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Magistrature : Le coup de balai de Koté

Publié le mercredi 1er août 2007 à 08h19min

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Zakalia Koté

" Même les tapis de son bureau, il a changé ", commente, entre surprise et admiration, un habitué de la chancellerie. Il faut dire que le nouveau ministre de la Justice a fait fort, dans un monde qui ne s’y attendait pas du tout. Alors jusqu’où ira Koté ?

Evidemment, en dehors des individus, c’est le système qui avait été institué par la gouvernance Badini qui est mis en cause. Est-ce la fin des juges "acquis" ? Certainement pas. Le ministre Koté reste, quoi qu’on dise, un homme du sérail. Il ne va pas de ce point de vue secouer l’édifice au point de le faire tomber. Sa glasnost à lui pourrait donc vite connaître ses limites. Elle semble même les avoir atteint au regard de la qualité des remplaçants.

En effet, préférer Kindo à Sagnon, comme procureur du Faso au TGI de Ouagadougou, c’est quelque part remplacer la peste par le choléra. Sur les pratiques condamnables, Sagnon au moins avait un peu de pudeur. Kindo a moins de scrupule. Il ne craint même pas d’écrire pour revendiquer son dû "pour s’être particulièrement investi dans un dossier ". Si un tel magistrat a été jugé digne de diriger un tribunal aussi important que celui de Ouagadougou, c’est que l’on a décidé de fermer les yeux sur certaines choses.

Le message a été, du reste, bien compris, particulièrement au TGI de Ouagadougou où continue de sévir le fameux juge " S " maintes fois épinglé dans des rapports officiels sur la corruption et qui est toujours à son poste. Pas plus tard que le jeudi 19 juillet dernier, il s’est encore fait remettre deux millions cinq cent mille dans une affaire d’abus de confiance portant sur une voiture, en contre partie d’une promesse de libération pour le prévenu. On peut donc dire que sur le système lui-même, il y a peu de chance que ça change.

Quelle peut être alors la marque Koté ? Elle est difficile pour l’instant à cerner clairement. En même temps que les premières actions laissent croire que nous sommes dans un changement dans la continuité, il est évident que la nomination d’un magistrat reconnu pour son intégrité comme Tougouri, l’ancien patron de la Haute autorité de lutte anti corruption, à un poste aussi stratégique que l’Inspection générale des services judiciaires, constitue un signe d’une volonté de moralisation du fonctionnement de la justice. Pour l’instant donc, la méthode Koté est faite d’un mélange de hardiesse et de conservatisme.

Ce que l’on en retient le plus pour l’instant, aspect sur lequel l’unanimité semble se faire, c’est le désaveu de la méthode Badini. Tous ceux que l’on pouvait considérer comme proches ou " acquis " au système Badini ont été balayés et sans ménagement. Même les plus en vue n’ont su qu’ils allaient être dégommés qu’à la lecture de la lettre qui leur était destinée. Complètement sonnés dans un premier temps, ils se sont ensuite concertés pour voir comment ils pouvaient s’opposer à cette mise à la touche peu glorieuse.

Les démarches ont été pour l’essentiel vaines. Puis, ils ont entrepris une action au sein de leur syndicat, le SAMAB, qui n’est pas allée très loin non plus. Avec le président Bonzi, que d’aucuns accusent de ne poursuivre que ses propres intérêts, on a fini par couper la poire en deux. Protester contre la manière dont les " camarades " ont été enlevés de leur poste, mais ne rien faire de plus, puisque ce sont d’autres membres du même syndicat qui ont été nommés. L’ère Badini se referme ainsi avec ses vedettes et ses nègres.

D’autres aspects des décisions de Koté relèvent de la conjecture. Il y en a qui pensent que l’on a voulu ainsi tourner la page de l’affaire Norbert Zongo, en congédiant Sagnon. Mais dans ce cas, la logique est bien bancale, puisqu’au même moment, on a promu le juge Wenceslas Ilboudo, celui-là même qui a instruit le dossier Norbert Zongo en le portant à la vice-présidence du TGI de Ouagadougou.

Il y en a aussi qui pensent que c’est l’affaire Telecel, "le gnadin de la famille" portée par Apollinaire Compaoré qui serait à la base de la valse sans ménagement des juges de Ouagadougou. Les trois juges qui ont connu de l’affaire ont été tous "décagnottés". De Millogo au vice-président de la Cour d’appel, tous ont été "awéwou !", pour emprunter cette expression de la langue lobiri qui veut dire chasser. Une expression qui rappelle une bien malheureuse anecdote au temps des dégagements du CNR. En effet, un animateur de la radio rurale aimait lire avec emphase les communiqués du Conseil des ministres du gouvernement révolutionnaire, notamment en ses volets concernant le dégagement et le licenciement des fonctionnaires. Quand il devait lire cette partie du compte rendu du Conseil des ministres, il prononçait le nom de la personne dégagée en appuyant particulièrement sur le " awéwou ! ", pour dire dégagé !

