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Sanctions aux Affaires etrangères : "Une acrobatie juridique du Conseil des ministres"

Publié le mardi 19 juin 2007 à 07h42min

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Yelbi Pierre Nassa, juriste d’entreprise à Nice en France, appporte ici sa contribution dans le débat sur les sanctions du Conseil des ministres contre les militants du Syndicat autonome des agents du Ministère des Affaires étrangères(SAMAE).

Le Conseil des ministres du 23 mai dernier a pris des sanctions contre des agents du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale qui ont participé à une marche organisée par leur syndicat (le Syndicat autonome des agents du ministère des Affaires étrangères, SAMAE) le 10 avril dernier pour revendiquer de meilleures conditions de vie et de travail.

Ces sanctions sont motivées, selon le Conseil des ministres, par le fait que "les participants aux manifestations de rue du 10 avril 2007 ont manqué aux règles administratives et à l’éthique du corps de la diplomatie, et cela jette un discrédit sur l’ensemble des composantes de la diplomatie burkinabè tout en constituant une faute d’une extrême gravité". Conséquences, 35 agents s’étant repentis par la suite écopent d’"un avertissement avec maintien à leur poste" de travail, tandis que 105 agents qui persistent dans une attitude de défiance à l’égard de l’Administration s’en sortent avec "un blâme avec reversement au ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat pour redéploiement dans d’autres administrations".

Voilà ainsi réglée la crise qu’on pouvait qualifier d’anodine, mais que M. Youssouf Ouédraogo, alors ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères, a étatisée. Que d’intolérance !

Dans cette affaire, ce qui choque le plus est cet entêtement du Conseil des ministres à infliger des sanctions illégales à tout point de vue aux agents "marcheurs" du MAECR.

D’abord, le gouvernement devrait savoir que des sanctions de premier degré sont prononcées par les supérieurs hiérarchiques directs et non par le Conseil des ministres. En l’espèce, ce devrait être les différents directeurs qui infligent la sanction aux agents fautifs. Le Conseil des ministres se devait donc de se concentrer sur des affaires plus sérieuses et plus urgentes que de bander les muscles sur des travailleurs innocents qui n’ont fait que réclamer de meilleures conditions de vie et de travail.

Ensuite, le Conseil des ministres qui a qualifié l’action des agents du MAECR de manquement "aux règles administratives et à l’éthique du corps de la diplomatie burkinabè tout en constituant une faute d’une extrême gravité" devrait savoir qu’il y a là une contradiction flagrante qui jette un discrédit sur sa bonne foi et son objectivité dans la gestion de cette crise. En effet, comment des agents auteurs d’une faute d’une extrême gravité peuvent-ils recevoir des sanctions de premier degré ?

La loi 013-98 du 28 avril 1998 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la Fonction publique est claire à ce propos : selon son article 139, l’avertissement et le blâme sont des sanctions disciplinaires de premier degré. Elles sont donc moins graves que celles de second degré, à savoir l’exclusion temporaire des fonctions de seize (16) jours au minimum, et de trente (30) jours au maximum, l’abaissement d’échelon, la mise à la retraite d’office et la révocation sans suppression du droit à la pension. Il faut noter au passage que cette loi 013-98 du 28 avril 1998 est la seule qui s’applique aux agents du MAECR. En clair, ils n’ont pas de statut particulier, à l’instar des magistrats et autres. Il aurait fallu donc que les agents fautifs se voient infligés des sanctions de second degré.

Du reste, parcourez un peu ladite loi, vous vous rendrez compte que nulle part ailleurs il n’est prévu de sanctions de type "Avertissement avec maintien à son poste de travail" ou "Blâme avec reversement au ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat pour redéploiement dans d’autres administrations". Alors, d’où est-ce que M. Youssouf Ouédraogo et le Conseil des ministres ont tiré ces sanctions ? Qu’ils ont l’imagination fertile !

