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Luc Adolphe Tiao, président du CSC : " Ouaga, un tournant décisif pour la CIRCAF"

Publié le lundi 2 juillet 2007 à 08h21min

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Luc Adolphe TIAO

Aujourd’hui s’ouvre à Ouagadougou, la 4e Conférence des instances de régulation de la communication d’Afrique (CIRCAF). Dans l’interview qui suit, Luc Adolphe Tiao, président du Conseil supérieur de la communication, se prononce sur les enjeux de cette rencontre.

Le Pays : Qu’est-ce que c’est que la CIRCAF ?

Luc Adolphe Tiao : Il s’agit d’une instance du Réseau des instances africaines de régulation de la communication (RIARC). C’est la conférence des présidents qu’on dénomme la CIRCAF, et elle se tient tous les deux ans. Cette année, nous sommes à la quatrième CIRCAF. Avant le Burkina, il y a eu le Mozambique, l’Afrique du Sud et le Gabon.

Pouvez-vous mieux nous présenter le RIARC ?

C’est un réseau qui a été créé en 1998 au Gabon à l’occasion d’une rencontre internationale sur les médias en Afrique. A la faveur de cette rencontre, les pays africains ont senti la nécessité de mettre en place un outil de coopération entre les structures de régulation de la communication qui sont des structures nouvelles apparues seulement vers 1990, au début du processus de démocratisation. C’est ainsi que la CIRCAF est née avec pour objectif de renforcer les relations entre les instances membres.

Qu’y a-t-il au menu de cette 4e CIRCAF ?

Le thème retenu cette année porte sur les médias de service public et les défis de la convergence. En effet, la CIRCAF comprend traditionnellement deux grandes parties, à savoir un colloque thématique et la conférence des présidents elle-même, qui se déroule à huis clos. Cette année, nous avons choisi de nous pencher sur la problématique du développement technologique, notamment son impact sur les médias. Aujourd’hui, les progrès enregistrés dans le domaine du numérique ont fondamentalement bouleversé le travail qui s’effectue dans le domaine des médias, voire leur structure.

Ces changements ont amené une autre façon d’aborder le traitement de l’information. Mais en même temps, ça pose des problèmes. Qu’est-ce qui prouve que les informations que vous avez sur Internet sont fiables ? Et puis, il n’y a personne qui contrôle Internet. Ce sont des questions qui nous interpellent en tant qu’instances de régulation de la communication. Aujourd’hui, on ne peut plus établir de différence systématique entre ce qu’on appelait autrefois les fabricants de tuyaux et les fabricants de contenu. On se rend de plus en plus compte que ceux-là qui sont propriétaires de la quincaillerie sont en même temps producteurs de contenu.

La régulation en Afrique fait la part entre les instances de régulation des télécommunications et celles de régulation des médias. Il y a des pays où ce genre d’instances n’existent plus parce qu’on les a fusionnées. Il est d’ailleurs difficile de les dissocier. Donc ce sont des défis énormes. On va beaucoup réfléchir sur la problématique technologique sur les médias ; nous allons voir également l’impact de ces technologies sur l’économie des médias, le travail des journalistes, la question de la protection des droits des citoyens, etc. C’est un sujet assez vaste et pour en débattre, nous avons des spécialistes de très haut niveau qui viendront de plusieurs pays d’Afrique et d’Europe.

Cela va réunir près de 200 personnes. En plus du colloque thématique, nous avons innové en initiant un forum que nous organisons en partenariat avec RFI et avec le soutien des médias audiovisuels comme la télévision nationale du Burkina et Canal 3. Il s’agit d’organiser un forum entre spécialistes des médias pour s’interroger sur la problématique de la régulation face aux médias. Par ailleurs, en marge de la CIRCAF, le 1er juillet, nous allons tenir la réunion constitutive du Réseau des instances francophones de régulation des médias (ndlr, l’interview a été réalisée le 29 juin). C’est également un événement important qui va regrouper, en plus des instances francophones d’Afrique, quatre instances européennes de Belgique, de France, du Luxembourg et de la Suisse.

On sait aussi qu’à partir de la rencontre de Ouagadougou, c’est le Burkina, à travers vous, qui assumera pendant les deux années à venir la présidence de la CIRCAF. A quoi devrait-on s’attendre comme particularité au cours de votre mandat ?

