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Cinéma burkinabè : Les vérités d’Adama Rouamba

Publié le vendredi 24 août 2007 à 07h15min

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Adama Rouamba

Il a commencé à aimer le cinéma sur les plateaux de tournage où il "officiait" comme serveur de café et ramasseur de matériel. Aujourd’hui, Adama ROUAMBA, puisque c’est de lui qu’il s’agit, sans être l’icône du cinéma burkinabè, n’en demeure pas moins, un de ses porte-flambeaux au plan international.

La preuve, à peine dix ans dans le cinéma, le cinéaste burkinabè a engrangé plus de 40 prix sur le plan international. Ce n’est pas peu. Mais l’homme qui prône la modestie en tout temps et en tout lieu n’a pas encore dit son dernier mot. Nous l’avons rencontré pour échanger sur le cinéma burkinabè et la sortie de son dernier film "Petit sergent.

Adama ROUAMBA, quel souvenir gardes-tu du dernier FESPACO ?

Adama ROUAMBA (A.R) : Disons que le dernier FESPACO est d’abord une leçon pour nous cinéastes burkinabè et en même temps un peu de déception. Mais je pense que la leçon doit primer sur la déception. Aujourd’hui, on dit que le Burkina est la capitale du cinéma africain. Mais en réalité, c’est de forme, le fond n’existe plus. On est maintenant loin derrière certains pays émergents qui nous dament le pion. Vous savez, des manifestations comme le FESPACO se préparent dès la fin de l’édition. Il ne faut pas attendre un ou deux mois avant la prochaine édition pour commencer à courir de gauche à droite. Ce que je dis est valable et pour les organisateurs et pour les cinéastes. Je prends un exemple, au moment où je te parle, aucun programme concernant le prochain FESPACO n’est en vue, à ma connaissance. Aucun dossier de long ou de court-métrage de cinéaste burkinabè n’est avancé. On attend toujours la dernière minute. Un projet de tournage se prépare.

Je pense que chacun devra comprendre que pour le dernier FESPACO, il y a eu des erreurs à tous les niveaux et il faut les corriger pour avancer. Il ne faut pas qu’on se complaise dans la précipitation. Je prends un exemple, sur un film que je tournais avant le FESPACO. Il n’était pas totalement prêt, certains voulaient que je me précipite pour qu’il soit prêt pour le FESPACO. J’ai dit non ! Je pouvais le faire, mais est-ce que j’allais le monter comme il le faut ? Les techniciens n’étaient pas contents mais, j’ai refusé. On a fini le montage un mois après le FESPACO, et le mois qui suivait, j’ai remporté le grand prix au Canada.

Mais au dernier FESPACO, tu étais présent avec un film ?

A.R : J’étais présent avec le film "humanitaire", tourné dans des conditions difficiles. Je profite dire merci au ministère de la Culture et tous ceux qui ont travaillé sur ce film. Mais, bon, le film a eu 2 ou 3 prix spéciaux, je crois que c’est bon pour le moral et pour l’honneur du pays même si on n’a pas eu un prix officiel. Mais, ce même film, après le FESPACO a remporté un prix à l’extérieur. Et le mois prochain, il sera en compétition officielle au Canada.

Plusieurs salles de ciné sont fermées. Comment vis-tu cette situation du cinéma burkinabè ?

A.R : C’est avec amertume que je vis la situation. Mon souhait est que la CNSS qui a décidé de reprendre certaines salles puisse accélérer les choses pour l’ouverture de ces salles. Vous savez, par exemple que le public du "Ciné-Burkina", n’est pas forcément celui du "Ciné-Neerwaya". Je crois que dorénavant, si ces salles s’ouvrent, il faut trouver des gérants qui ont le cinéma dans le cœur et non de commerçants qui n’ont rien à "foutre" et qui voient seulement le profit.

Avec l’expérience que tu as en matière de cinéma tant africain, qu’européen, quelles solutions proposes-tu pour le développement du cinéma burkinabè, certains parleront de reconnaissance ?

A.R : Je pense qu’il faut arrêter les perfusions. Si je prends par exemple, le cinéma français, il vit beaucoup plus du billetage, des taxes sur certains produits audio-visuels. Nous pouvons réfléchir sur ces exemples pour voir comment rentabiliser les activités du secteur. Cela éviterait de toujours se tourner vers l’Etat.

