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Côte d’Ivoire : Seul un Front unique de l’opposition pourra mettre fin au régime de Gbagbo et à ses exactions

Publié le jeudi 6 mai 2004 à 10h02min

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Je persiste à croire que la crise ivoirienne (qui a dépassé largement ce stade ; c’est désormais un véritable drame que vivent la Côte d’Ivoire et tous ses habitants, nationaux et étrangers) évolue dans le bon sens. Les morts s’ajoutent aux morts et les massacres aux massacres mais la vraie nature du régime Gbagbo s’impose désormais à tous les observateurs. Pour cela, les morts valent mieux que les mots.

Ce qui s’est passé à Abidjan le jeudi 25 mars 2004 ne peut surprendre ni par son ampleur, ni par sa systématisation. Le régime Gbagbo a depuis longtemps substitué la Terreur à l’intimidation. Bien avant le coup de force du 19 septembre 2002. Et nul ne peut s’étonner de la dérive d’un homme politique qui, autrefois, faisait figure d’opposant à un régime dont il ne cessait d’affirmer qu’il était totalitaire.

La gestion de la Côte d’Ivoire par Félix Houphouët-Boigny a été loin d’être exemplaire. Et il faut bien reconnaître que le drame que vit son pays aujourd’hui est, en partie, l’héritage d’une certaine inconséquence politique. C’est l’incapacité de Henri Konan Bédié, héritier désigné (constitutionnel uniquement pour la forme), à mener la politique qu’il convenait d’adopter au lendemain de la dévaluation du franc CF A qui a précipité la Côte d’Ivoire dans une crise politique et sociale. Obnubilé par le pouvoir pour le pouvoir, Bédié a chercher dans l’exclusion des autres (et en tout premier lieu de Alassane Ouattara) une solution à ses problèmes. En vain.

La crise de 1999 puis celle de 2002-2004 ont démontré que l’ivoirité, cette politique d’exclusion des autres, n’était pas une idée acceptable en Côte d’Ivoire et dans la sous-région et qu’elle ne saurait être une voie pour conquérir ou se maintenir au pouvoir. Il est dommage que cette prise de conscience résulte, uniquement, de crises majeures. Mais c’est aussi, sans doute, parce que, en temps opportun, ni la France ni la communauté internationale n’ont eu la volonté de dénoncer cette politique. Bédié convenait à Paris qui s’est ensuite accommodé de Gueï puis de Gbagbo. Le "Tout sauf Ouattara" était également en vigueur à l’Elysée.

L’assassinat de Gueï, le 19 septembre 2002 et, dans la foulée, la tentative d’assassinat de Ouattara (qui, racontée dans Paris-Match le 20 février 2003 par Dominique Ouattara, l’épouse du président du RDR, vient de valoir à l’hebdomadaire français, le 28 avril 2004, d’être condamné, à la demande de Gbagbo, pour diffamation), n’avaient guère ému les responsables politiques français qui n’entendaient pas, alors, chercher des histoires à Gbagbo.

Paris exfiltrait Ouattara d’Abidjan et virait son ambassadeur, Renaud Vignal, donnant ainsi satisfaction au chef de l’Etat ivoirien. Sans trouver, pour autant, une solution à la crise ivoirienne.

Dénonçant une diplomatie française "béate ", j’écrivais alors (LDD Côte d’Ivoire 050/Jeudi 12 décembre 2002) : "Ouattara et Vignal ayant été retirés de l’échiquier ivoirien, Gbagbo pense avoir les mains libres. Illusion. Gbagbo ne trouvera pas d’issue à la crise ivoirienne. Il est la cause de la crise. S’il perd face aux "mutins ", c’est le vide politique et toutes les aventures deviennent possibles. S’il gagne face aux "mutins ", e’est l’institutionnalisation revancharde de l’ivoirité. Et, du même coup, l’affrontement généralisé en Afrique de l’Ouest. En Côte d’Ivoire, le pire est à venir".

Le pire est arrivé. Et une fois encore, l’ambassadeur de France à Abidjan n’a rien vu venir. Gildas Le Lidec n’avait pas d’autre expérience africaine qu’un poste d’ambassadeur en République démocratique du Congo. J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, la situation ivoirienne n’était pas sans rappeler la situation zaïroise. Il y avait, dans l’un et l’autre cas, beaucoup d’illusions sur la capacité d’un homme dit de l’opposition à gérer le changement : l’arrivée de Kabila a fait exploser le Zaïre ; l’arrivée de Gbagbo a fait exploser la Côte d’Ivoire. Je ne suis pas certain que, dans les deux cas, Le Lidec ait compris ce qui se passait !