D’abord, je pense que le président en exercice ne fait qu’appliquer les orientations que vont donner ces pairs. Maintenant, il va de soi que chaque président a son style de travail et personnellement j’aime beaucoup les innovations ; j’espère que le mandat que notre pays va assumer va nous permettre de porter encore plus haut le flambeau du RIARC. Nous allons avoir pour priorité de renforcer la coopération entre les instances de régulation. Pour le moment, ce n’est pas encore le cas ; la coopération n’est pas encore fluide entre les différents réseaux. Pour organiser cette manifestation, c’était pour nous la croix et la bannière de pouvoir entrer en contact avec toutes les instances. Nous nous sommes rendu compte que travailler à mettre en relation ces instances serait déjà quelque chose de positif. Ensuite, nous devons travailler à conférer une plus grande visibilité au RIARC dans nos différents pays et sur le plan international. En tout cas, je suis prêt avec tous mes collègues du collège des conseillers à relever les défis les jours à venir lorsque le Burkina sera officiellement désigné pour présider ce réseau.

Vous avez parlé de la création d’un réseau francophone des régulateurs des médias. Cela ne favorisera-t-il pas une concurrence avec le RIARC déjà existant ?

Pas du tout. C’est vrai que quand on parlait de la nécessité de créer un réseau francophone, il y avait des inquiétudes. Mais ce débat est aujourd’hui dépassé puisqu’ il existe déjà des réseaux sous- régionaux qui fonctionnent. Donc, je pense que c’est une complémentarité. En réalité, le réseau francophone a une particularité parce que nous faisons partie d’un espace bien donné qui est la Francophonie. Et cet espace a ses exigences et ses spécificités. Par ailleurs, il y existe plusieurs autres outils de coopération. Le réseau francophone va donc s’insérer dans la dynamique d’ensemble de l’espace francophone.

Ce que nous souhaitons, c’est arriver, en tant que réseau spécifique francophone, à établir un pont avec le RIARC. Ce n’est qu’une coopération, il n’y a pas de rivalité.

Le thème de la quatrième CIRCAF a surtout trait aux médias de service public. Pourquoi cette restriction qui s’apparente à une exclusion des médias privés ? Aussi, que faut-il comprendre à travers le terme "convergence" ?

La presse privée est, bien sûr, concernée. La presse en général joue un rôle de service public. Mais en réalité, pour des questions méthodologiques, nous avons voulu nous préoccuper des médias de service public parce qu’actuellement dans tous les pays du continent, les médias de service public sont les médias les plus importants, en terme d’infrastructures. Ces médias ont connu une évolution depuis la libéralisation du secteur.

Mais cette libéralisation ne s’est pas toujours accompagnée d’un changement fondamental dans le fonctionnement de ces médias publics, et surtout nous nous demandons si tel qu’ils existent à travers le continent, ils sont aujourd’hui préparés pour entrer de plain pied dans l’ère du numérique. Parce que passer de l’analogique au numérique, cela entraîne tout un changement au niveau de la structure de production ainsi que l’existence de nouvelles qualifications. Si nous regardons dans de nombreux pays africains, je pourrais même dire que les médias privés ont plutôt réussi leur mutation ; ils se sont rapidement mis sur les nouvelles technologies. Or, lorsque vous allez visiter bon nombre de studios publics, vous vous croyeriez encore au Moyen-Age ou au vingtième siècle.

La mutation ne s’est pas encore faite. Justement, quand nous parlons de cette mutation, de son impact, pour les médias de service public, nous parlons également de la convergence qui fait que grâce au développement technologique, le même support peut servir à beaucoup de choses. Aujoud’hui, votre appareil d’enregistrement, par exemple, peut être à la fois un appareil photo ou une caméra. Donc il y a une convergence de tous les supports techniques vers un seul support. Pour nous régulateurs, cela nous pose des problèmes, qu’à partir de votre téléphone vous puissiez recevoir une chaîne de télévision qui n’utilise plus les canaux habituels. Face à ces changements donc qui se posent à la fois pour les médias publics, pour les médias de façon générale, quel est le regard que doit avoir le régulateur ?

Au regard des moyens que cela nécessite, était-ce vraiment opportun pour le Burkina d’abriter une telle rencontre ?

Lorsque vous assumez des responsabilités, vous devez avoir des ambitions. Lorsque vous avez des ambitions, cela vous permet de quitter les sentiers battus. Si ailleurs, on peut tenir ce genre de rencontre, chez nous aussi on peut le faire. Le Conseil supérieur de la communication du Burkina est une instance de régulation qui est bien appréciée à l’extérieur. On estime que cette instance s’approche vraiment des normes acceptables sur le plan international, donc, déjà, on peut dire que c’est une instance modèle pour les autres qui sont en voie de développement.