Il en fut ainsi jusqu’au jour où il s’est surpris à lire son propre dégagement. Visiblement, l’animateur ne s’était pas donné la peine de lire le communiqué avant de rentrer au studio. Emporté dans son élan, il prononça sa propre révocation, avant de réaliser que c’est de lui-même qu’il s’agissait cette fois. Evidemment, la fin ne fut pas aussi excitante que les précédentes fois. Quand il réalisa que c’est de lui qu’il s’agissait, il prononça le " awéwou ! " en tirant plus longtemps sur "wou !", donnant ainsi " awéwouououou !". Bref ! Revenons sur la question Telecel.

Cette affaire aurait donc bouffé le juge De Millogo, président du TGI de Ouagadougou, son adjoint Latin Poda et le vice-président de la Cour d’appel. Ceux qui soutiennent cette thèse voient derrière la manœuvre, le juge Frank Compaoré qui, assure-t-on, se serait investi auprès de ses homologues, sans succès, pour une décision en faveur d’Apollinaire Compaoré, donc en faveur des intérêts de "la famille". Mais cette explication est aussi infirme, puisque dans ce cas, Sagnon n’aurait pas dû être touché, puisqu’il s’agissait d’une affaire au civil.

Enfin, au-delà de ces conjectures, on peut simplement croire qu’il fallait de toute façon donner un peu d’air aux tribunaux les plus en vue. Dans une juridiction comme le TGI de Ouagadougou, le poste de procureur est trop important pour que son titulaire y restât aussi longtemps, comme ce fut le cas pour Sagnon. Bien sûr, il y avait la circonstance exceptionnelle créée par l’affaire Norbert Zongo. Mais maintenant que ce dossier est définitivement clos, il fallait changer. Même si comme le soutient un spécialiste de la procédure, il n’est pas évident que Sagnon et autres Wenceslas aient vraiment rendu service à ceux qu’ils croient avoir servi. Cela, on s’en rendra compte bien plus tard.

Par Newton Ahmed Barry


Le lourd héritage de Badini

Le problème est connu de tous. La justice malade est dans une longue et incertaine attente de l’homme providentiel. Ses maux se déclinent en terme d’inefficacité, de corruption, d’absence de crédibilité. Des universitaires comme Yarga Larba et Paul Kiemdé s’y sont essayés. En vain. On décida alors d’y envoyer un produit maison. Quand Boureima Badini arrive, la crise de confiance entre l’institution et les justiciables est à son paroxysme. Sa mission : récréer l’espoir. Sa méthode fondée sur le dilatoire a au moins réussi à calmer la rue. Il part cependant, en laissant derrière lui une maison dans une crise morale encore plus grande et une image profondément dégradée.

Zakalia Koté à la place de Badini. Qui l’eût cru avant la révélation du gouvernement Tertius ? Il y a de ces gourous dont l’image se confond tellement avec le paysage politique que l’on finit par croire à leur inamovibilité. Badini tenait la maison justice d’une main de fer. C’est une maison qu’il connait bien, puisqu’il appartient au cercle d’activistes du palais qui ont travaillé à neutraliser un autre activisme, celui du SAMAB, qu’ils disaient proche du PCRV.

Quand ils réussirent à en prendre le contrôle, c’est pour installer un ordre que d’aucuns qualifièrent de terroriste. Marginalisés, les amis de Halidou Ouédraogo n’eurent d’autre choix que de créer un nouveau syndicat, le SMB. Malheureusement, le nouveau syndicat n’a pu se hisser à la hauteur des défis qui se posaient à l’institution judiciaire et finit par sombrer dans une torpeur et une aphonie fatales. Evidemment, les jeunes magistrats qui arrivaient dans la maison ne trouvaient pas leur compte, ni dans le SAMAB ni au sein du SMB moribond. Ils décidèrent de créer un nouveau cadre. Ainsi naquit le SBM dont le premier secrétaire général fut Hervé Kam.