Cette affaire semble recevoir une gestion plus politique que juridique ou disciplinaire. Et si les agents concernés avaient la présence d’esprit de saisir les juridictions administratives, il est fort à parier qu’ils auront gain de cause à la grande honte du Conseil des ministres. Mais, si d’aventure ils n’avaient pas gain de cause devant les juridictions administratives, cela jetterait encore un discrédit sur notre justice, déjà décriée, du reste.

Au-delà de ces incohérences juridiques criardes, et de l’illégalité manifeste de ces sanctions, il faut déplorer le silence coupable d’un certain nombre d’acteurs qui auraient pu peser de tout leur poids pour empêcher ou critiquer une telle décision du Conseil des ministres.

D’une part, il est difficile de croire en effet que d’éminents juristes ministres, présents lors du Conseil des ministres du 23 mai 2007, au cours duquel ces sanctions ont été prises, se soient tus pour laisser passer lesdites sanctions. Il en est ainsi de M. Lassané Sawadogo, ministre de la Fonction publique, de M. Jérôme Bougouma, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, de Mme Monique Ilboudo, ministre de la Promotion des droits humains, de Salif Diallo, ministre de l’Agriculture et des Ressources halieutiques, tous docteurs en droit, et de Me Gilbert Noël Ouédraogo, ministre des Transports, et M. Boureima Badini, ministre de la Justice, garde des Sceaux, respectivement avocat et magistrat de leur état. C’est assez surprenant que tout ce beau monde se soit sinon rallié à une telle décision, du moins illustré par leur silence assourdissant au regard du caractère intrinsèquement "crisogène" de ces mesures dont il sied ici de relever la disproportionalité. En effet, ils auraient pu éclairer la lanterne du natif de Tikaré que les mesures qu’il proposait pour gérer la marche des agents du MAECR étaient contraires à l’esprit et à la lettre de la loi 013/98 et contre les libertés syndicales.

D’autre part, il est à déplorer le silence inexpliqué des différents journaux de la place. La question me semble d’une importance capitale qu’elle devrait faire l’objet de beaucoup plus d’écrits de la part des quotidiens et hebdomadaires. C’est quand même les droits de 105 travailleurs qui sont bafoués au vu et au su de toute l’opinion publique nationale et internationale.

Du reste, il y a comme une justice à double vitesse dans la gestion des crises au Burkina Faso. Récemment, la crise militaro-policère a donné des sueurs froides à tout le monde, allant jusqu’à faire reporter les sommets de la CEDEAO et de l’UEMOA qui devaient se tenir à Ouagadougou, mais le gouvernement n’a sanctionné personne. Au contraire, militaires et policiers ont été gratifiés d’avantages divers bien au-delà de leurs attentes. Plus récemment encore, les travailleurs du centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou ont marché et bloqué la porte de l’hôpital, empêchant tout malade d’y avoir accès ou d’en ressortir. Là encore, personne n’a été sanctionné. Alors, dites-moi qui des militaires et des policiers, des travailleurs de l’hôpital ou des agents du MAECR a le plus manqué aux règles administratives et à l’éthique de son corps. Qui de ces différents corps s’est rendu auteur d’une faute d’une extrême gravité ?

Qu’à cela ne tienne, le mal est déjà fait, et il faut dès à présent rechercher à réparer les torts causés aux agents du MAECR. C’est peu que de dire en effet que c’est dans un véritable sac à crabes dans lequel personne n’a daigné s’aventurer qu’a plongé la main le colonel de gendarmerie Djibrill Bassolé. D’abord, il devra faire face à un déficit en ressources humaines, soit un manque à gagner de 105 agents déjà reversés au ministère de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat. Les agents qui restent à leur poste risquent d’être débordés par le travail quotidien. Ensuite, il devra gérer un climat de suspicion entre les directeurs, les agents repentis et les agents qui n’ont pas du tout été impliqués dans cette crise. Enfin, il devra procéder à une réaffectation interne des agents pour combler les postes vacants laissés par les partants, toute chose qui risque fort de rendre mécontents les agents qui se seraient repentis ou qui ne se seraient pas impliqués dans la crise, dans le but de sauvegarder leur poste "juteux".

