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Reconciliation nationale : L’évêque de Kaya refuse la polémique

Publié le vendredi 13 juillet 2007 à 07h24min

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Mgr Thomas Kaboré

Suite à la publication du message de soutien de la commission épiscopale "Justice et Paix" au mouvement des "Femmes en noir", des lecteurs ont exprimé leur point de vue dans certains médias qui interpellent le président de ladite commission.

Tandis que certains lecteurs considèrent ce message à la fois comme une marche en arrière de l’Eglise catholique dans le cadre du processus de réconciliation nationale et un désaveu du président de la Journée nationale de pardon, d’autres désapprouvent totalement la démarche. Sans polémique et tout en remerciant les auteurs des différents écrits, voici la réponse du président de la commission épiscopale "Justice et Paix", Son Excellence monseigneur Thomas Kaboré.

A propos de l’article Réconciliation nationale : "L’Eglise fait-elle marche arrière ?" du Journal du Jeudi N°821 du 14 au 20 juin 2007, l’auteur du message au "femmes en noir" que je suis s’est senti le devoir d’apporter une réponse aux questions posées par l’article, en espérant infirmer les deux hypothèses que l’auteur proposait aux lecteurs.

L’intention de l’évêque de Kaya n’est pas d’instaurer une polémique avec qui que ce soit, mais d’assumer la responsabilité que ses pairs lui ont confiée, celle de présider la commission Justice et Paix, une commission pontificale dont celle du Burkina n’est qu’un démembrement. En instituant une telle commission, l’Eglise veut assumer son rôle prophétique à travers le monde. Ce n’est pas au Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques que l’Eglise emprunte son vocabulaire, mais aux prophètes que Dieu "établit sur les nations et sur les Royaumes, pour arracher et renverser, pour exterminer et démolir, pour bâtir et planter." Jer.1,10

La politique et la pastorale

L’Eglise agit et prend position sur les questions et les problèmes communs, non par calcul politique mais dans une attitude pastorale. Le pasteur veut le bien de tous dans la vérité ; la conversion des agresseurs et le réconfort des victimes ; le bien de celui qui s’est égaré par sa faute, comme de ceux qui sont restés dans le droit chemin. Il importe donc pour l’Eglise de dénoncer l’injustice avec fermeté, et en même temps, de ne diaboliser personne, de n’éloigner personne.

Lors de la Journée du pardon, l’Eglise a mis en oeuvre cette attitude pastorale que les politiques comprennent difficilement. Elle ne pouvait se tenir à l’écart pour tirer partie d’une lourde faute, afin d’assommer un coupable (ou un ennemi pour certains). Cela aurait sans doute réussi à exacerber les sentiments d’hostilités, avec leur cortège de haine et de violence, mais n’aurait nullement apporté l’apaisement souhaité.

Dès lors qu’il s’agit de "Pardon", les forces de paix ne se doivent-elles pas de faire leur possible pour apporter le meilleur d’elles-mêmes afin de donner des chances, si minces soient-elles, à la recherche de la paix ? C’est ce que firent toutes les religions, protestante islamique et catholique L’attitude pastorale veut ainsi le bien de tous : du coupable et des victimes ; ils doivent continuer de vivre ensemble, et mieux, de construire ensemble leur Faso commun.

Pour travailler à la paix, il faut y croire !

L’Eglise suit encore une logique de foi en la réconciliation : les coupables comme les victimes sont tous des frères qui doivent se réconcilier. Ce n’est pas faire preuve de naïveté comme penseraient les politiques, c’est au contraire le réalisme même. La Bible enseigne que dès l’origine de l’humanité, les premiers frères furent ennemis et homicides. Caïn tua Abel ! mais ils étaient malgré tout des frères. Le plus important, c’est cette affirmation de leur fraternité parce qu’elle porte le germe d’une possible réconciliation, d’une espérance. L’Eglise sait donc que la guerre est aussi vieille que l’humanité, mais elle refuse d’ériger la lutte des classes et la guerre systématique en méthode et en idéologie. La démarche pastorale vise donc à la réconciliation et à la paix, parce que l’Eglise y croit, vit et travaille pour cela.

L’analyse faite dans le Journal du Jeudi à propos du virage à 180° de l’Eglise suit une autre logique que celle de l’Eglise : cette logique qui ne croit pas à la réconciliation, qui prend son parti, et lutte à mort, c’est la logique de la lutte des classes. En définitive, cette logique est celle du "ôte-toi que je m’y mette". Il s’ensuivra toujours des incompréhensions irréductibles avec l’Eglise, car elle ne croit pas à la lutte systématique, et même, la rejette ; la mentalité de lutte systématique est malheureusement la méthode par excellence de la politique et des politiciens.