La justice, un enjeu de pouvoir

L’institution judiciaire est un enjeu stratégique pour le pouvoir politique. Et quand Badini arrive à la chancellerie, il se voit confronté à trois défis de l’institution : d’abord le défi de la crédibilité qui a sérieusement pâti de l’affaire Norbert Zongo. Il faut rappeler que l’affaire Zongo avait déjà emporté deux ministres. Ensuite, le défi de la corruption au regard des affaires qui éclaboussaient des magistrats. A côté de ces deux défis, le plus important pour le ministre Badini semblait être enfin celui de la discipline. Rien ne vaut la reprise en main de la situation dans les juridictions. Le jeune syndicat amené par Hervé Kam pose déjà problème, notamment par ses revendications jugées intempestives. Son dynamisme corporatiste attire les nouvelles recrues.

Pour contrer la montée en puissance du syndicat, Badini va se forger une arme. Le nouveau statut qui prive les magistrats du droit de grève. Il tire ainsi un premier enseignement de la grève de mars 2001, lancée par les jeunes magistrats. Dans la même foulée, il entend voir la justice fonctionner comme à la caserne. En voici la conception qu’il livre, dans L’Evénement N°49-50 du 25 août 2005 : " Dans la magistrature, le respect de la hiérarchie est une chose sacrée...Moi, chef de juridiction, personne ne peut me manquer de respect. Sinon, soit c’est moi qui pars, ou c’est vous qui partez. Vous savez, la magistrature c’est comme dans l’armée. " C’est clair.

Et dire que ce propos vient en réponse à une question concernant l’attitude d’un magistrat qui s’est opposé à une présidente de tribunal dans la célèbre affaire SOSACO où les soupçons de corruption paraissaient évidents.
Parallèlement à l’ordre militaire, Badini applique la théorie des " juges acquis " grâce à laquelle il étend sa férule et fait régner la terreur sur les tribunaux. Malheureusement, les " juges acquis " ne se signalent pas par des qualités vertueuses. Résultat, l’institution se trouve dans l’incapacité d’entreprendre la lutte contre la corruption qui est en train de la gangrener.

Les affaires ont fleuri sous le règne Badini

Bien qu’il s’en défende, il n’y a jamais eu chez le ministre Badini une réelle volonté de combattre la corruption. Pendant longtemps, il a prétendu que la corruption n’existait que dans la tête des journalistes. Aux journalistes qui parlaient de la corruption à la justice, il ânonnait la rengaine sur les preuves, alors qu’il lui appartenait de les rechercher. A telle enseigne que certains avaient fini par voir son ombre derrière les magistrats affairistes. Plus grave ! Au moment où des bruits de corruption se faisaient très persistants sur certains magistrats, Badini ne s’est pas gêné pour proposer une de ces icônes à la décoration.

Interpellé sur ce geste pour le moins curieux, il n’a eu d’autre réponse que celle-ci : " Je l’ai proposée parce que c’est un magistrat compétent ...et parce qu’elle a remis l’ordre et la discipline au tribunal..." Pas grave si c’est un ordre mafieux comme il le dit si bien : "Je vous avoue qu’avant, c’était la pagaille. Maintenant qu’il fasse des affaires, cela est une autre affaire." Une autre affaire qu’il a fallu prendre au sérieux en particulier grâce au travail inlassable des hommes de média.

En effet, les deux commissions commises pour cela ont été claires là-dessus. Les faits dénoncés par la presse ne sont pas des créatures de fiction, mais existent bel et bien et sévissent dans nos cours et tribunaux. Têtu comme il n’y a pas deux, Badini n’a pas donné à ces travaux, pourtant jugés pertinents, la suite qu’ils méritaient. Au contraire, il a poursuivi dans " la forfaiture " (le terme est de lui-même) qu’il disait prêt à assumer entièrement.

Le dossier Norbert Zongo

L’affaire Norbert Zongo est, à notre avis, le plus grave échec de la justice du Burkina. C’est une affaire qui constitue un exemple fragrant de mauvaise foi. A aucun moment, elle n’a réellement voulu investiguer dans ce dossier. Elle a joué à fond dans le dilatoire, juste pour laisser passer la bourrasque. Maintenant qu’elle estime que la situation est sous contrôle, la justice n’a éprouvé aucun scrupule à jeter bas les masques. Les acteurs de ce feuilleton ont depuis le début joué le jeu de la sournoiserie, dans une synchronisation parfaite : le juge d’instruction, les parquets, la chancellerie et bien sûr la cellule familiale du président.

