l’ULC-R ;
- Groupe communiste burkinabè (GCB) - formé par d’anciens militants du PCRV favorables à la Révolution démocratique et populaire.

Parfois, il s’agissait de pinailleries idéologiques, quelquefois de problèmes de personnes et souvent, de luttes pour le contrôle exclusif de l’appareil d’Etat. Ces luttes se sont d’autant plus exacerbées qu’il y a peu ou pas du tout d’institutions et de textes dignes de ce nom à même de réguler et de résoudre les contradictions qui naissent nécessairement des relations interactionnelles entre les individus. Dans cette compétition qui était devenue une lutte à mort entre deux camps ennemis, un devait nécessairement l’emporter. Si ce n’était pas celui de Blaise Compaoré, c’aurait été celui de T. Sankara.

Les contingences de la vie ont fait que c’est le premier qui s’en est sorti vivant. Résultat : ce sont les crocodiles d’une même mare qui se regardent en chiens de faïence alors qu’hier, ils ont cassé ensemble du contre-révolutionnaire, du réactionnaire et du féodal.

L’incurie du pouvoir

En réalité, ni les sankaristes, ni le pouvoir ne peut être dispensé de la critique. Sans passion aucune, il faut dire avec force que si le pouvoir a eu l’intelligence politique de mettre en œuvre un certain nombre de recommandations faites par le Collège de sages, certaines pourtant capitales demeurent consignées dans le rapport ou n’ont pas connu une exécution digne de ce nom. Sont de celles-la :
- la pratique d’une meilleure gestion des ressources humaines et des compétences notamment dans l’administration, l’armée et la justice par le respect de la hiérarchie, du mérite et du professionnalisme ;
- la restauration de la confiance des justiciables en restructurant en profondeur l’appareil judiciaire pour garantir son indépendance et son efficacité ;
- l’érection d’un mémorial dans tous les chefs-lieux de province en l’honneur de tous les fils de la nation victimes de la violence en politique ;
- l’érection d’un monument national aux morts, à la mémoire de tous les soldats de notre nation tombés sur les champs d’honneur.

Ou c’est de l’incurie c’est-à-dire de la négligence parce que la tempête est derrière nous (malheureusement, la mousson, elle, n’est pas passée), ou c’est de l’amnésie. Ces deux explications sont aussi infirmes l’une que l’autre. Nous n’avons pas l’intention de croire que la mise en œuvre totale de ces recommandations aurait changé quelque chose dans la détermination des sankaristes à célébrer la mémoire de leur héros mais elle aurait eu l’avantage de départager au sein de l’opinion le pouvoir et ceux qui arguent qu’il ne tient pas parole.

Les torts des sankaristes

Quant aux sankaristes, ils font bien de chercher à théoriser la conception et la pratique du pouvoir de T. Sankara. Sinon, le sankarisme sera de plus en plus perçu comme une stratégie de conquête du pouvoir dirigée contre un seul homme, Blaise Compaoré. Soumane Touré l’a dit et répété et ç’a vraiment du sens. On ne construit pas une doctrine et une idéologie politique sur la base de l’aversion contre un individu.

En outre, quand les porte-flambeaux de cette aversion sont parfois des personnes qui n’ont pas vécu eux-mêmes les évènements, il y a lieu de redimensionner modestement certains discours non pas pour faire plaisir à leur ennemi juré mais pour eux-mêmes. La meilleure des victoires que nous pouvons remporter et en être légitimement fiers, c’est sur nous-mêmes.

C’est humain de prendre le parti du mort ; c’est également humain d’avoir un penchant pour le plus faible ou le supposé tel (sinon ce serait la loi de la jungle) ; c’est enfin humain de ne dire que du bien des morts. Cependant, peut-être n’est-il pas opportun de le faire au point de nier aux vivants tout mérite et toute humanité tout en sachant que tout individu est avant tout l’individu d’un système avant que ce dernier ne soit celui de l’individu.

Zoodnoma Kafando

L’Observateur

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Vos commentaires

  • Le 19 septembre 2007 à 11:45, par zampou En réponse à : > Célébration du 15-octobre : L’incurie du pouvoir et les torts des sankaristes

    Tres bon article ! merci Kafando et bonne continuation !

    • Le 19 septembre 2007 à 19:22, par internaute anonyme En réponse à : > Célébration du 15-octobre : L’incurie du pouvoir et les torts des sankaristes

      Tout a été dit, et même très dit ! Reste maintenant aux uns et autres, Blaisistes et Sankaristes, à avoir le courage de surmonter leurs dissensions, et à oeuvrer tous ensemble pour le Bonheur de nos masses populaires ! Car, il y a 20 ans que dure cette animosité ! Quand on connait les défis de développement qui nous attendent, il est indéniable que cette querelle n’a que trop duré ! Alors, puisse ce 20 è anniversaire, malgré les diverses interprétations dont il est sujet, marquer la fin de cette lutte fratricide ! Que 20 ans après la grande tragédie du 15 Octobre 1987, le Pardon véritable des coeurs revienne dans notre chère patrie ! Puisse ce 20è anniversaire marquer l’avènement d’une Vraie Réconciliation Nationale ! Une Réconciliation véritable qui transcende toutes les haines et sentiments de vengeance ! Une Réconciliation Vraie, Véritable ! Et non une Réconciliation voulue, décidée et décrétée par un individu, fut-il Chef de l’Etat ou pas ! Car le Pardon Vrai, Véritable ne se décrète pas ! Il est l’aboutissement d’un processus ! Seulement, pour que ce Pardon soit accordé, il faut que les Uns et les Autres aient le Courage de s’asseoir ensemble pour communiquer, échanger ! Naïvement, j’ose croire que 20 ans après, cela a une forte chance de se réaliser ! Pourquoi ? Parce que je crois en la Redemption ! Donc, je crois en la capacité de l’Homme à se remettre en question ! Attention ! Cela vaut aussi bien aux Sankaristes qu’aux Blaisistes ! Alors, tous autant que nous sommes, et à quel que niveau que ce soit, faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que triomphe ce noble Idéable ! Sinon, nous ne pourrons Demain nous en prendre qu’à nous-mêmes ! Merci de votre attention !

      • Le 20 septembre 2007 à 11:32 En réponse à : > Célébration du 15-octobre : L’incurie du pouvoir et les torts des sankaristes

        Internaute anonyme, je ne partage pas l’intégralité de votre opinion, et pour cause :

        Il n’ y a pas, au Burkina, que des "sankaristes" ou des "blaisistes". Si non, dans quel camp vous allez classer les "kéréistes". rires !!! Sérieusement, c’est vraiment très réducteur vos "qualificatifs" car, Il y a, un et un seul peuple burkinabé qui doit, nécessairement, vivre en paix, dans le bonheur et la prospérité. Et ça, c’est tout à fait possible, à condition que chacun y mette du sien pour cette (co) - habitation pacifique de notre patrie, dans le respect de nos institutions démocratiques actuelles. Vous n’êtes pas obligé de vous aligner sur mon opinion. Cependant, celle-ci est, en dépit de son caractère utopiste, la voie royale vers le vrai bonheur et la prospérité de notre peuple. Et cette voie est du domaine du possible. Help us !!! Me Kéré, France.

        • Le 21 septembre 2007 à 17:08, par internaute anonyme En réponse à : > Célébration du 15-octobre : L’incurie du pouvoir et les torts des sankaristes

          Me KERE, je n’ai jamais soutenu qu’au Burkina il n’y a que des Sankaristes et des Blaisistes ! L’évocation récurrente de ces deux camps adverses, jadis meilleurs amis, dans les échanges vient tout simplement du fait que sont-ce ces deux catégories de Burkinabé qui, depuis 20 ans, s’affrontent sur le terrain politique, avec toutes les conséquences que l’on connait ! Laquelle confrontation, depuis le 15 Octobre 1987, a pris en otage le développement de notre pays ! Car n’eut été cette querelle fratricide intestine, les avancées réalisées par le Burkina dans le cadre de son développement dépasseraient sans doute le niveau actuel enrégistré ! Une telle situation est fort dommage pour notre Peuple, parce qu’il a besoin des compétences de tous ses fils pour bâtir le Burkina Faso ! A ce titre, ceux qui ne sont ni Sankaristes, ni Blaisistes, comme vous peut-être ( rire !), se doivent d’emmener les différents protagonistes à mettre un terme à leurs dissensions pour oeuvrer tous ensemble, comme un seul Homme, au Bonheur du Peuple Burkinabé ! Pourquoi ? Parce que de par sa neutralité, cette frange de notre Peuple est plus à même de réussir à rassembler les adversaires d’aujourd’hui autour d’un idéal qui dépasse le cadre des intérêts partisans ! J’en conviens donc avec vous que si chacun y met du sien, les retombés n’en seront que très intéressentes pour tous et pour chacun ! Je partage avec vous cette idée, parce qu’elle relève tout simplement du bon sens ! Il serait vain, et surtout absurde, de ne pas reconnaitre cette évidence ! Encore une fois, comme vous pouvez ainsi le constater, mes qualificatifs ne sont pas du tout réducteurs ! Ils ont été utilisés bien à propos ! Des Blaisistes et des Sankaristes, il en existe au Faso ... tout comme il existe des Burkinabé neutres ! Du reste, ce n’est pas parce que ces derniers ne sont ni dans un camp, ni dans l’autre, qu’ils n’en pensent pas moins de ce qui se passe au Faso ! Vous en êtes, à ce propos, une parfaite illustration ! N’est-ce pas ? Merci de votre attention !

  • Le 19 septembre 2007 à 12:29 En réponse à : > Célébration du 15-octobre : L’incurie du pouvoir et les torts des sankaristes

    Mes Chers Compatriotes,
    Voici, à travers cet article, une vision "objective" réaliste, humaine, acceptable, qui permettrait d’envisager l’avenir du Burkina Faso avec une certaine sérénité et un espoir possible. Chacun de nous, amoureux de notre peuple, devra faire un effort peut-être "insurmontable" pour vivre avec cette histoire commune de notre peuple. Je suis de ceux-là. Et suivez mon regard... Me Kéré, France.

  • Le 19 septembre 2007 à 14:06, par Lou En réponse à : > Célébration du 15-octobre : L’incurie du pouvoir et les torts des sankaristes

    Pour une fois voici une reflection interressante redigée par une personne très cultivée
    Bravo Mr Kafando

  • Le 19 septembre 2007 à 15:04, par Pioyipo En réponse à : > Célébration du 15-octobre : L’incurie du pouvoir et les torts des sankaristes

    Monsieur KAFANDO, j’ai lu ton article avec un grand intérêt, mais la question n’est pas à ce niveau. On a toujours reproché au sankaristes des choses non fondées. Loin de nous l’idée de magnifier tout béatement un individu, loin de nous ce sentimentalisme infantil. Nous avons vu à l’oeuvre un homme qui a mené des actions dans un environnement austère. La demarche de cet homme ne peut-il pas être un répère pour nous pour sortir notre pays de la pauvreté ? telle est la question.
    Mais merci pour cet article.

    • Le 19 septembre 2007 à 15:50, par kouka En réponse à : > Célébration du 15-octobre : L’incurie du pouvoir et les torts des sankaristes

      Merci mes freres compatriotes et merci en particulier kafando.
      Je voudrais ajouter que l’heritage qu’a laisse Sankara n’est pas un heritage individuel
      mais plutot celui d’un Etat,d’une nation et meme un heritage mondial.
      Il n’ya ni sankariste ou blaisistes comme ce que l’on nous fait croire.c’est un heritage de tout burkinabe.je ne comprend pas pourquoi les citoyens malhonnets jouent sur la conscience des citoyens innocents et ignorant sur cette affaire.
      la revolution c’est un bien historique que tout pays n’aurait pas vecue.c’est un bien national et non d’un quelconque parti politique.
      bye !
      kouka oscar,chicago

  • Le 19 septembre 2007 à 18:22, par Zombre Gérard En réponse à : > Célébration du 15-octobre : L’incurie du pouvoir et les torts des sankaristes

    Bonjour,
    cet article est objectif et je félicite cet auteur qui a ce don de traduire la pensée du Burkinabè honnête.Il faut laisser chacun s’exprimer et extérioriser soit sa peine soit sa joie.Empêcher un homme d’exprimer sa joie ou sa peine l’oblige à le refouler en lui même, ce qui entraîne comme conséquence l’empoisonnement de son organisme qui un jour ou l’autre s’exprimera d’une manière ou d’une autre (maladie,crise de nerf , mal être, frustration...).Ce qu’il faut empêcher, c’est les expressions incontrôlées qui tendent à troubler le fonctionnement normal des institutions.Bon vent à toutes les expressions porteuses d’espérance et de progrès pour le Burkina faso.

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