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Application de la convention collective au Bénin : Une longueur d’avance qui trébuche

Publié le lundi 10 septembre 2007 à 07h46min

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L’amélioration des conditions de vie des journalistes ; l’application de la convention collective des hommes de médias du Bénin ; voilà la substance du débat qui fait rage actuellement dans les milieux de la presse au pays du Dr Thomas Boni Yayi.

Le lièvre a été levé depuis plus d’une dizaine d’années mais le sujet a été pour la première fois mis sur la table de discussions. Si au Burkina, on est toujours au stade de la définition de certaines conditionnalités, au Bénin, les différentes parties prenantes à la Convention (le syndicat des journalistes, le patronat de la presse, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication, représentant l’Etat) sont parvenues à signer l’essentiel des documents pour la mise en œuvre de la convention collective. Malheureusement, son application semble plus que jamais compromise à cause des contraintes financières des médias de l’ex-empire du Dahomey.

A la faveur du séjour à Cotonou des membres du Réseau informel des journalistes du Burkina (RIJ), en partenariat avec le Service allemand de développement (DED) et avec le soutien financier de l’opérateur de téléphonie mobile Telmob, nous nous sommes intéressé, confraternité oblige, à cette brûlante question ; état des lieux.

Nous sommes le vendredi 17 août 2007, soit le lendemain de notre arrivée à Cotonou, première étape d’un voyage d’études et d’échanges avec les journalistes du Bénin, du Togo et du Ghana. Le programme du jour prévoyait une rencontre avec les confrères béninois dans les locaux de l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias (ODEM). Il se trouvait que ce même jour à 16 heures (heure du Bénin), il y avait la cérémonie officielle d’installation du nouveau président de l’Union des professionnels des médias (UPMB) en la personne de Brice Houssou, directeur de publication du journal « Fraternité » et animateur de radio sur « Canal 3 ». Il remplace à ce poste Wilfried Adoun, directeur du centre de production « La Cible », et premier président dudit syndicat.

Le nouveau venu à la tête de l’UPMB, épinglé à plusieurs reprises dans la première édition du « Rapport national sur l’état de la liberté de la presse au Bénin » et « Le rapport de suivi déontologique des médias béninois à la veille de la présidentielle de 2006 », a axé son « prêche » sur l’amélioration des conditions de vie de la corporation. D’un ton déterminé, Brice Houssou a assuré à l’assistance que la convention collective, signée en 2006, entrerait en vigueur sous son mandat et, si tout va bien, avant même la fin de l’année : applaudissements nourris dans la salle du Centre national des chargeurs du Bénin. Cet agrément juridique entre un patron de presse et son employé est inscrit en bonne place dans les programmes d’activités de l’UPMB.

Une seule signature qui bloque le processus

D’ailleurs, pour la petite histoire, disons que cette question de la convention collective des journalistes a commencé à pointer à l’horizon depuis 1999, date à laquelle des réflexions et négociations ont été entreprises par les associations et syndicats des professionnels des médias. Le sujet est devenu plus brûlant depuis que les documents ont été paraphés par les différentes parties (le syndicat des journalistes, le patronat de la presse, la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication, représentant l’Etat) en fin décembre 2005 janvier 2006. De par sa maturité, sa vitalité et la liberté avec laquelle elle fonctionne, la presse béninoise tient à ce que le Bénin soit le troisième pays membre de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), après le Sénégal en 1973 et la Côte d’Ivoire en 1982, à se doter d’une convention collective pour régir les relations de travail des journalistes et des techniciens avec leurs employeurs.

Aussi bien l’UPMB que l’ensemble des responsables des associations des journalistes, tous trouvent inadmissible que les professionnels des médias au Bénin ne vivent pas de leur métier. Brice Houssou du journal Fraternité, qui a fait partie en son temps de l’équipe de négociation, pense qu’un grand pas est fait vers l’application de la convention en ce sens qu’à ce jour, il ne reste qu’un seul patron de presse qui n’y a pas apposé son visa pour que les autorités politico-administratives la légalisent. Au-delà de l’amélioration salariale prévue, il y a d’autres contraintes et exigences qui entrent en jeu. E n effet, la convention fixe les rapports entre patrons et employés, les droits et devoirs de chacun. La presse arrêtera alors une grille salariale, subdivisée en classes et par catégories. Le président de l’UPMB nous a fait remarquer que la grille de rémunération est reléguée dans les derniers articles du document de la convention collective. Mais beaucoup de journalistes n’en sont pas conscients. Ils n’ont en tête que les retombées financières. C’est la raison pour laquelle l’Union des professionnels des médias envisage, d’ici là, une sensibilisation de l’ensemble des pisse-papiers.

