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Serge Théophile Balima : “Réguler l’information et non la contrôler...”

Publié le jeudi 5 juillet 2007 à 07h19min

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Serge Théophile Balima

Professeur titulaire à l’Université de Ouagadougou, ancien ministre de l’Information, ancien ambassadeur du Burkina Faso en France et actuel directeur de l’Institut panafricain d’étude et de recherche sur les médias, l’information et la communication (IPERMIC), Serge Théophile Balima a participé activement à la IVe Conférence des instances de régulation de la communication d’Afrique (CIRCAF).

Il se prononce sur cette rencontre et donne son appréciation sur les défis des médias africains face aux technologies de l’information et de la communication.

Sidwaya (S). : Vous êtes un membre actif de l’organisation de la IVe CIRCAF ; que pensez-vous de cette rencontre des responsables d’instances de régulation ?

Serge Théophile Balima (S.T.B) : Je trouve que c’est une bonne initiative de réunir des régulateurs du continent africain, parce que de nos jours, les enjeux en terme de médias sont énormes. Vu que beaucoup d’intérêts se sont développés autour de la production et de la diffusion de l’information à l’échelle planétaire, il est bon que l’Afrique s’accorde sur les comportements, les décisions, les réflexions et les perspectives en rapport au futur.

S. : Quelle analyse faites-vous du thème central de la conférence qui est “Les médias de services publics face aux défis de la convergence” ?

S.T.B. : Le thème central de cette IVe conférence est la bienvenue ! Il a été question de déterminer ce que la convergence entraîne comme conséquence sur le plan de la gestion des médias, d es ressources humaines et sur le plan des métiers, parce que la convergence a pour avantage et inconvénient de bouleverser l’ancien ordre. A l’inverse de l’époque écoulée où les différents canaux étaient séparés, de nos jours, à partir d’un seul terminal, on peut mener plusieurs activités à la fois. L’exemple type, c’est le téléphone portable. Initialement, un téléphone c’est un téléphone.

Ainsi, pour transmettre des images, il fallait un autre canal, pour transmettre des textes imprimés, cela exigeait également un autre canal.
De nos jours, tous ces canaux sont réunis dans un seul et unique support. C’est pourquoi avec un téléphone portable, on peut faire des photographies, écrire des messages et recevoir des services. Cette situation bouleverse les métiers parce qu’aujourd’hui, un journaliste de la presse écrite ne doit plus seulement savoir rédiger sur papier, mais il faut qu’il puisse rédiger en ligne. Cela est une nouvelle forme de rédaction et le journal qui n’est pas en ligne de nos jours n’existe pas ! Il n’a qu’un caractère local. Il va falloir donc que les journalistes africains s’adaptent à cette nouvelle donne.

S. : Les médias africains sont-ils à même de relever le défi de la convergence ?

S.T.B. : Les médias africains n’ont pas le choix ! On ne doit pas choisir d’aller à la convergence où pas. La convergence est déjà avec nous. Ceux qui fabriquent les différents outils ne vont plus rien fabriquer que des outils convergents. La preuve, nous avons plus de téléphones portables que de téléphones fixes. Et de plus en plus, avec les économies d’échelle, les coûts vont être de plus en plus abordables. Nous serons donc obligés de nous aligner ! Si aujourd’hui vous n’avez pas de téléphone portable, vous êtes presque injoingnable. Tout cela, c’est de la convergence. Il faut donc s’adapter sans tarder.

S. : Les médias de services publics en Afrique arrivent-ils à jouer efficacement leur rôle dans la société de l’information du XXIe siècle ?

S.T.B. : Il y a de gros opérateurs qui se mettent maintenant à produire et diffuser. Ce qui n’était pas le cas autrefois, car la production et la diffusion des contenus étaient uniquement réservées aux médias de services publics. De nos jours, des hommes qui sont étrangers au monde des médias produisent des contenus et les diffusent. A partir de ce moment, les médias de services publics sont en péril. Mais il y a des moyens pour s’adapter à la nouvelle donne et au nouvel environnement. Je crois que si les médias de service reçoivent un peu plus d’appui de la part des pouvoirs publics, si les services publics développent des partenariats avec d’autres composantes de la société, ils peuvent survivre parce qu’il y a de la place pour eux. En effet, le service public est généraliste, s’occupe de l’intérêt général et dessert les zones les plus défavorisées des différentes contées, alors que les opérateurs qui viennent ne s’intéressent qu’à ceux qui ont les moyens de pouvoir consommer leurs produits.

