LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Marie-Soleil frère, enseignant chercheur en journalisme : "Une partie de mon coeur est restée au Burkina"

Publié le mercredi 11 juillet 2007 à 08h15min

PARTAGER :                          

Marie-Soleil Frère

Cela fait déjà plus de 6 ans qu’on ne rencontre plus sa fine silhouette à l’université de Ouagadougou. Le docteur Marie-Soleil Frère, connue dans le milieu des médias pour avoir enseigné le journalisme, poursuit la recherche à l’Université libre de Belgique. Lors de son séjour au Burkina dans le cadre de la 4e CIRCAF, nous nous sommes entretenus avec elle sur ses activités et ses publications.

Le Pays : Vous êtes partie du Burkina Faso, il y a quelques années. Pouvez-vous nous dire ce que vous devenez ?

Marie-Soleil Frère : J’ai quitté le Burkina fin 2000 pour entrer à l’Agence intergouvernementale de la Francophonie où je me suis occupée pendant plus de 3 ans d’un programme d’appui aux médias du Sud. Fin 2003, j’ai quitté la Francophonie pour retourner à Bruxelles, à mon université d’origine, l’Université Libre de Bruxelles en tant que chercheur du Fonds national de la recherche scientifique. J’ai un mandat de recherche qui me permet de continuer mes travaux sur les médias en Afrique et le rôle des médias dans les évolutions politiques du continent.

Justement, pouvez-vous revenir sur tout ce que vous avez pu faire depuis comme publications ?

Quand j’étais au Burkina j’ai co-écrit un livre avec le professeur Serge Théophile Balima sur les médias et les communications sociales au Burkina qui est une tentative d’exploration, d’approche socio-économique des médias non seulement à Ouagadougou mais aussi dans les villes des provinces. C’est une étude qui au départ nous avait été commandée par la Coopération canadienne. On a donc eu des moyens pour mener des enquêtes de terrain à la fois du côté des producteurs d’information, des médias et des consommateurs. Nous avons pu interroger un échantillon de près de 700 personnes sur leur consommation médiatique et l’ouvrage est essentiellement fondé sur les résultats de cette étude. Il est paru en 2003, après que j’ai quitté le Burkina. Depuis lors j’ai publié un autre livre sur le rôle des médias dans les conflits en Afrique centrale parce que parallèlement à mon travail à l’Université de Bruxelles, je collabore en tant qu’expert associé avec une ONG qui s’appelle l’Institut Panos Paris qui est active pour appuyer les médias en Afrique Centrale, essentiellement dans la région des Grands Lacs.

Dans ce cadre, j’ai eu à voyager ces dernières années en Afrique centrale surtout au Rwanda, au Burundi et au Congo Démocratique. Et j’ai publié en 2005 un ouvrage qui présente l’expérience médiatique récente et surtout le rôle qu’ont joué les médias dans les conflits de la région dans 9 pays d’Afrique centrale dont 3 ont connu des conflits violents (le Rwanda, le Burundi et la RDC), 3 des guerres civiles ou des rebellions intérieures violentes, mais aussi avec des conflits de moindre ampleur que les Grands Lacs (ce sont le Congo Brazzaville, la République Centrafricaine et le Tchad). Enfin 3 autres pays d’Afrique centrale n’ont pas connu véritablement de guerres mais les tensions politiques restent très fortes et le rôle des médias doit être surveillé de près. Ce sont le Cameroun, le Gabon et la Guinée Equatoriale. Après cela j’ai travaillé sur l’édition anglaise de ce livre qui est sorti aux Etats-Unis il y a quelques mois. C’est vrai que la traduction en anglais m’a pris beaucoup de temps.

Maintenant je prépare un nouvel ouvrage qui portera sur le rôle des médias dans les processus électoraux surtout dans les pays post conflits, ceux qui sortent d’une situation de guerre comme le Congo et le Burundi. Il y a été organisé des élections qui marquaient la fin d’un processus de paix et les médias ont eu à jouer un rôle parfois négatif, parfois positif dans le déroulement de ces scrutins. C’est un enjeu extrêmement important comme on le verra sans doute en Côte d’Ivoire d’ici quelques mois si les élections sont organisées. L’enjeu de l’organisation des premiers scrutins pluriels après un conflit dans un pays, c’est toujours un moment extrêmement tendu et un moment stratégique où les médias peuvent contribuer positivement ou négativement.