Malheureusement, cela ressemble bien à un coup foireux parce que personne n’a été vraiment dupe. Bien sûr, certains ont pu croire à un certain moment que quelque chose pouvait sortir du chapeau. Mais cet espoir s’est vite envolé pour faire place à une légitime suspicion. Si bien que le non-lieu du 18 juillet 2006, bien que choquant, n’a pas surpris.

On voyait venir. Cette décision a un peu plus terni l’image de la justice. Badini peut aujourd’hui estimer qu’avec ses "juges acquis", le choix était bien limité. Mais l’histoire retiendra qu’ils ont été les conseillers juridiques de la famille présidentielle dans cette scabreuse affaire. En ne voulant faire la moindre concession pour la manifestation de la vérité, lui et son groupe ont dessiné un sombre avenir pour le Burkina.

Seuls les naïfs se font une illusion là-dessus. Tant que cette affaire ne connaîtra pas un traitement juste et équitable, ceux sur qui continuent de peser des présomptions pourront difficilement dormir d’un sommeil tranquille. Mais plutôt que de travailler dans le sens d’un dénouement équitable, Badini et ses hommes ont cherché à étouffer le dossier. C’est une forfaiture qui restera inscrite dans leur bilan.

Badini est donc parti alors même qu’il était attendu de nouveau à la Chancellerie. On lui prêtait même l’intention, dès son retour, de sortir la chicote pour mâter les jeunes magistrats pour leur donner l’envie de ne plus recommencer. Son successeur, lui, a emprunté le chemin inverse. Ses premiers actes montrent sa volonté de calmer le jeu. Il a pour lui la discrétion et le calme, des atouts subjectifs importants.

Il est en train de montrer qu’il est à la recherche d’une autre façon de gouverner. C’est au moins le signe d’une bonne lecture du bilan de son prédécesseur ainsi que des attentes sociales. Il faut seulement souhaiter qu’il soit porté par des vents favorables pour lui éviter les bêtises de son illustre prédécesseur

Par Germain B. Nama


Avis Avisé : Justice,leurres ou Lueurs ?

Après avoir eu connaissances des conclusions des travaux du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) du 13 juillet dernier, et notamment du mouvement des magistrats qui en a résulté, l’ex-ministre de la Justice a dû se retourner dans ... son placard.

Ce CSM, le premier tenu sans lui depuis sept (7) ans est un double désaveu de sa politique.

D’abord, un désaveu dans sa gestion générale des relations entre la chancellerie et la magistrature : en effet, il semble que l’ère de la philosophie selon laquelle la magistrature est organisée "comme l’armée" où les juges doivent obéissance sans murmures ni hésitation au ministre soit en passe d’être révolue.
Finie la promotion systématique des " juges qui nous sont acquis" ?

Finie la guerre insensée au SBM que l’on n’a pas réussi à faire taire malgré le départ de son emblématique président KAM Hervé, qui a préféré démissionner purement et simplement de la magistrature.

Finie l’époque où le ministre n’avait jamais les preuves des forfaits qui étaient dénoncés lorsqu’ils étaient le fait de juges acquis qui sévissaient prestement contre la moindre peccadille reprochée à un magistrat se voulant indépendant ? Il ne faut pas trop rêver.
Zakalia Koté n’est pas venu faire la révolution, mais il veut montrer clairement que " lui c’est lui, moi c’est moi ".

Et en dénonçant aussi clairement les ripoux et en affirmant sa volonté de n’avoir affaire qu’à des " magistrats compétents et intègres " sans retenir le fameux critère de " l’acquisition ", il marque la rupture, au moins dans le style.

Les magistrats intègres feraient bien de lui donner le bénéfice de la bonne foi, d’autant que lui-même a la réputation d’avoir toujours été un homme hors de toutes les mafias qui se sont organisées autour du Palais de Justice.
Puis, joignant l’acte à la parole, Koté a fait virer du beau monde !

C’est vrai que ces gens étaient tellement décriés qu’ils ne servaient plus à rien, ou plutôt qu’ils avaient fini de servir, mais le geste, en ce moment précis est porteur d’un enseignement et d’un message forts : au fond, les puissants n’ont que du mépris à l’égard des zélateurs, voilà pour l’enseignement.

Pour le message : il est destiné aux autres magistrats et à ceux qui aspirent à entrer dans ce corps : tout n’est pas pourri et nous ne sommes pas tous ce que vous croyez.
Koté n’avait pas besoin de grands discours, personne du reste n’aurait écouté. Il lui fallait juste faire naître l’espoir, commencer à nettoyer la maison.
Maintenant que l’espoir est né, il lui appartient de ne pas décevoir n

Oumar Ouédraogo

L’Evénement

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