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Théâtre : « L’Os de Mor Lam » étale sa moelle au CITO

Publié le jeudi 5 juillet 2007 à 07h06min

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« L’Os de Mor Lam », comédie de Biraogo Diop adaptée et mise en scène par Issiaka Savadogo, était à l’affiche au CITO tout le mois de juin. Occasion de revenir sur les premiers pas d’un metteur en scène et la naissance d’un grand comique en la personne de Sidiki Yougbaré.

En décidant de mettre en scène « L’os de Mor Lam » de Biraogo Diop, Issiaka Sawadogo n’a pas choisi la facilité pour son baptême du feu. Ce conte très dialogué est un classique au programme dans nos lycées. Il fut adapté en pièce dramatique en 1976 par Biraogo Diop lui-même. Mettre en scène ce texte très connu et souvent joué confronte aux mises en scènes ultérieures et la comparaison avec les devanciers s’impose. Relire le texte sous un angle nouveau, le montrer sous un autre jour est donc impérieux.

Victor Hugo, qui est aussi dramaturge disait : « N’imite rien ni personne. Un lion qui copie un lion devient un singe ». Issiaka réussit à éviter la singerie en transposant son histoire dans un camp de réfugiés, ce qui donne à ce texte des années 70 une résonance très actuelle. Car l’Afrique est devenue un immense camp de réfugiés à cause des guerres fratricides et des désastres climatiques dont elle est le foyer.

En outre l’utilisation judicieuse de la Kora et de la voix entraînante de Barry Fils et la création des personnages très typés comme le Lépreux, le Boxeur, le Sculpteur, l’Orpheline, attendrissante et pathétique et « International », un travailleur de l’humanitaire, enrichissent la pièce et nous donnent d’intenses moments de rires. Mais le casting, en privilégiant la notoriété cathodique de certains acteurs au détriment de leur épaisseur de comédiens de théâtre a plus misé sur le marketing que sur le talent des acteurs.

Ce qui donne des prestations très inégales. Néanmoins cela permet à Abdoulaye Komboudri, que l’on croyait perdu pour le théâtre, de revenir sur les planches après une très longue absence. Cette mise en scène signe aussi l’acte de naissance d’un immense acteur ! Sidiki Yougbaré. Ce jeune acteur au physique de jeune premier abonné aux rôles tragiques révèle dans cette comédie l’étendue de son talent. Il incarne avec beaucoup de talent un Mor Lam ridicule et risible qui nous arrache des larmes... de rires.

C’est un Mor Lam hyperactif, boule d’énergie tendue par l’entêtement à déguster seul son os, que la gourmandise mortifère conduira à se faire ensevelir vivant ! Le jeu de Sidiki Yougbaré, loin des stéréotypes et des facilités propres au comique, est une panoplie d’actions scéniques originales qui traduisent un véritable travail de recherche. Littéralement il porte la pièce, illumine la scène et lévite au-dessus des autres acteurs qui peinent à prendre sa hauteur. Aussi, Irissa Nikièma son sparring-partner n’arrive pas à camper un Moussa crédible face à l’ouragan Mor Lam-Yougbaré.

Ici, Yougbaré déploie ses grandes ailes de Géant dans un éblouissement aveuglant et éclipse tous les autres. C’est Gulliver chez les lilliputiens. Par ailleurs la scénographie de Sada Dao, en construisant un décor de tente de camp fait d’objets hétéroclites, de morceaux de récupération, réussit à traduire la difficile quotidienneté des réfugiés. Et à justifier l’obsession des protagonistes pour la bonne chère. Le recours aux voiles pour dresser des corridors et diviser la scène en différents lieux scéniques est aussi d’une grande ingéniosité.

Notons qu’une grande part semble être laissée à l’improvisation des acteurs : c’est en ces rares moments-là qu’Abdoulaye Komboudri se montre accrocheur dans son jeu. Ceci offre de la fraîcheur au jeu, mais révèle aussi la disparité des niveaux de langue chez un même personnage ; ce qui décrédibilise celui-ci. La langue très fluide et poétique de Biraogo Diop voisine avec un parler très trivial. Ce qui peut, à raison, irriter les puristes et soulever des interrogations sur les rapports qu’Issiaka Savadogo entretient avec le texte de Biraogo Diop.

Pourquoi transforme-t-il ce beau texte en un discours hybride où le sublime poétique côtoie un langage populeux ? Il aurait été plus intéressant de s’approprier le texte en le réécrivant totalement au lieu de le greffer d’implants langagiers qui apparaissent comme des taches de lèpre sur un corps d’ange ! Mais trêve de chicane, même si dans le processus d’adaptation, nous sommes d’avis avec Nattiez que le génie se trouve résolument du côté des traîtres, nul diktat n’oblige à l’irrévérence du metteur en scène envers le texte d’auteur.

Malgré ce hiatus, « L’os de Mor Lam » d’Issiaka Savadogo est une réussite et il est des moments où le rire vous prend si fortement, si longuement que le souffle vient à vous manquer et les crampes d’estomac à vous guetter. Donc, « L’Os de Mor Lam » plaît et c’est l’essentiel comme l’affirmait Molière. Tout le reste n’est que littérature.

Barry Alceny Saïdou

L’Observateur Paalga

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