Pouvez-vous nous donner votre point de vue par rapport aux médias en Afrique et particulièrement ceux du Burkina Faso à l’heure actuelle ?

Les médias d’Afrique anglophone évoluent d’une manière différente de ceux de l’Afrique francophone. Dans le cadre de mes activités récentes, j’ai eu l’occasion d’aller plusieurs fois en Tanzanie et au Kenya. J’observe quand même que la presse dans ces pays se structure en entreprise et parfois en entreprise multimédia. Vous avez des quotidiens privés en Tanzanie qui ont des tirages de 40 000, 50 000 exemplaires qui ont une position sur le marché, plus forte que les journaux d’Afrique francophone, même dans les pays où il y a une tradition de lecture et une presse à plus grand tirage comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. C’est là une première tendance.

Il y a eu une période au début des années 90 (la libéralisation) où ce qui était important, c’était de dire ce qu’on voulait dire, de pouvoir critiquer les pouvoirs en place, de pouvoir proposer des idées, des perspectives alternatives. Ce qui était important avant tout, c’était la liberté d’expression. Après il y a eu une période où le paysage étant libéralisé, les journaux les médias évoluant dans des contextes de cadres légaux qui permettaient une expression plurielle, l’enjeu était la structuration des entreprises. Le fait donc que les journaux et les radios devaient pouvoir se positionner sur le marché comme des structures viables, pérennes, capables de rémunérer leurs journalistes de manière correcte, de pouvoir investir dans le matériel, dans une évolution technologique a été l’enjeu majeur de la fin des années 1990.

Depuis quelques années il y a une autre phase qui est en train de s’ouvrir pour la presse d’Afrique francophone qu’on constate un peu partout, une espèce de découragement face au processus démocratique. On constate aussi des reprises en main autoritaires du milieu des médias dans quelques pays. Je crois donc que de nouveau la liberté de la presse et la liberté d’expression doivent être remises à l’avant-plan parce que les problèmes que rencontrent les médias aujourd’hui ne sont pas seulement des problèmes de structuration en entreprise. On l’a vu récemment avec le cas de ces journalistes maliens. C’était quand même un incident remarquable dans ce pays qui a été montré comme exemple de lieu d’expression libre et plurielle et que cette affaire de dissertation puisse aboutir à des condamnations en justice de journalistes.

Concernant le Burkina, j’avoue que je n’ai pas eu le temps de feuilleter les journaux, d’écouter la radio ou de regarder la télévision parce que j’ai été prise par la 4e CIRCAF. Mais je crois qu’il y a une espèce de stabilisation du paysage médiatique au Burkina. En tout cas au niveau de la presse écrite, l’évolution n’est pas très sensible. L’année dernière, suite à mon passage, une petite étude sur la manière dont les journaux avaient couvert le non-lieu dans le cadre de l’affaire Norbert Zongo. J’ai fait une étude de contenu qui portait sur les mois de juillet et août 2006. Je suis arrivée à la conclusion qu’on a un paysage qui se partage entre une presse quotidienne qui est relativement prudente, qui publie beaucoup de communiqués, qui relaie beaucoup de positions extérieures à la rédaction, donc qui s’engage assez peu dans le débat politique. A côté de celle-là on a une presse périodique qui est plus engagée et très clivée entre des journaux d’opinion proches du pouvoir en place comme l’Opinion et l’Hebdomadaire du Burkina. On a également des journaux d’opinion qui sont de tendance critique et opposée, comme Bendré. Bref, au niveau des périodiques il y a une polarisation et un engagement politique beaucoup plus forts.

Où réside actuellement la famille Minoungou ? En Belgique ou au Burkina ?

