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Ce qu’Anne-Marie Gougi nous avait dit : "Quand la mort viendra, je tâcherai d’être prête et propre"

Publié le vendredi 31 août 2007 à 07h29min

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Anne-Marie Gougi, la doyenne des comédiennes burkinabè, connue comme le loup blanc (ou la louve blanche) dans le microcosme culturel, est décédée le lundi 27 août 2007 à Ouaga. Elle avait 81 ans. Depuis le mercredi 29, elle repose au cimetière de Gounghin, où le monde de la culture l’a accompagnée, comme on dit, à sa dernière demeure. Quelques mois avant sa disparition, elle avait accordé, aux fins d’un documentaire sur elle, un entretien au cinéaste Guy Désiré Yaméogo (voir encadré).

Celui-ci nous l’avait proposé le 2 avril 2007, mais nous ne l’avions pas encore publié. Nous l’avons, pour ainsi dire, exhumer du "frigo", où nous l’avions conservé. Une interview d’outre-tombe qui prend un relief particulier aujourd’hui avec le décès de "Mamie". "Comme je sais que je ne peux pas y échapper, je tâcherai d’être prête et propre" quand la Faucheuse viendra, avait-elle alors dit au sujet de la mort.

Quel est l’orthographe exacte de votre nom ?

• Vous faites bien de me le demander parce que j’en ai vu, des orthographes. Au téléphone, la plupart du temps, les gens comprennent Bougi, mais qu’importe puisque c’est toujours moi. Alors l’orthographe exacte, c’est Gougi, il n’y a pas de E, pas de T, pas de S, pas de Y.

C’est votre nom de jeune fille ?

• Mon nom de jeune fille, c’est Coulbaly, c’est une contraction de Coulibaly. Mon père, quand il a été déclaré au jugement, on lui a collé ça comme nom. C’est l’œuvre d’un calligraphe zélé. Il l’a trouvé joli et il l’a gardé. Nous sommes des Coulibaly d’origine malienne.

Qui est donc M. Gougi ?

• M. Gougi, qu’il repose en paix, puisqu’il nous a quittés, était un Français. Je suis son épouse ; nous sommes restés mariés. Ça allait, et puis j’ai eu deux garçons. Mais c’était devenu pénible, pénible, je ne m’en sortais pas, alors que j’aimais bien vivre là-bas et tout d’un coup je ne pouvais plus supporter, je devenais dépressive, et c’est là que j’ai commencé les démarches pour retrouver du soleil, chez moi. Lui n’a pas pu suivre, et c’est pour cela que nous sommes restés séparés, je ne sais pendant combien d’années. En tout bien tout honneur, je n’ai jamais divorcé, lui non plus. Il est décédé depuis octobre 1987.

Que retenez-vous de votre jeunesse ?

• Beaucoup de contradictions, j’étais très naïve, trop naïve même ; j’étais très peureuse, je le suis restée. Par contre j’étais expansive, j’aimais bien rire, parler. Alors que vous savez qu’en Afrique c’était défendu, les filles, c’était l’arrière-cuisine et tais-toi !

J’étais toujours partagée entre les deux, et j’ai beaucoup souffert de cette contradiction. C’est peut-être pour cela que j’aimais beaucoup lire, parce que lire m’occupait, j’étais très curieuse, puis après j’ai aimé écrire, j’ai toujours eu de très bonnes notes en rédaction.

Et puis, petit à petit, j’ai eu d’autres occupations, mais ce que je garde de ma jeunesse, c’est que j’ai beaucoup souffert de ces contradictions, de ces tabous, de toutes ces choses-là, alors que je n’avais aucune idée du mal.

Jusqu’à présent je ne vais jamais vers le mal, rien ne me retient, mais je ne vais pas vers le mal, j’ai cette chance-là. Dans mon jeune âge, les filles ne devaient pas faire ci, ne devaient pas faire ça, alors, elles passaient leurs vies en cachotteries plus ou moins saines. Et moi, tout cela m’énervait, ça m’énervait, ça m’énervait, j’ai grandi dans une atmosphère comme cela. Bien sûr, il y a eu des moments de joie, de franches rigolades, d’amitiés, mais en filigrane, j’ai toujours cette impression-là.

Parlons maintenant de votre parcours scolaire.

• J’ai eu la chance de naître dans une famille "d’élites". Mon père était médecin africain issu d’une école de médecine à Dakar, ma mère était sage-femme africaine issue de l’école de sages-femmes. J’ai donc pu aller à l’école correctement sans problème.