On le voit, la tâche ne sera pas de tout repos pour le nouveau ministre qui doit certainement être en train de se demander comment redynamiser un ministère plongé dans le chaos, gérer les humeurs des uns et des autres, faire face au flux important de travail avec un effectif d’agents réduit, comment ramener la sérénité et la confiance mutuelle au sein de ce ministère, comment ramener le ministère à son niveau d’antan.

Autant de problèmes auxquels le nouveau ministre va devoir trouver des solutions idoines à même de ramener la paix dans le département. Nul doute que les 105 agents exclus de leur ministère d’origine se battront pour revenir à la maison. Bien que ceux-ci puissent et aient toutes les chances de se faire justice devant les juridictions administratives, il serait plus judicieux pour le nouveau ministre Djibrill Bassolé de procéder à une amnistie et à un rappel à la maison de tous les agents concernés, ne serait-ce qu’en invoquant la clémence du gouvernement, comme il a eu à le faire déjà avec les élèves policiers quand il était ministre de la Sécurité. L’occasion serait alors donnée au nouveau ministre de ramener la sérénité et la tranquillité dans la maison.

En définitive, il faudrait que les premiers responsables de notre pays, qui se veut être un Etat de droit, commencent par respecter les droits individuels et collectifs. C’est de cette manière que l’on acquiert la culture du respect des droits de l’homme et des libertés individuelles et collectives ; car, si l’on n’est pas fidèle en de petites choses, on le sera moins dans de grandes choses. Le degré de la culture de l’arbitraire au Burkina est comparable au degré de la culture du respect des droits dans les pays du Nord. Ce sont des situations comme celle-là qui ne nous encouragent pas, nous autres Burkinabè expatriés, à revenir vivre au bercail.

Alors, à quand un Burkina Faso où les droits élémentaires de chaque citoyen sont respectés ?

Yelbi Pierre Nassa,
Juriste d’entreprise à Nice (France)
nassayelbi@yahoo.fr

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Vos commentaires

  • Le 19 juin 2007 à 14:25 En réponse à : > Sanctions aux Affaires etrangères : "Une acrobatie juridique du Conseil des ministres"

    Voilà enfin un article digne de ce nom qui mériterait d’être publié, même plus d’une fois. Il met le doigt, et dans une démarche fort rigoureuse, sur les décisions souvent d’humeur que prennent nos politiques au lieu de s’attacher au cadre juridique qui est censé guidé toute démarche républicaine. Il met aussi le doigt sur les silences souvent inexplicables de la presse burkinabè sur des sujets qui devraient faire couler beaucoup d’encre. Comment la presse peut-elle se borner à ne publier que des déclarations de syndicats en gardant elle-même le silence ?

    En parlant de silence, je pense aussi à ce silence qui a été gardé autour de l’augmentation des présalaires des élèves fonctionnaires. En effet, le gouvernement burkinabè a par deux fois opéré des augmentations de salaires chez les fonctionnaires. Il vient d’opérer aussi des augmentations au niveau de l’aide, du prêt Foner et de la bourse des étudiants. Comme disait le ministre Seydou Bouda, les salaires des fonctionnaires ayant été augmentés, il ne restait que les étudiants. Mais où a-t-on mis les présalires des élèves fonctionnaires ou les maigres frais de SND ? Ce sont des questions que l’on aurait pu attendre d’une presse avisée et professionnelle d’autant plus que ces oubliés sont justement ceux qui n’ont pas le droit de grève. Mais il n’y a eu aucune espèce d’article allant dans ce sens sur cette sortie des ministres des enseignements...et du ministre de l’économie. C’est dommage pour notre presse.

    Je voudrais alors tirer mon chapeau à l’auteur de ce brillant article, surtout qu’il n’est même pas au pays, et ajouter quand même qu’il a oublié la ferméture définitive de L’IDRI et le manque de vision qu’a constitué l’argumentaire qui l’a accompagnée. Là je voudrais ajouter que c’est dommage pour nos gouvernants.
    Félicitaions, Monsieur NASSA !