La convention n’est pas une panacée

Mais comme l’argent est le nerf de la guerre, selon Brice Houssou, « il y a des patrons de presse qui, ne payant pas bien leurs journalistes, ne peuvent pas leur imposer certaines exigences professionnelles ; ce qui tue notre métier ». Au cas où tout rentrerait dans l’ordre, c’est l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias (ODEM) qui selon frotterait les mains ; elle qui, à chaque parution de son Rapport sur l’état de la liberté de la presse, ne manque pas d’attirer l’attention des journalistes sur l’observation de la déontologie. Dans le dernier document qu’il a publié, l’ODEM a épinglé la quasi-totalité des organes de presse ; tous coupables de délits.

Mais selon son président, François Awoudo, la convention ne sera qu’un début de solution. « Lorsque le niveau minimum des salaires sera fixé et qu’il y aura des règles applicables à tous, ce sera un pas de gagné. Et mieux, nous allons imposer que toute rédaction qui n’applique pas la convention ne soit pas éligible à la subvention octroyée par l’Etat », a-t-il affirmé. Cependant le patron de l’ODEM ne se fait pas d’illusions : « Je suis dans la lutte pour la convention depuis plus de 10 ans, mais je demeure convaincu qu’elle ne sera pas la panacée. Par exemple, il y a des rédactions où les journalistes ne sont pas payés mais ils ne démissionnent pas. Ils continuent de travailler parce qu’ils vivent de jetons et de perdiems, qu’on leur donne dans les séminaires ».

Tout le souhait de l’ODEM est que dans l’application de cette fameuse convention, le professionnalisme soit le maître-mot. Du côté de l’Etat et principalement de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac), l’institution de régulation des médias à l’image du CSI de Luc Adolphe Tiao au Burkina, l’on se dit prêt à apporter tout son soutien à la corporation. Rien que le lundi 3 septembre dernier, la HAAC, dirigée par Ali Zato, a accordé une audience au président de l’UPMB et au président du Conseil national du patronat de la presse et de l’audiovisuel du Bénin (CNPB), Edouard Loko. Au-delà de l’objet de cette audience, qui était de s’imprégner davantage des dessous du manque de professionnalisme et de respect du code de déontologie et de l’éthique dans les médias par certains journalistes, les trois hommes ont également discuté des voies et moyens de l’application de la convention collective.

L’UPMB et le CNPB veulent clarifier les charges des entreprises de presse à la HAAC afin que ces dernières puissent jouir rationnellement de l’aide de l’Etat à la presse. A ce sujet, l’UPMB souhaite que l’Etat accorde des facilités aux entreprises de presse (réductions d’impôts, des frais de téléphone et de consommation d’énergie électrique) afin qu’elles puissent supporter sans beaucoup de peine les charges occasionnées par la convention collective.

Jusque-là, l’Etat, qui est entièrement partant pour son application, ne s’est pas prononcé sur l’éventuelle exonération des entreprises de presse de certaines taxes nécessaires à leur bonne marche. Mais qu’à cela ne tienne, l’UPMB, avec son millier de journalistes membres, est décidé à faire bouger les choses. S’il est vrai que la convention est presque sur les rails, le plus dur reste son application. Car, au cas où elle serait mise en œuvre, la multitude d’organes risque de fondre comme beurre au soleil. Et les journalistes de se chercher de nouveaux points de chute. Certains patrons, qui y ont déjà apposé leur paraphe, ont commencé à brandir des menaces de compression si rien n’est fait pour les épauler (voir l’encadré 1).

De retour de Cotonou Kader Traoré

Edouard Loko, président du patronat de la presse béninoise « Quand tu connais le fond de la marmite, tu ne dois plus dire que tu n’es pas rassasié »

Quel est le regard du patronat de la presse béninoise sur la convention collective, qui fait grand bruit actuellement ?

• Avec le temps, la question de la convention collective est devenue l’une des revendications principales des journalistes, mais, également, avec le temps, le patronat de la presse a fini par adhérer à cette revendication. Figurez-vous qu’il y a 10 ans, nous avons commencé le processus de négociation de cette convention.

Nous avons fini par la signer il y a de cela un an. Maintenant, c’est son application qui pose problème, car elle est assez rigide par rapport à la condition salariale des journalistes. Par exemple, dans les clauses de la convention collective, un journaliste doit gagner au minimum 150 000F CFA alors qu’actuellement la rémunération de vos confrères tourne autour de 60 à 70 000F Cfa. Il y a une chose sur laquelle les patrons de presse eux-mêmes sont d’accord : lorsque nous allons finir de la mettre en application, nous allons être plus exigeants envers les journalistes.

On trouve aujourd’hui que la rémunération des journalistes est un peu faible, mais on oublie que les patrons sont obligés de fermer les yeux sur certaines évasions fiscales, car les journalistes se permettent souvent certaines choses qui auraient pu entrer dans les caisses de leur organe. Ils font souvent passer des informations dont la diffusion devrait nécessiter une facturation. Il y a donc des informations déguisées. Nous en sommes conscients. C’est pour dire que lorsqu’il y aura la convention collective, chacun connaîtra ses droits et ses devoirs. Et chacun devra faire preuve d’un professionnalisme exigeant. S’ils ont intérêt à ce qu’il y ait la convention collective, nous aussi nous y avons intérêt.

