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Les causes du succès du 4 août 1983 d’après le médecin commandant Jean-Baptiste Ouédraogo

Publié le lundi 13 août 2007 à 07h57min

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Depuis le 7 novembre 1982, le terrain politique a été occupé par les groupuscules de gauche principalement le PAI par LIPAD interposée qui multipliera les offensives contre les forces politiques de droite sur tous les plans : la formation de ses troupes, le recrutement de militants et de sympathisants dans tous les milieux civils comme militaires et la déstabilisation des autres formations politiques.

Après le 17 mai, elle s’emploiera avec brio à remonter le moral de ses militants et de celui de l’aile militaire qui lui était acquise. Elle parviendra à resserrer les rangs autour de l’unité de Pô et mènera une agitation permanente aux fins :

D’isoler le pouvoir par toutes sortes de manœuvres à l’encontre des travailleurs : menaces, intimidations, intoxication et intrigues de toute nature ;
De bloquer l’appareil d’Etat par toutes sortes de manèges : obstruction passive et active, sabotages divers et déstabilisation par voie de désinformation et de tracts ;
D’empêcher le retour à un régime constitutionnel normal non seulement en refusant de faire partie de la commission constitutionnelle nationale créée début juillet mais en décourageant les partis et les organisations de masses ou syndicales qu’elle manipulait ;
De déclencher une guerre civile par des menées subversives dans l’armée comme dans l’administration avec :
- Propagation de fausses rumeurs alarmistes à l’effet d’entretenir la psychose de l’insécurité ;
- Recrutement de soldats pour renforcer l’unité de Pô ;
- Menaces verbales et physiques à l’encontre des adversaires.

Une telle agitation politique suivie de formation militaire sur le terrain a contribué à la préparation morale et physique de l’unité de Pô, présentée dans le document de propagande tantôt comme l’armée de résistance nationale, tantôt comme l’armée de libération nationale. Enfin, pour maintenir la pression, la LIPAD s’opposera à tout compromis entre l’unité de Pô et le reste de l’armée totalement absente sur le terrain par toutes sortes de manœuvres de diversion.

Dans son travail de sape, la LIPAD sera épaulée par son alliée, l’ULC, à la reconstitution de laquelle elle avait activement contribué. L’autre groupe d’obédience communiste, le PCRV, Parti communiste révolutionnaire voltaïque, avait jugé inopportun et prématuré de s’impliquer dans une lutte qu’il estimait avoir été déclenchée par des fractions militaires, non pour l’avènement de la révolution, mais pour le simple contrôle du pouvoir. Un tel comportement de la part du PCRV découlait de sa stratégie du moment : ne prendre parti ni pour les forces de droite qu’il a toujours combattues ni pour les forces de gauche qu’il considérait comme ses rivales dans sa lutte pour la conquête du pouvoir.

Pendant ce temps, les partis de droite, encore sous le choc de ce qu’ils ont enduré depuis le 10 janvier 1983, ne s’activaient qu’au réveil de leurs structures et commençaient déjà à se disputer les places et les rôles qu’annonçait la future constitution. Aucune organisation donc aucune mobilisation ! Tous les ténors politiques d’antan, hormis Maurice Yaméogo qui tentera une sortie, semblaient avoir perdu leur pugnacité et leurs moyens.

Ils continueront cependant à gérer leurs affaires sans se soucier de donner la réplique à la LIPAD ou tout au moins de la contrer dans ses initiatives les plus osées. Un fait est sûr, aucune action d’envergure ne sera entreprise par les partis de droite qui se laisseront submerger par l’agitation gauchiste. En un mot, les groupuscules de gauche, seuls conscients de l’enjeu politique du moment, se partageront les rôles pour mieux occuper le terrain, laissant les forces de droite à l’expectative.

Une mention spéciale doit être faite à ce que j’appellerai la part de l’intervention étrangère. Effectivement, plus que l’agitation fébrile de la LIPAD, c’est l’intervention libyenne qui donnera un second souffle aux amis de Sankara. L’implication libyenne dans ce conflit n’a jamais été niée par les chefs de la révolution (cf déclarations de Thomas Sankara, de JJ Rawlings et de Kaddafi lors des visites de ces derniers en septembre 1983 à Pô, février 1984 à Bobo pour les Rawlings et décembre 1985 à Ouaga pour Kaddafi).

Effectivement, après l’expulsion du chargé d’affaires libyen à Ouagadougou, le colonel Kaddafi établira un véritable pont aérien entre Tripoli, Accra et Tamalé pour approvisionner la base de Pô en armements et équipements militaires via le Ghana. Des documents officiels et des inventaires précis seront dressés par la commission de réconciliation de l’armée que présidait le colonel Tamini. Le prétexte officiellement donné fut l’organisation de manœuvres militaires conjointes entre les armées libyennes et ghanéennes.

De nombreux rapports confidentiels, preuves à l’appui, ont été adressés au chef d’état-major général des armées, le colonel Tamini par les soins de notre ambassade à Accra et par d’autres voies. Le commandement détenait donc les preuves matérielles des armes libyennes qui ont fait la différence dans cette confrontation. L’argent libyen a servi, quant à lui, au recrutement d’anciens militaires des classes 80 et 81 que le CMRPN avait démobilisés.

Les services compétents de l’état-major en avaient établi une liste. Politiquement et diplomatiquement, le pouvoir révolutionnaire du Ghana a maintenu une position équivoque : tout en entretenant l’illusion d’œuvrer pour la réconciliation par l’envoi de mission de bons offices. J J Rawlings travaillait activement au renversement de la situation. Comble de malheur, au niveau du commandement de notre armée, c’était la carence totale et la démission.

Je n’en n’étais pas dupe mais les deux chefs militaires contactés pour assumer les fonctions de chef d’état-major déclineront la proposition pour diverses raisons. Le constat était donc simple : les décisions politiques restaient sans effet puisque non suivies de décisions militaires. Bref, le gros de la troupe marquait le pas alors que l’unité de Pô était politiquement dopée et militairement entraînée et suréquipée.

Source : Jean-Baptiste Ouédraogo, in Burkina Faso Cent ans d’histoire, 1895-1995 Tome 1

Bendré

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