    • Le 20 juin 2007 à 13:28, par maochin En réponse à : > Sanctions aux Affaires etrangères : "Une acrobatie juridique du Conseil des ministres"

      Félicitation pour votre désir de participer au débat national, notamment l’affaire Affaires Etrangères. Cette situation doit interpeller chacun des 14 millions de burkinabé individuellement et collectivement car la non mise des agents sanctionnés dans leurs droits légitimes est un coup dans la construction de l’Etat de droit que le Président Compaoré négocie depuis 1991 avec ses concitoyens. Mon espoir est que les cris de coeur des uns et des autres soit entendu par notre Président Blaise compaoré et son ministre des Affaires Etrangeres Djibril B. Vive le Faso

  • Le 19 juin 2007 à 19:35, par Peace Heron En réponse à : > Sanctions aux Affaires etrangères : "Une acrobatie juridique du Conseil des ministres"

    Salut mon frangin, tu es trop intelligent avec gros français. Blaise et son derrière (dixit Guingenaba) n’a pas besoin d’analyse. Pour ton information le dossier n’a pas été analysé et discuté. Sinon ceux que tu cites auraient marqué malgré le diktat de l’enfant terible de Ziniaré leur reserve. C’est de la rancoeur de Yssouf et c’est tout !!!!
    Mais laisse moi te dire une chose : je sais qu’avec ton niveau tu travailles chez les blans là-bas dans une situation pas vraiment gratifiant à moins que tu aies eu plus de bol que moi qui ait trainé ma bosse à Montreal, à Ottawa, à Baltimore avant de me rendre que compte que l’on est mieux que chez soi.
    Je dis ça parce que pour moi les blancs tous, son petit- son grand, sa femme-son homme dès qu’il/elle a la possibilté de domminer ne se fait pas prier.
    ici au faso, je me suis retrouvé dans une coopération billatérale et à voir comment mes collègues blancs roulent en 4X4 terribles olors que ma petite Opel me lache tous les 1 km c’est pas terrible. c’est notre etat qui payera dans 10, 20 ou 30 ans les chiffres qu’ils avancerons au titre de leur aide au développement qui n’aura pourtant servi qu’à payer leurs luxueuses résidences et les grosses 4X4 alors beaucoup chez eux utilisent le vélo(pas par soucci écologique je te signale) et partagent un 9m²avec d’autres comme eux.
    Tu es intelligent , si tu trouves pour toi là-bas ça va mais ne nous compare pas avec eux, ils sont aussi pires (surtout en terme de respect de droits de l’homme.
    Tu vois façon tu es intelligent, il ya l’espoir. Rentre au bercail frangin, on va les(eux et le voleurs de la republique) chasser et construire le bled.

  • Le 11 juillet 2007 à 23:49 En réponse à : > Sanctions aux Affaires etrangères : "Une acrobatie juridique du Conseil des ministres"

    Peace Heron, j’espere que tu t’en prends pas a Nassa pcq’ il reside lui en France. si tu as echoue a Baltimore, il ne faut t’en prendre qu’a ta Baraka. Sinon commencer dans un debat d’ idee a dire que l’ autre est trop intelligent frise l’ injure et montre du meme coup que tu n’as rien a offrir dans le debat. Nassa,tu es vraiment un juriste et tes arguments en beton ne sauraient etre attaques, surtout pas par des individus sans conviction ni arguments. Pr ma part, je sais que l’action contre les agents du Ministere des affaires etrangeres est illegal et mal ficele. Ysouff 1er cherchait seulement a camoufler son echec a la tete du departement .Le gouvernment doit cesser ces mesures erratiques dignes de l’ etat d’exception. Nous avons toujours en memoire les milliardaires de francs que le contribuable doit debourser au titre des bafouements des libertes individuelles et collectives, des crimes et violences poilitiques. A quoi serviraient alors la journee de pardon (le 30 mars)si nous continuons a creuser de facon inconsideree les conditions pour la perpetuation d’ une telle date qui gagnerait a rester une exception ? A ce rythme il faudrait des journees ou des Semaines ou meme des Mois des PardonS.

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