Si la convention collective est déjà signée par les différentes parties prenantes, qu’est-ce qui bloque réellement son application ?

• Ce qui la bloque, c’est le manque de réalisme des deux côtés, surtout du côté des journalistes. Je vous ai dit que le protocole que nous avons signé dit qu’un journaliste doit avoir 150 000F. Moi, dans ma rédaction (quotidien « Le Progrès »), j’ai une dizaine de journalistes. Mais je n’ai pas 150 000F à donner à chacun d’eux. Quand la convention collective sera appliquée, je la respecterai forcément, mais je dirai à ce moment que je n’ai que les moyens de payer cinq journalistes. Ce n’est pas de la mauvaise foi, loin de là. Eux-mêmes savent la réalité.

Chez nous au Bénin, un adage dit que « quand tu connais le fond de la marmite, tu ne dois plus dire que tu n’es pas rassasié ». Les journalistes eux-mêmes et aussi les autorités étatiques reconnaissent avec nous qu’il faut certaines conditionnalités avant l’application de la convention collective, comme une centrale d’achats qui permettrait d’avoir moins cher les intrants, une messagerie digne de ce nom. Lorsque ces conditions seront remplies et que l’on aura l’assurance que les entreprises de presse pourront survivre à la convention collective, on pourra en ce moment la mettre en œuvre.

Propos recueillis à Cotonou par K.T.

Un paysage médiatique assez discipliné malgré la pléthore de titres

Dans la sous-région ouest-africaine, le Bénin a une longueur d’avance sur ses voisins en matière de presse. En effet, depuis l’indépendance des pays africains dans les années 60, les premiers journaux et radios se sont implantés d’abord dans l’ancien royaume du Dahomey. De nos jours, il y existe une grande liberté de presse, ce qui a occasionné un « boom » des médias. Dans la capitale économique, Cotonou, avec son million d’habitants, environ 40 quotidiens sont publiés dont une vingtaine paraissent régulièrement (un record tout de même). En sus de cela, il y a une centaine de périodiques qui tombent au gré de l’actualité politique. Et dire que le pays compte plus de 50 % d’analphabètes !

Les 8 millions de Béninois ont le choix entre les 70 radios privées, la radio et la télé nationales et les 4 télévisions privées. Cette pléthore d’organes, souvent caractérisée par un net relâchement dans la langue, résulte de leur accointance trop poussée avec les partis politiques. Mais s’ils sont grands en nombres, ces médias sont par contre économiquement faibles et du fait de cela, très prompts à succomber à la corruption. De tous ces titres, seuls quelques-uns sont rentables. Ils reçoivent une toute petite aide de l’Etat et ont très peu d’annonceurs.

Mais dans cette fournée d’organes, il règne une discipline à laquelle tous adhèrent. Parmi les structures regroupant les journalistes, il y a la Maison des Médias (MDM), qui a été instituée par les états généraux de la presse béninoise en 2002. Elle est l’émanation des deux Unions professionnelles : l’Union des professionnels des médias du Bénin (UPMB), et le Conseil national du patronat de la presse et de l’audiovisuel (CNPA-Bénin). Elle est une propriété collégiale et indivisible des professionnelles des médias et sert de lieu d’accueil des professionnels de l’information nationaux ou étrangers de passage à Cotonou, comme nous. Dirigée par Joseph Perzo Anago, la MDM promeut la solidarité entre les professionnels des médias, la liberté de la presse, le pluralisme et l’indépendance des médias.

A ses côtés, il y a l’Observatoire de la déontologie et de l’éthique dans les médias (ODEM), l’instance d’autorégulation des médias. Créé le 06 octobre 1998 sur l’initiative des associations professionnelles, l’ODEM a pour mission de juger les journalistes dans leur travail quotidien ; d’assurer l’autorité morale dans le secteur des médias ; de faire observer les règles de déontologie et d’éthique dans les médias ; d’assurer la protection du droit du public à une information libre, complète, honnête et exacte

Mais ce qui est le plus particulier au Bénin, c’est que l’ensemble des patrons de presse parle le même langage. Ils sont regroupés au sein du Conseil national du patronat de la presse et de l’audiovisuel (CNPA), dont la création est décidée par les états généraux de 2002.

Ce patronat est né de la fusion de 3 associations de presse que sont l’ABEP (l’Association béninoise des éditeurs de presse), la FEB (la fédération des éditeurs de presse), et le Collectif des promoteurs de radios et de télévisions privées. Il a pour objectif de défendre la liberté de la presse, chèrement conquise par le peuple béninois, ainsi que les intérêts des entreprises de presse, confrontées à d’énormes difficultés structurelles et économiques. Il dispose de 4 départements (presse écrite, radios commerciales, radios communautaires et confessionnelles, télévisions). C’est d’ailleurs la parfaite entente de ses membres malgré la diversité de leur ligne éditoriale qui fait bouger les choses, notamment avec la mise en chantier de la convention collective.

K.T.

L’Observateur Paalga

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