Par exemple, lorsqu’un commerçant importe des CD vierges au Burkina, lorsqu’un commerçant importe les appareils de musique... c’est pourquoi faire ? C’est pour enregistrer, jouer des films ou écouter de la musique. C’est du matériel sur lequel on pourrait appliquer des taxes qui serviront à financer le cinéma burkinabè. C’est ainsi que des pays fonctionnent pour arriver à financer leur cinéma. A travers cette approche, on peut mettre en place un fonds et on n’aura plus besoin de compter toujours sur l’Etat qui a des priorités à gérer au quotidien. Je crois qu’ensemble, on peut mener la réflexion et trouver des solutions définitives aux problèmes que vit le cinéma burkinabè. Il faut arrêter d’attendre tout de l’Etat, même s’il a une part de responsabilité à jouer. C’est pourquoi, il nous faut un fonds géré par des professionnels et de manière professionnelle.

Ensuite, je pense que nos sociétés doivent nous soutenir. Par exemple, au dernier FESPACO, une société de la place a mis en jeu un prix spécial et ce prix a été décerné à un film étranger. Après, un ami maghrebin m’a remonté les bretelles en demandant si les organisateurs réfléchissent. Parce que pour lui, au Maghreb, c’est impensable qu’un film étranger puisse avoir un prix spécial mis en jeu par une société locale. La raison qu’il a évoquée, c’est que si la société existe c’est grâce aux contribuables du pays et ce n’est pas normal que son prix spécial ne soit décerné à un film du pays. Ici, on préfère donner les prix spéciaux des sociétés nationales à des films étrangers. Si c’était des organismes internationaux, on peut bien comprendre. Les prix spéciaux des sociétés et entreprises nationales doivent être décernés à des films nationaux.

Je ne suis pas un "protectionniste" mais il me semble qu’il y a une logique à respecter si on veut vraiment aider les cinéastes burkinabè. Je pense qu’il y a aujourd’hui des sociétés qui sont capables de nous soutenir, malheureusement certaines préfèrent soutenir des films étrangers, bien que je n’aime pas ce terme étranger. Quand un cinéaste burkinabè reçoit un prix à l’étranger, c’est d’abord l’honneur du pays, c’est le Burkina qui est honoré. Il faut que nos sociétés prennent le relais parce que le financement au niveau international se fait rare, pour ne pas dire qu’il n’existe plus. Je vais te dire une chose, le Burkina est un pays ouvert mais mal ouvert. Même dans les pays voisins et au-delà, le marché est serré pour tous les produits qui viennent du Burkina. Demandez par exemple aux artistes musiciens, ils vous le diront, leurs produits sont mal acceptés dans les pays voisins. Mais nous, c’est comme une poubelle, on reçoit tout, on consomme tout ce que les autres pays envoient. Il y a des séries étrangères qui passent sur la TNB mais ce sont des sociétés burkinabè qui "accompagnent" et soutiennent ces séries.

Ce qui est difficile dans les pays d’origine de ces séries pour des films burkinabè jamais les produits burkinabè ne seront accompagnés ailleurs par des sociétés de ces pas. Ce sont des exemples qui amènent à réfléchir. Il faudrait que nous aussi nous prenions conscience et tirons les leçons de ces situations, sinon, finalement, on nous prendra pour des cons. C’est nous qui acceptons tout alors qu’on ne veut rien accepter de nous. Ça donne à réfléchir. Il est temps qu’on change le fusil d’épaule. C’est connu, on a des produits de qualité, il faut qu’on soutienne ces produits. Si par exemple, certains films ou séries télévisées ont dépassé les frontières pour être prises au Burkina, c’est parce que ces films ou ces séries ont d’abord été soutenus dans leur pays d’origine, c’est parce que ces films ont été rentabilisés d’abord dans leur pays d’origine.

Je prends un exemple, pour la sortie de mon film "Le petit sergent", on a envoyé une centaine de correspondances de propositions de partenariat, seule une société de téléphonie de la place nous a répondu. Il ne faudrait pas un jour que les sociétés disent qu’on ne vient pas vers elles. Il faut que les choses changent. Je ne jette pas l’anathème sur quelqu’un. Mais on a intérêt à revoir les choses sur toute la chaîne.

Si on demandait à Adama ROUAMBA de faire un bilan de carrière cinématographique qui a aujourd’hui plus de 10 ans. Que retiens-tu ?

A.R : Effectivement, cela fait 14 ans que je suis dans le cinéma. Je pense que le bilan est "vachement" positif, parce que, partir de rien, s’auto-former et ensuite payer ses études cinématographiques en France et être arrivé à ce stade, je pense que c’est positif. C’est vrai que je vise encore plus loin, mais je peux dire même à ce stade, je peux dire que je suis sur le bon chemin. C’est vrai que le chemin est encore long.

Peux-tu me donner une idée des prix que tu as reçus tant au plan national qu’international ?