Heureux les affamés et assoiffés de justice

Le soutien des "femmes en noir" suit aussi cette même attitude pastorale qui se préoccupe des faibles, des oubliés, de ceux qui souffrent. l’Eglise réclame pour eux vérité et justice. L’évêque de Kaya n’apporte aucun désaveu à l’archevêque de Bobo, et il n’y a aucune lutte de factions rivales au sein du collège épiscopal. L’Eglise affirme seulement par là qu’elle est attentive aux victimes, et réclame ce qui apaisera le plus leurs souffrances : la justice par la vérité qui réhabilitera leur disparu ; pour un parent, quoi de plus insupportable que de voir son proche abattu comme un animal ou un criminel alors que l’on s’attendrait à voir exalter ses mérites dans le service de la patrie ? S’étant donc engagée pour le pardon, l’Eglise se reconnaît plus d’un titre pour réclamer vérité et justice pour les victimes, afin de rendre le pardon possible.

Enfin, à propos de l’affaire Norbert Zongo, l’Eglise s’est exprimée à propos du non-lieu et n’a pas attendu le 3 juin pour faire ses réserves. Il me plaît ainsi de porter à la connaissance de tous les lecteurs la toute première des 5 recommandations de la deuxième Semaine sociale de l’Eglise catholique du Burkina en novembre 2006 :

"Considérant.....

Prenant en compte les vives réactions de désapprobation enregistrées à la suite du non-lieu prononcé dans le traitement de l’affaire Norbert Zongo ;

Estimant :....

Nous, participants à la 2e semaine sociale de l’Eglise Catholique au Burkina Faso, tenue du 6 au 9 novembre 2006 au Centre national cardinal Paul Zoungrana, sous le thème « La justice sociale et la paix au Burkina Faso : quelle contribution de l’Eglise catholique ?"

Exprimons notre vive inquiétude et notre malaise profond face à ce non-lieu ;

Recommandons vivement aux autorités politiques et judiciaires :

que des mesures appropriées soient prises pour la suite de l’examen de ce dossier en vue d’aboutir à une justice équitable." Ouagadougou, le 9 novembre 2006. Les participants.

L’évêque de Kaya se devait de répondre aux questions posées dans l’article "Réconciliation nationale" du Journal du Jeudi N°821 du 14 au 20 juin 2007 ; il répond que l’Eglise ne fait ni marche arrière ni marche avant selon la géométrie de la politique ; elle suit son chemin propre. Son chemin est sans doute déconcertant puisqu’elle essaie de suivre celui de son Seigneur qui aima le pécheur tout en condamnant son péché ; chemin inconfortable assurément, mais le seul à même d’atteindre le but que poursuit l’Eglise : la vérité et la justice, la réconciliation nationale et la paix.

Mgr Thomas Kaboré,
Evêque de Kaya,
Président de La Commission Justice et Paix

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 13 juillet 2007 à 08:35, par P. Paul BERE, SJ En réponse à : > Reconciliation nationale : L’évêque de Kaya refuse la polémique

    Cette mise au point est à mon avis excellente. Elle a une architecture, un ton et un niveau de langue d’une tenue à ne pas banaliser. Ce pasteur a bien fait d’avoir répondu. Car ce texte est une manière d’exercer, il me semble, la mission d’enseignement qui incombe à l’évêque. Je sais que les lecteurs attentifs remarqueront, en le lisant, que la vie ne se comprend qu’à la lumière des grands paradoxes : vérité et justice ; pardon et justice ; amour et vérité ; etc. Cette polarité est le moteur de la vie humaine en général et de toute vie en société. J’invite les autres lecteurs à lui consacrer leur temps. C’en vaut vraiment la peine.

  • Le 13 juillet 2007 à 11:01, par oumar En réponse à : > Reconciliation nationale : L’évêque de Kaya refuse la polémique