Il n’y avait pas de jardin d’enfants à cette époque-là, on entrait directement au CP. Je suis donc entrée au CP à Dakar, je me rappelle, c’était en haut de la pente qui mène au Cinéma Palace, et nous nous passionnions tant à descendre cette pente et à la remonter.

Nous avons été là jusqu’en 6e, puisqu’on a commencé à prolonger la scolarité à partir de ma promotion. Quand je me présentais au certificat d’études primaires, on a ouvert une classe de 6e. Je suis restée là- bas jusqu’au baccalauréat. Puis après je suis allée en France pour faire de la pharmacie, ce qui ne me plaisait pas du tout parce que la chimie et moi nous sommes un peu fâchés.
Je voulais faire les lettres, vous voyez les contradictions ?

Ton père médecin, ta mère sage-femme, toi-même pharmacienne.

Alors j’y suis allée, j’ai fait deux ans puis, je me suis sauvée. Je reconnais aujourd’hui, la tête basse, que ce n’est pas ce que j’ai fait de plus beau dans ma vie. Mais je ne sais pas non plus ce que j’allais faire si j’avais continué.

Quelle a été votre carrière professionnelle ?

• Ayant fait la bêtise de ne pas suivre la carrière qu’on m’avait imposée, j’étais obligée de me débrouiller. J’ai donc appris à taper à la machine, j’ai été agent de bureau. C’est ainsi que je me suis retrouvée un matin à l’Office des étudiants d’outre-mer, qui est devenu plus tard l’Office de coopération et d’accueil universitaire.

Là, j’étais à l’aise parce que je retrouvais tous mes frères et petits frères. Et c’est de là que je suis partie pour ici. Entre-temps j’ai fait des écoles de secrétariat, cours du soir... cela m’a permis d’entrer ici comme secrétaire au ministère du Travail et de la Fonction publique. Et depuis, jusqu’à ma retraite, je n’ai plus quitté ce lieu.

Vous avez aussi été enseignante...

• J’ai passé 5 ou 6 ans comme enseignante. Et ce furent des années merveilleuses parce que j’étais avec les enfants. Vous savez, les enfants, c’est un monde en miniature, ils sont extraordinaires, et on ne perd pas son temps avec eux. Vous retrouvez tous les caractères. Je les retrouve tous maintenant, ils ont grandi.

Il y en a qui sont à l’université, certains sont encore au stade du bac, il y a des filles qui sont mariées... Quand je les revois, ça me fait toujours plaisir. Ce qui me fait le plus plaisir c’est que quand les parents me revoient, ils me disent merci parce que leurs enfants ont appris l’orthographe et ils savent lire. Ça, c’est le plus beau compliment qu’on puisse me faire.

Le théâtre a aussi occupé une grande place dans votre vie, non ?

• Le théâtre, je l’ai un peu commencé avant de quitter la France. Je faisais le théâtre de patronage comme on dit, en entraînant des gosses.. Et puis, entre-temps, j’ai eu un poste ici grâce à M. Victor Thiombiano, qui est un ami de mes parents, et je suis venue ici avec l’accord du regretté président Maurice Yaméogo, qui connaissait mes parents aussi. Mais je ne m’intéressais alors à rien, il fallait s’installer, inscrire les infants à l’école, réapprendre à vivre.

Parce que quand on a quitté l’Afrique et qu’on a fait 15 ans en France, quand on y revient on est presque un étranger ! Il faut se réadapter et faire son trou quoi ! Le théâtre radiophonique a commencé avec Sou Jacob. Un jour, je suivais une pièce à la radio ; elle était tellement mal rendue (c’était récitatif) que j’ai pris le téléphone et j’ai appelé Sou Jacob pour le lui faire remarquer. En retour, il m’a invitée à venir, et c’est comme cela que ça commencé.

Ensuite, j’ai été encouragée par Sotigui Kouyaté, avec qui je travaillais à la Fonction publique. Et puis après j’ai fait du théâtre sur scène, mais pas beaucoup, à cause de mon statut de contractuel, qui ne me permettait pas de bouger beaucoup, et il y avait aussi les enfants. C’était aussi l’époque du démarrage de la Maison des jeunes avec Jean Ouédraogo.