A.R : Je ne peux vraiment pas les citer, il y en a tellement. Mais aujourd’hui je suis à plus de 40 prix internationaux. Si aujourd’hui, j’ai à mon actif plus de 40 prix internationaux, je pense que c’est bien et ce n’est pas seulement pour mon bonheur, mais surtout pour celui du Burkina Faso, du peuple burkinabè qui a toujours soutenu ce que je fais. Je reçois les prix en tant que Burkinabè, donc c’est le Burkina qui est honoré.

Pour te citer quelques prix, je dirais que sans compter les différents prix du FESPACO, sache que j’ai eu les deux grands prix au Canada, en 2005, j’ai eu le grand prix du meilleur court métrage, cette année j’ai encore eu le grand prix de la meilleure série télé, toujours au Canada, dernièrement, le grand prix de la critique des journalistes à Paris.

Mon avant dernier court-métrage a été sacré meilleur court métrage africain de l’année 2005 au festival de Cannes.

Aujourd’hui, j’ai deux films qui sont en distribution aux USA par une grosse boite de distribution. Ce sont des acquis et c’est réconfortant et intéressant en tant que Burkinabè.

Avec tous ces prix internationaux, peut-on dire qu’Adama ROUAMBA est "financièrement assis" ?

A.R : Non ! Financièrement, je ne suis pas assis comme tu le dis. Souvent, c’est même difficile pour moi de joindre les deux bouts. C’est vrai que lorsqu’on est en production, on pense qu’on "brasse" des millions, mais après la production, on court même pour chercher du carburant pour se déplacer. C’est un boulot qui absorbe beaucoup d’argent. Donc, Adama ROUAMBA se débrouille.

Parles-nous de ton dernier film présenté récemment, "Petit sergent" ?

A.R : "Petit sergent" découle du film d’un cours d’histoire qui a eu le grand prix au FESPACO 2003. C’est une série tirée de ce film. J’en ai tourné 12 épisodes, il me reste 40 à tourner et Dieu merci cette série a remporté le grand prix à Montréal au Canada cette année 2007.

On en a donc tiré un long-métrage de 1 H 50 qui passe en salle actuellement. A sa projection récemment on a eu beaucoup de monde et je pense que c’est encourageant. Le public a bien accueilli le film. C’est d’abord une satisfaction morale. Tout à l’heure quand je venais, en circulation, quelqu’un m’a interpellé pour me féliciter pour le prix que j’ai eu récemment au Canada. Vous voyez ! Quand le public vous interpelle dans la rue, vous apprécie, ça fait chaud au cœur et on n’a pas envie de baisser les bras.

Le film est actuellement en tournée à l’intérieur du pays. Après les chaînes de télévisions nationales prendront le relais pour pouvoir satisfaire tout le monde.

Tu as ouvert à Ouaga une maison de production et de communication. Pourquoi, cette boîte et doit-on comprendre que tu viens t’installer définitivement au pays après plusieurs années en France ?

A.R : C’est vrai qu’il y a eu un moment où j’ai beaucoup vécu en France, mais je me suis dit qu’il est temps que je revienne chez moi. C’est ainsi que j’ai créé la boîte de production et de communication. Mes films étaient produits par une société avec laquelle je travaillais à Paris et en collaboration avec cette société j’ai ouvert ma boîte. Elle prend en charge mes films qui concernent la partie Afrique et la production française, c’est-à-dire la société en question, prend en charge le reste, c’est-à-dire l’industrie. C’est toute une chaîne dont une partie est au Burkina et l’autre à Paris en France. Cela me facilite la tâche parce que je ne serais plus obligé d’être tout le temps en France. Et ça donne une certaine liberté au niveau de la création.

Est-ce à dire que quelqu’un qui a un scénario de film sous la main peut venir voir Adama ROUAMBA ?

A.R : Oui. La maison de production, ce n’est pas pour produire que les films de Adama ROUAMBA. C’est pour tout le monde. Celui qui a un film peut venir, mes portes sont ouvertes, la boîte est à Ouaga 2000. Mais le problème, c’est comment trouver l’argent pour produire. Actuellement, il y a une jeune fille qui a un court métrage avec moi et on est en train de voir ensemble les possibilités pour que je puisse l’aider à sortir son film. Pour le moment je suis beaucoup plus à Ouaga qu’à Paris mais je ferai de temps en temps la navette pour les besoins de la production, le matériel qu’il faut envoyer, les fournitures pré-tournage, les contrats, etc. bref, pour que les choses marchent, on est obligé d’être entre deux avions.

Quel est le nom de la boîte de production ?

A.R : C’est "Film 21" et elle est ouverte à tous et à tout moment.

Par Interview réalisée par Idrissa BIRBA

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