Nous pensons aussi qu’au Burkina la liberté de la presse est une réalité. Il y a donc une réalité qui est là, nous avons intérêt à ce qu’on nous connaisse mieux. Cette rencontre ne peut pas non plus ne pas avoir un impact sur le plan national. Pour nous CSC, nous allons capitaliser l’éxpérience de nombreuses instances de régulation. C’est un moment unique. Nous avons voulu cela pour renforcer notre image sur le plan international, renforcer l’image de notre pays, mais aussi permettre aux journalistes de toucher du doigt un secteur qui est encore nouveau et pour lequel, d’ailleurs, ils s’engagent beaucoup. Je pense qu’aujourd’hui le CSC a atteint un seuil de responsabilité dans le paysage médiatique burkinabè. Le fait que les médias burkinabè nous acceptent, cela veut dire que les journalistes ont compris l’importance de la régulation. Ils ont compris que nous ne sommes pas là pour jouer au gendarme, mais pour les accompagner dans la promotion de la liberté de la presse.

Voudriez-vous bien nous parler du contentieux à la Justice qui vous oppose à un promoteur de radio ?

Je ne voudrais pas donner ici l’impression d’influencer le tribunal d’une manière ou d’une autre. Mais je pense que c’est de bon droit. La loi permet à quiconque n’est pas d’accord avec une décision du CSC, d’ester en Justice. Que ça soit lui ou nous qui a raison, cela fera jurisprudence. L’essentiel, c’est que, justement, le tribunal nous aide à clarifier notre mission, et aide également les opérateurs à comprendre la mission du CSC. Donc ça ne gène absolument rien. Ce n’est pas parce que nous avons décidé de retirer des fréquences à un opérateur que nous constituons un blocage à la liberté de la presse. Nous ne faisons qu’appliquer des règles. Il faut savoir que la raison de notre structure, c’est les médias. S’il n’y a pas de média, s’il n’y a pas de liberté de la presse, à quoi sert une instance de régulation ? Donc nous ne sommes pas là à travailler contre les médias, mais plutôt pour les médias. Je pense que de façon générale on nous comprend pour cela.

Tout récemment, au Mali, des journalistes ont été condannés pour avoir reproduit une épreuve de français. Quelle est votre opinion sur cette affaire ?

Chaque pays a ses réalités. Je ne suis pas bien placé pour donner une leçon à qui que ce soit. Nous avons une position que nous avons déjà exprimée à maintes reprises. Nous souhaitons la dépénalisation des délits de presse.

En déhors de certaines fautes graves nuisibles à la société, par exemple l’incitation à la haine raciale, au tribalisme, ce n’est pas la peine d’envoyer un journaliste en prison. Mais, tout en regrettant une telle situation, je voudrais aussi dire qu’il n’y a pas d’inpunité pour les journalistes. Les journalistes doivent faire preuve de responsabilité, de bon sens.

Malheureusement, dans la plupart des pays africains, la presse prête le flanc. Les journalistes doivent faire preuve de professionnalisme.

Est-ce que vous confirmez aujourd’hui qu’au niveau de l’organisation, les choses sont prêtes ?

Nous sommes déjà comblés, car nous avons pu mobiliser toutes les instances les plus dynamiques du continent. Sahez que pour la première fois il y aura des responsables d’instances occidentales parmi lesquels, le président du Conseil supérieur de l’audiovisuel de la France, la présidente du Conseil supérieur de l’audiovisuel de la Belgique, le président de l’instance de régulation du Luxembourg, etc. En plus, nous avons des spécialistes issus de diverses organisations internationales. Je ne peux pas présager des résultats de cette conférence dans deux ou trois jours, mais je sens déjà que ce sera un grand tournant pour la CIRCAF, mais surtout un départ pour le réseau des régulateurs francophones.

La conférence de Ouagadougou sera une rencontre historique. Je profite remercier à travers vos colonnes le chef de l’Etat, le président Blaise Compaoré, ainsi que le gouvernement, pour les moyens qui ont été mis à notre disposition et qui nous ont permis d’organiser cette conférence dans de très bonnes conditions. Cet appui qui nous a été apporté n’altère en rien notre indépendance, parce que le gouvernement ici au Burkina Faso ne s’interfère pas du tout dans les activités du CSC. Le CSC est une structure indépendante.

Propos recueillis par Lassina SANOU

Le Pays

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