    Il faut saluer cette attitude très noble de l’église.Depuis un ceratins temps nous pensions tous que l’église catholique était inféodée au regime.En rappel les propos de monseigneur Jean Marie compaoré à propos de l’éligibilité de Monsieur Blaise Compoaré et la journée nationale du pardon organisée sans les parents de certaines victimes.La réligion (le réligieux) doit enseigner la justice, la fraternité et la tolérance.La réligion doit dire la vérité en toute impartialité.Nous sommes tous les enfants de Dieu, aucun d’entre nous ne doit etre victime d’une injustice sous le silence coupable de nos autorités réligieuses.Nos réligieux doivent denoncer la corruption, les crimes économiques et de sang.Il ya eu les élections, les examens du BEPC où des fraudes ont été constatées, cependant aucune autorité réligieuse n’a élévé le ton pour dénoncer ces dérives.Bien au contraire se sont ces mêmes réligieux qui organisent des céromonies de bénédictions pour ces fraudeurs.Certains hommes réligieux, surtout les chefs coutumiers et les imans, sont réduits au silence ou au mensonges de peur de se voir débarquer de leur "postes juteux" par les hommes de main de ce régime qui sont influents dans les sphères de décision de nos communautés réligieuses.
    A l’image de l’église catholique qui vient de démontrer qu’elle veut réconcilier ses fils dans la fraternité, la justice et la tolérance je voudrais inviter les autres autorités réligieuses : les chefs coutumiers, les imans à plus de discernement, à plus d’indépendance et à plus d’impartialité.Le coran enseigne la justice et l’égalité entre tous les enfants de Dieu. A la mosqué (même si c’est pas le cas au Bukina), l’ouvrier et le chef d’entreprise ou le ministre prient orteils contre orteils.
    Merci à l’êvêque de Kaya pour ce écrit.

  • Le 13 juillet 2007 à 14:18 En réponse à : > Reconciliation nationale : L’évêque de Kaya refuse la polémique

    A tout Seigneur tout honneur !
    Appelons un chat un chat. Si on fait abstraction de la sortie dans les média du chef de l’Eglise catholique où il semblait donner un avis personnel perçu aussi comme une mobolisation autour de ......Reconnaissons, moi je suis protestant, qu’ici au Burkina, l’Eglise catholique a le mérite d’assumer avec une dignité son pouvoir intemporel loin de la compromission et des sermons DJ Atalaku.

  • Le 13 juillet 2007 à 18:44, par Wendy En réponse à : > Reconciliation nationale : L’évêque de Kaya refuse la polémique

    Monseigneur, Que notre Sauveur vous accompagne dans votre demarche. Qu’Il descende sa grace sur le Faso. Amen

  • Le 13 juillet 2007 à 20:51 En réponse à : > Reconciliation nationale : L’évêque de Kaya refuse la polémique

    Après avoir lu l’article de l’évêque de Kaya, j’ai tenté de me contenir , mais hélas , la force de l’écrit m’oblige à saluer la grandeur de l’esprit de l’homme(l’évêque). Du reste, ce n’est pas pour rien qu’il est évêque ! Dieu sait pourquoi, il l’a placé là. Merci à l’évêque , pour ce riche enseignement qui malheureusement, n’est pas compris par tout le monde . En fait, il faut être dans une certaine disposition spirituelle, pour comprendre l’évêque. Ce qui n’est pas le cas, chez ceux qui pensent que soutenir "les femmes en noire " , est pour l’Eglise, une façon de semer la confusion dans ses engagements, ses principes, sa vision du monde et d’effectuer un revirement quelconque. Vous savez , la logique de l’Eglise(de DIEU) n’est pas faite pour plaire à quelqu’un, surtout pas à ceux qui sont fait pour aimer les choses éphémères de ce monde. Vous savez pourquoi on souffre sur terre ? parcequ’on refuse la vérité, l’humilité, la justice, le pardon, l’amour du prochain, la paix , la tolérance...etc. L’écrit de l’évêque partage et laisse transparaître ces vertus. Alors, qui dit mieux ? En quoi aimer son prochain est mauvais ? en quoi pardonner est mauvais ? en quoi rendre justice est mauvais ? Voilà les défis que l’Homme doit relever sur terre.
    Alors, évitons les abus, les dérives, les accusations fortuites, soyons tolérant, aimons notre pays.
    L’Eglise n’est contre personne, elle n’est pas partisane et si Dieu lui même accepte pardonner les criminels, qui êtes vous pour refuser de pardonner ? Si Dieu rend justice, qui êtes vous pour remettre en cause cette justice ? qui de nous n’avons pas encore commis un pêché ? est ce pour autant que l’évêque se fait le devoir de nous fermer les portes de l’église ? Si l’Homme pouvait tout faire , il allait décreter la paix, la démocratie, la justice, le developpement et surtout rendre l’Homme immortel . N’est ce pas ? Alors, pas de polémique autour de la position de l’Eglise ,contentons nous d’être correcte et le monde ira mieux. Je vous aime tous !

  • Le 14 juillet 2007 à 00:49, par KgB En réponse à : > Reconciliation nationale : L’évêque de Kaya refuse la polémique

    Le message essentiel ici c’est la reaffirmation que l’Eglise est en desaccord avec notre Justice au sujet du non-lieu de l’affaire Zongo. Donc au dela du Collectif, l’Eglise, force morale, aussi est INQUIETE. Le debat n’est donc pas encore clos ( en tout cas pas aussi rapidement comme certains le souhaitent).

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