S. : Dans notre contexte africain, la régulation du secteur des médias est-elle nécessaire ?

S.T.B. : Cela est même très nécessaire, parce que nous sommes en train d’apprendre à gérer des pouvoirs démocratiques. Et les médias constituant un IVe pouvoir, surveille les trois autres pouvoirs à savoir l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Lorsqu’il y a par exemple des violations aux droits humains, des déviations et autres manquements, ce sont les médias qui attirent l’attention des uns et des autres sur les dérives. Ce pouvoir des médias est très capital et si c’est mal géré , cela peut aboutir à des conflits sociaux très graves.

La régulation permet que les minorités puissent s’exprimer, que les différentes opinions puissent s’exprimer et qu’il y ait des débats démocratiques dans la société, et que la liberté ne soit pas confisquée par les puissants et ceux qui sont riches. Si la régulation n’existe pas, il y a un danger. Quelqu’un qui a par exemple de l’argent peut acheter tous les titres de presse et si les quotidiens appartiennent à un seul individu, on considère que c’est la mort du pluralisme. Aussi, la régulation permet aux journalistes de travailler en respectant l’éthique et la déontologie, parce que si chacun doit écrire n’importe quoi, n’importe quand, contre n’importe qui, ça devient un désordre social.

S. : Les instances de régulation ont-elles leur place en Afrique quand on sait que la plupart des Etats ont des ministères chargés de l’information et de la communication ?

S.T.B. : Nous devons être courageux ! Les ministères en charge de l’information doivent disparaître. Nous sommes au XXIe siècle où l’information ne peut plus être contrôlée, mais elle doit être seulement régulée. Or, les ministères en charge de l’information, qu’on le veuille ou non, leur mission est de contrôler les contenus de ce qui est produit et diffusé. Il est de plus en plus dangereux de maintenir les ministères de ce genre ! C’est dépassé. Si nous sommes à la phase supérieure de la démocratie, on doit pouvoir s’en passer, la régulation seule suffit car elle édicte les cahiers des charges et de missions que les médias de services publics considèrent comme leur tableau de bord pour fonctionner. Cela donne plus de responsabilité et de liberté aux médias.

S. : La régulation telle qu’exercée au Burkina Faso répond-elle à vos aspirations ?

S.T.B. : Partiellement ! La qualité de la régulation est fonction de la qualité de la gouvernance et de celle de la société civile. Au Burkina Faso, des efforts ont été faits en matière de régulation, ce qui est positif. Mais il reste surtout à réguler au quotidien. La régulation au quotidien est encore faible. Il faut qu’on comprenne que ce n’est pas seulement en période électorale qu’il faut respecter l’équilibre de l’information. Aussi, il faut faire en sorte qu’il y ait un point de vue pour, et un autre contre en ce qui concerne les questions d’intérêt national. En somme, il s’agit de travailler en tout temps à ce que tous les courants puissent s’exprimer à travers les médias de services publics, voire privé qui doivent aussi assurer une mission de services publics.

S. : Avec l’évolution des TIC, le code de l’information du Burkina ne nécessite-t-il pas une révision en ses aspects régulation et contrôle du contenu ?

S.T.B. : Je crois qu’il faut réviser le code de l’information du Burkina Faso. Un code, c’est un droit et le droit est vivant. Il naît, grandit et se transforme en fonction de l’évolution de la société. Ce qui indique qu’il faut faire évoluer le code de l’information. Les débats d’ailleurs, sur la dépénalisation et la convention collective exigeront cette révision. Mais je pense qu’il faut avant tout déterminer qui est journaliste et identifier les avantages et aussi les inconvénients auxquels les journalistes sont exposés, sinon la mise en œuvre de ces revendications sera difficile.

S. : Où en est-on aujourd’hui avec l’IPERMIC, cette institution aux grandes ambitions que le président du Faso vous a confiée ?

S.T.B. : J’ai été effectivement chargé de la mise en œuvre de cet institut, mais nous avons encore beaucoup de problèmes.
D’abord, nous n’avons pas de siège, de salles, d’équipements, on n’a pas d’ouvrages. En somme, nous n’avons rien. Pour faire exister l’IPERMIC, je me suis employé à exploiter tout le capital qui existait au Département de la communication et au laboratoire du Centre d’expertise et de recherche sur les médias et la communication (CERAM). Ce sont donc les acquis de ce laboratoire qui constituent les fondements et les fondamentaux de l’IPERMIC en attendant que les autorités, j’espère, prennent leur responsabilité en mettant à notre disposition les moyens pour ce faire.

Sinon, nous sommes sollicités depuis la création de l’institut par beaucoup de pays africains qui demandent à venir, mais nous ne formons que les étudiants du troisième cycle, niveau master et doctorat et nous n’avons pas assez de place pour les accueillir. Nous ne prenons que quelques étudiants en attendant d’avoir les moyens de répondre plus positivement à cette mission qui nous a été confiée.

Entretien réalisé par Ali TRAORE et Séraphine SOME

Sidwaya

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