Résultat, alors que Marcoussis, voulu et organisé par Dominique de Villepin, visait à marginaliser Gbagbo, l’Elysée n’a eu de cesse de le remettre sur le devant de la scène. Au début de l’année 2004, Gbagbo se retrouvait dans la situation où il était à la fin de l’année 2002 : les mains libres ! Les mains libres pour financer l’acquisition de matériel de guerre, organiser la répression, recevoir quelques journalistes à sa dévotion, fêter sa "victoire" avec ses amis de l’Internationale socialiste à Paris !

Dans le même temps, l’opposition ivoirienne a été obligée de prendre ses responsabilités. Cela s’est passé à Marcoussis, en région parisienne. Ce n’était guère difficile ; ni dangereux. A Abidjan, bien sûr, la situation des membres du gouvernement de réconciliation était plus périlleuse. Il fallait s’opposer, ouvertement, au régime Gbagbo et à ses nervis dits Jeunes Patriotes. L’opposition a trop longtemps joué la conciliation, s’efforçant de penser que Gbagbo pouvait être sincère et que Diarra, nommé par défaut au poste de Premier ministre, pouvait acquérir sous Gbagbo version Marcoussis la compétence et la détermination dont il n’avait pas fait preuve sous Gueï dont il avait été, également, le premier ministre.

Un cap a été passé avec l’organisation de la "marche" le jeudi 25 mars 2004. Cela a été un acte politique majeur. Pour trois raisons essentielles : l’opposition ivoirienne prenait, pour la première fois, une initiative politique (Marcoussis avait été voulu et organisé par de Villepin) et cessait de se laisser "trimbaler" par Gbagbo ; l’opposition ivoirienne se regroupait sur un seul et même objectif : l’application stricte des accords de Marcoussis ; l’opposition prenait le pari de pousser Gbagbo, qui ne sait jouer qu’en "contre", à la faute.

La faute a été commise. Plus encore elle est constatée et stigmatisée par une commission d’enquête des Nations unies. La disparition du journaliste Guy-André Kieffer, qui fait suite à l’assassinat du journaliste Jean Hélène, ajoute à l’ignominie de ce régime. Qui peut aujourd’hui penser que Gbagbo et son régime sont capables de réinstaurer le dialogue et la réconciliation ? Qui peut penser aujourd’hui que ce n’est pas Gbagbo et son régime qui sont à la source de tous les maux de la Côte d’Ivoire ?

Il ne suffit plus de l’affirmer ; il ne suffit plus de le clamer ; il ne suffit plus de le démontrer. Il faut que l’opposition ivoirienne s’organise en un front unique pour présenter des propositions concrètes. Il n’est plus temps de jouer un jeu politicien où chacun entend tirer la couverture à lui. Il n’en reste que des lambeaux. Il est temps de dire qui va diriger la Côte d’Ivoire, avec qui et sur la base de quel programme.

Organisée en un front unique, avec un leader unique soutenu par tous les autres leaders, l’opposition pourra procéder au renversement politique de Gbagbo qui aura perdu alors tous ses soutiens. Plus encore quand la communauté internationale aura obtenu que les responsables des massacres du Jeudi Rouge soient identifiés, arrêtés, emprisonnés, jugés et condamnés. Et un gouvernement provisoire pourra être mis en place en vue de préparer des élections libres et transparentes.

Au début de la crise ivoirienne, le président burkinabè Blaise Compaoré avait prédit que son homologue terminerait devant un tribunal international. Ce temps-là est arrivé ! Il n’y a rien à attendre de Gbagbo. .Il est dans la position où s’est trouvé Aristide à Haïti. Il ne peut que radicaliser sa répression et aller plus loin dans le processus de décomposition économique, politique et sociale de la Côte d’Ivoire.

L’Onu a dit, courageusement, ce qu’il en était. La responsabilité de la France est de stopper Gbagbo. Dans six mois, à Ouagadougou, se tiendra le sommet de la Francophonie. Avec deux composantes majeures bien malades : la Côte d’Ivoire et Haïti. Malades de leur irresponsabilité politique ; malades aussi de l’indétermination française.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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