Et c’est là que j’ai fait la connaissance de Jean-Pierre Guingané, avec qui j’ai un peu travaillé, je l’ai un peu aidé. Je n’ai pas fait tellement de choses si vous voulez, mais j’étais là. Ils me faisaient tellement plaisir en me faisant appel, je ne me sentais pas inutile. C’était une chose autre pour moi. Je ne connaissais pas beaucoup de gens, je n’aimais pas sortir, et le théâtre m’a transformée.

Il y avait un coopérant, M. Jacques, qui était à la radio et qui m’avait monté une troupe mixte franco-burkinabè, et il m’y avait intégrée. C’est là que je suis le plus montée sur scène, et j’ai joué surtout le théâtre de boulevard, le théâtre d’écriture français. La première pièce "locale" que j’ai jouée, c’était « Le procès de M. Whisky », monté par Eric Congo.

Avec cette pièce, nous nous sommes bien amusés, nous avons sillonné un peu le pays, nous avons été à Tenkodogo, à Ouahigouya, Pô... Voilà, c’était ça ma participation et être toujours présente quand ils avaient besoin de moi.

Après, il y a eu les occupations, et les problèmes de santé s’en sont mêlés avec la retraite. Vous voyez, même le FITMO que j’aime bien, j’ai du mal à y participer régulièrement, ça m’a fait de la peine, mais que voulez-vous ? C’est la vie !

Le monde artistique, notamment celui du théâtre, est plein de peaux de bananes. Y avez-vous rencontré des difficultés ?

• Je peux dire que du côté de ma carrière artistique je n’ai pas eu de peaux de bananes parce que je ne gênais personne, je ne prenais la place de personne, j’étais là, disponible, je bouchais les trous si vous voulez. J’étais "amatrice" dans l’âme, amatrice dans ma vie, je n’ai jamais cherché à briller, à prendre un poste, à être devant, à faire du théâtre dans ma vie, alors ce n’était pas la peine ! Le théâtre était un dérivatif, c’était mon ami.

Avez- vous fait du cinéma ?

• Je n’ai pas réellement tourné de film. J’ai fait 2 ou 3 bricoles. Je devais jouer avec Christian Richard, celui qui a monté l’un des premiers films entièrement burkinabè, "Le courage des autres", avec Sotigui Kouyaté, mais il a quitté le Burkina sans que le projet aie vu le jour. Gaston Kaboré m’a fait jouer un petit rôle dans l’un de ces films.

C’était très drôle, je riais constamment, et puis, comme je transpire abondamment, la pauvre maquilleuse me suivait partout avec sa boîte de kleenex. Oh ! je me souviens bien de ça, ça m’a beaucoup amusée. J’ai également fait une apparition dans un autre film, mais j’en oublie déjà le nom de l’auteur.

Vous êtes toujours aux côtés des jeunes ?

• Je n’ai jamais quitté les jeunes, c’est vrai que je vieillis, mais eux, ils grandissent, ce qui fait qu’on fait la route ensemble. Moi, je les aime bien parce qu’ils ont le regard tourné vers l’avenir. Ils ont certes des problèmes et je ne les envie pas parce que dans ma jeunesse, on avait moins de problèmes, et l’avenir s’ouvrait devant nous avec de bonnes perspectives. Ce n’est pas comme maintenant ; on ne faisait pas des études pour être chômeur de mon temps.

Les jeunes, je les aime, j’ai des conversations constructives avec eux, on rigole un peu. Ils entrent dans la vie et je revis avec eux. Je suis plus avec eux qu’avec les personnes de mon âge, parce que nous, les vieilles personnes, avons la manie de regarder en arrière, de parler de notre temps, passé, de nos rhumatismes communs. Alors que les jeunes, ils ne parlent pas de leur santé, ils s’en foutent.

Vos enfants suivent vos traces ?

• Pas du tout, alors pas du tout. D’abord, ils sont un peu fainéants, ils attendent tout de moi, de la vie quoi. Et c’est petit à petit qu’ils se rendent compte qu’il faut faire ci, qu’il faut faire ça. J’ai remarqué qu’ils ont une certaine joie de vivre, que je trouve bien. Mais personne n’a cherché à briller dans les études, personne.

Comment vivez-vous votre retraite ?

• Joyeusement, si on peut le dire, même si l’argent manque quand on est retraité. J’aide les autres, je paye les fournitures scolaires autour de moi, je fais ce que je peux pour aider les autres. Je suis disponible. J’ai une grande capacité d’écoute : je parle beaucoup, mais j’écoute aussi. Beaucoup de gens viennent simplement pour parler, pour raconter leurs ennuis. Je me suis aperçue qu’ils viennent de plus en plus ; ils me fatiguent souvent. Mais je ne les rejette pas. Jamais, parce que je sais ce que c’est que de souffrir et de garder tout dans son ventre, ça m’est arrivé tant de fois, c’est affreux.

Est-ce que vous avez des regrets dans la vie ?

• Comme tout le monde, j’ai plein de regrets. Tout d’abord, un regret idiot, parce qu’il ne dépend pas de moi : j’aurais aimé être mince. Je suis née grosse, je suis restée grosse et je partirai grosse. Mon regret, quand je réfléchis bien, c’est de ne pas avoir suivi le cursus que mes parents m’avaient ouvert, et d’avoir fait la mauvaise tête. Je ne le dis pas par orgueil, mais parce que mes enfants auraient été plus heureux, j’aurais pu faire plus de bien.

Lorsqu’on regarde votre salon, on voit beaucoup de choses, de documents, que conservez-vous ?

• Tout, je conserve tout, je fais partie de ces gens affreux qui ne jettent rien. Si je reçois un colis, je garde les cartons, je garde le papier, les papiers cadeaux, les rubans (vous remarquez que des fois ça sert). Mais trop, c’est trop, chez moi il n’y a plus de place. Je dis souvent en riant que pour s’asseoir, il faut débarrasser une chaise.

Vous aimez la lecture, le théâtre, n’avez-vous jamais songé à écrire ?

• Je n’ai rien écrit à part mes rédactions, mes devoirs ; corriger les devoirs des autres, corriger des mémoires, aider des gens à rédiger, oui, mais j’ai jamais écrit, je n’ose pas. Tout le monde me dit : « Mais tu devrais écrire ». C’est drôle, mais je n’ose pas. Si j’écris, j’écris des lettres à des amis, souvent ils sont très contents, ils disent oh la, la, la ! ta lettre nous a fait du bien. Mais je ne sais pas pourquoi je n’ose pas écrire.

Même pas vos mémoires ?

• Et bien peut-être un jour. Je disais toujours que lorsque j’écrirais mes mémoires, je changerais de pays d’abord, à cause de tous ceux que je vais avoir comme ennemis... (rires)

Entre le jour et la nuit, lequel préférez-vous ?

• J’aime les deux, avec une prédilection pour l’aurore, le crépuscule, c’est le commencement et la fin du jour que j’aime. Ça dépend aussi de l’endroit où je suis ; si je suis dans le calme, j’aime bien la journée. J’aime la pluie.

Donnez-moi une citation qui vous a plu.

• Une citation qui m’a marquée, c’est celle du père de San Antonio, Frédéric Dard, qui, a-t-on rappelé à sa mort, disait toujours que "la mort est une maladie qu’on contracte à la naissance". J’y pense souvent, et je me dis que c’est tellement vrai.

De la mort justement, parlons-en. Nous savons que le temps passe et qu’elle viendra un jour. Où souhaiteriez-vous qu’elle vous trouve ?

• Je n’aimerais pas être foudroyée dans la rue. Ça serait triste. Je souhaite qu’elle me trouve dans mon lit. Comme je sais qu’elle doit venir, comme je sais que je ne peux pas y échapper, je tâcherai d’être prête et propre.

Correspondance particulière de Guy Désiré Yaméogo


Voici le petit mot qu’avait joint le cinéaste Guy Désiré Yaméogo à l’entretien ci-dessus, qu’il avait réalisé avec Anne-Marie Gougi.

"... J’ai rencontré il y a quelques années madame Anne-Marie Gougi. L’entretien qu’elle m’a accordé alors devait me servir à préparer un documentaire sur elle. Le film ne s’est jamais fait et elle est aujourd’hui très malade, hospitalisée, mourante même.

Si le document vous intéresse, vous en faites ce que vous voulez. Sinon, c’est pas grave. J’ai juste voulu faire savoir une partie de la vie d’une grande artiste qui m’a personnellement donné envie de faire du théâtre, puis du cinéma.

Avec Abdoulaye Dao, nous lui avons rendu un hommage en la faisant apparaître dans la série "Quand les éléphants se battent...".

Au générique final nous avons même souligné cela".

Ouagadougou, le 2 avril 2007

G.D.Y.

L’Observateur Paalga

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