Après une quarantaine d’années au service du théâtre burkinabè et 81 ans de vie sur la terre des Hommes, Anne-Marie Gougi, celle que les comédiens du pays des Hommes intègres appellent "la doyenne", s’en est allée, le 27 août dernier à Ouagadougou. Les comédiens du Burkina l’ont conduite à sa dernière demeure au cimetière de Gounghin, le 29 août 2007, mais comme Birago Diop, ils refusent de croire qu’elle n’est plus. Le professeur et dramaturge, Jean-Pierre Guingané, parlant en leur nom a dit : "Tu es là avec nous, tu ne nous quitteras jamais. Les morts, ceux que nous aimons, sont partout dans la nature (...), dans nos cœurs surtout".

Et comme celle que les comédiens burkinabè pleurent a été reconnue talentueuse par ses pairs dans le théâtre, des citations de dramaturges bien à propos ont été à l’ordre du jour. Ainsi, comme le dramaturge malien, Abib Dembélé, le porte-parole des comédiens a laissé entendre à l’endroit de Anne-Marie Gougi : "Tu es entrée dans la catégorie des ennemis de la mort car rien n’agace, n’énerve la mort conquérante que lorsqu’elle revient pour prendre une autre personne et qu’elle entende encore parler de celles qu’elle croyait avoir déjà emportées".
Les comédiens, par le biais de Jean-Pierre Guingané ont rassuré Mme Gougi que sa mémoire restera vivace dans leur esprit car : "Nous parlerons de toi à nos enfants et à nos cadets, n’en déplaise à la mort".

"Personne parmi tes enfants, n’est capable de résumer ta vie. Car à l’image d’un tapis de grande qualité, elle est richement brodée, épaisse, soyeuse et fine", a déclaré le Pr Guingané.

Même morte, elle joue au théâtre

La richesse de l’œuvre de Anne-Marie Gougi s’explique par le fait qu’elle ait été de toutes les initiatives théâtrales au Burkina.
Son nom est cité comme artisanne de l’UNEDO, de l’Association "talents de femmes", du Centre burkinabè de l’Institut internationale de théâtre (CB-IIT), le Festival international de théâtre et de marionnettes de Ouagadougou, etc.

Les acteurs du monde du théâtre burkinabè "estiment que Anne- Marie Gougi fait l’unanimité en leur sein, mais est peu connue du fait du caractère éphémère du théâtre". Le ministère de la Culture, du Tourisme et de la Communication, à travers son secrétaire général, Désiré Conombo, a témoigné sa gratitude à la défunte en ces termes : "Merci pour la flamme que vous avez allumée en pionnière du théâtre au Burkina Faso (...). Reposez en paix et que la terre (...) vous soit légère".

Mais apparemment, Anne-Marie Gougi, comme le diraient les traditionnalistes, ne voulaient pas partir. Il a fallu au moins trois essais avec le cercueil pour qu’enfin, l’ultime voyage pour tout vivant soit effectif. Ainsi, comme au théâtre et ayant été une talentueuse comédienne, Anne-Marie Gougi a fait son dernier jeu sur la scène de la vie, la vie étant un théâtre, avant de dire adieu à sa famille, ses proches, ses amis et surtout ses pairs, qu’elle laisse inconsolables derrière elle, heureusement, après leur avoir donné des repères.

Ali TRAORE
Ibrahiman SAKANDE

Témoignage du professeur Jean-Pierre Guingané sur la doyenne des comédiens burkinabè

"Je pense que je suis actuellement le doyen des hommes de théâtre de ce pays. J’ai connu assez tôt Anne-Marie Gougi. A l’époque, elle jouait à l’Atelier théâtrale de Ouagadougou (l’ATO), une troupe de coopérants, car nos troupes n’existaient pas encore. Par après, Mme Gougi a joué avec toutes les troupes qui ont existé, que ce soit la troupe radiophonique, etc. Elle a créé plein d’associations et surtout, elle était de grands conseils.

Quand on était déprimé, on recouvrait de l’énergie chez Anne-Marie Gougi pour repartir. Je crois que c’est ce qu’elle a voulu montrer, vous voyez son dernier film (quand les éléphants se battent), elle était sur la chaise roulante, grabataire, mais elle l’a fait. Je pense que c’est pour nous montrer que dans ce domaine, il faut aller jusqu’au bout. Pour nous, c’est un grand pilier qui s’écroule parce qu’elle faisait l’unanimité autour d’elle.

Anne Marie Gougi est peu connue car elle a été desservie par la nature du théâtre qui est éphémère. Au théâtre, dès que tu as fini de jouer, c’est fini ! Au cinéma, l’image permet de garder la mémoire des gens, mais au théâtre, ce n’est pas le cas, surtout quand on n’a pas une culture de la documentation".

Sidwaya