La famille Minoungou réside en Belgique mais partiellement (rires) puisque la famille de mon époux est ici au Burkina et qu’en plus chacun de nous continue d’y avoir des projets. Etienne Minoungou continue de conduire son projet de Récréatrales qui l’amène à passer plusieurs mois au Burkina chaque année. Moi-même je continue à collaborer avec mes anciens collègues puisqu’il y a un petit projet de collaboration entre l’Université libre de Bruxelles et le Département de Communication et de Journalisme de l’Université de Ouagadougou, ce qui permet encore chaque année à un certain nombre de professeurs visiteurs de venir soutenir le DEA qui a été mis en place. On continue aussi de soutenir des jeunes chercheurs qui entament des doctorats. Ce petit partenariat fait que je garde quelques activités au Burkina, ce qui signifie qu’une partie de mon coeur est toujours ici.

Pouvez-vous dire un mot sur les défis de la convergence qui étaient au coeur des échanges de la 4e CIRCAF ?

Les défis que posent la convergence sont assez nombreux. La convergence est une évolution liée à celle de la technologie, qui permet désormais d’intégrer différents supports pour la diffusion de l’information en temps réel sur la planète entière. Le défi de cette convergence est que l’Afrique ne peut pas rester en dehors de ce grand mouvement et que l’augmentation des diffuseurs transnationaux met les médias africains dans une position constante de confrontation avec des images et des contenus qui viennent de l’extérieur. Quand on voit par exemple, la proportion de contenus sur Internet qui sont élaborés en Afrique, elle est extrêmement réduite par rapport au nombre de pages disponibles sur Internet.

Le défi, c’est que l’Afrique puisse prendre véritablement sa place dans cette société de l’information, être visible, que ses médias locaux parviennent à s’approprier ces nouvelles technologies, à les intégrer dans le processus de collecte, de traitement et de diffusion de l’information afin que le continent noir reste visible à ses propres yeux. Il ne faut pas que les publics africains soient confrontés d’une manière croissante à des images venant de l’extérieur et ne soient plus en contact avec des contenus et des programmes qui concernent leurs propres réalités. Il y a donc, d’une part, un défi d’appropriation de technologies et, d’autre part, un défi qui est celui du renforcement de la production locale, de pouvoir rester présent et visible sur la grande scène mondiale de l’information.

Propos recueillis par Dayang-ne-Wendé P. SILGA et Gontran ZOUNGRANA

Le Pays

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 11 juillet 2007 à 14:20, par Un ancien du département d’arts et com UO En réponse à : > Marie-Soleil frère, enseignant chercheur en journalisme : "Une partie de mon coeur est restée au Burkina"

    Merci mon Prof, nous vous devons une éternelle reconnaissance pour la generosité dont vous avez fait montre dans le partage de votre savoir.

  • Le 26 juillet 2007 à 17:07, par Le Reporter, mensuel d’enquêtes et de reportages En réponse à : > Marie-Soleil frère, enseignant chercheur en journalisme : "Une partie de mon coeur est restée au Burkina"

    Merci, Professeur !Merci d’avoir partagé avec nous, durant toutes ces années, vos connaissances et vos expériences, les valeurs cardinales du journalisme et leurs applications pratiques. J’ai le plaisir de vous informer que nous avons créé, depuis le 1er juillet 2007, un mensuel d’enquêtes et de reportages, dénommé Le Reporter. Il ambitionne de devenir un bimensuel. Voici quelques titres du premier numéro : "COUR DES COMPTES : Au s’cours, ils pillent le trésor public !", "FOOTBALL BURKINABE : Le drame d’une politique de navigation à vue", "EXAMENS SCOLAIRES : Voici comment on fraude", "EXPLOITATION DE MINES D’OR : La lente agonie de Poura", "SAMS’K LE JAH, ANIMATEUR RADIO ET ARTISTE ENGAGE : Ceux qui me menacent de mort sont de minables petits esprits égarés", "GOUVERNANCE ET MORALE AU BURKINA : la société, otage de l’Argent devenu Dieu", "FILLES DE BAR :Nous, bordelles ?", "RESEAUX CONFIDENTIELS : Où est passé Me Fahiri Somda ?", EDITORIAL : le sens de notre engagement". Directeur de publication : Boureima OUEDRAOGO, Rédacteur en Chef : Hervé TAOKO. Contact :reporterbf@yahoo.fr. Téléphone :(+226) 70 30 03 88. Merci et à bientôt ! Hervé

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique