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France-Afrique : Les <I>Bush-Men</I> sont-ils en train de virer les Français d’Afrique francophone ?

Publié le vendredi 7 mai 2004 à 07h24min

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Il faut se rendre à l’évidence. Au fil des années, l’intérêt de la France pour l’Afrique tend à se restreindre. Paris gère l’existant. C’est-à-dire pas grand chose, hormis quelques souvenirs partagés. Par routine et sans conviction.

Les relations franco-africaines n’ont plus ce souffle commun qui existait autrefois et laissait penser qu’il y avait entre les uns et les autres un compagnonnage qui devait beaucoup à l’Histoire ; mais avait échappé à l’utilitaire pour 1’humanitaire, au sens noble de ce terme : la préoccupation des hommes pour les autres hommes.

Les dérives sont bien présentes aujourd’hui. Y compris au sein de nos ambassades en Afrique qui laissent se développer parmi le personnel français des pratiques qui sont réprouvées quand elles sont le fait du personnel africain. Tout y devient affaire de bakchich ; y compris l’inscription sur une liste d’attente pour déposer puis récupérer son visa (cela se pratique au consulat de France à Douala ; il est vrai que nous sommes au pays des "mange-mille ") !

La presse franco-panafricaine est morose quand elle n’est pas en débandade, obligée à survivre d’expédients. Les instituts universitaires français d’études africaines sont désertés. Les programmes d’investissement des entreprises françaises (y compris celles qui se sont fondées et développées sur le business avec l’Afrique) ne cessent de s’amenuiser. L’Afrique ne passionne plus. Pire encore, l’Afrique n’intéresse plus ! Il y a à cela une raison majeure : l’âge du président de la République. Jacques Chirac à une vision des relations franco-africaines qui est un démarquage de ce qu’elles étaient sous De Gaulle, etc... Vision dépassée.

Jospin avait tiré un trait sur l’Afrique. Chirac, pour rester dans la tradition "gaulliste", entendait réaffirmer l’intérêt africain de la France. Mais, au XXIème siècle, il a voulu gérer les relations franco-africaines comme elles l’étaient au XXème siècle. Avec pour résultat une crise ivoirienne dont les Nations unies viennent de souligner la dramatique ampleur. Une crise ivoirienne que de Villepin avait tenté de résoudre avec de la détermination mais trop d’états d’âme (l’analyse était la bonne : mettre Gbagbo sur la touche ; il lui a manqué la volonté d’aller jusqu’au bout de sa logique).

Chirac, je l’ai déjà dit, a voulu revenir aux vieux schémas. La Côte d’Ivoire en paye le prix. Elle n’est pas la seule. De Nouakchott à Djibouti, l’Afrique francophone traverse une crise de confiance envers la France dont la diplomatie n’assure plus la stabilité des régimes en place. Du même coup, ces pays regardent du côté de Washington qui maîtrise le binôme défense-finance (alors que Paris en est encore, au mieux, au binôme défense-diplomatie).

Il y a bien longtemps que Paris dénonce les velléités US en Afrique. C’est une permanence dans son discours diplomatico-africain. L’arrivée au pouvoir, à Dakar, de Abdoulaye Wade, adepte du "tout libéral" qui aime à revendiquer son amitié pour Bush tout en soulignant l’amitié de Chirac pour son prédécesseur Diouf, sert d’exutoire à cette inhibition : il a été admis, une fois pour toutes, par bien des commentateurs que la porte d’entrée des Bush-Men en Afrique noire francophone était Dakar. Erreur. Et Wade me le faisait remarquer récemment à Paris. Les Bush-Men n’ont pas besoin d’entrer en Afrique noire francophone par Dakar pour la bonne raison qu’ils sont déjà installés, militairement, dans toute la zone sahélienne. Sauf au Sénégal !

Les entreprises US savent que l’Afrique noire (hormis l’Afrique du Sud et, dans une moindre mesure, le Nigeria) n’est pas un marché significatif nécessitant un effort d’implantation. Elles s’intéressent, par contre, à ses ressources, notamment pétrolières. Pas seulement dans le golfe de Guinée mais également entre le 10ème et le 20ème parallèles. Cela tombe bien : c’est entre ces deux parallèles que l’on trouve la plus forte concentration de forces années US en Afrique. De Nouakchott à Djibouti. En passant par le Mali, le Niger, le Tchad et le Soudan !

Il y a peu d’informations sur ces implantations. Mais le mensuel Raids, toujours bien informé sur le terrain, vient de confirmer que des équipes du 1st Battation/IOth Special Forces Group (A irbone) , sous les ordres du lieutenant-colonel Robert Warburg, étaient basées actuellement à Bamako, Gao et Tombouctou au Mali et à Atar en Mauritanie. Elles sont là, officiellement, pour la fonnation des troupes locales à la lutte antiterroriste et à la surveillance frontalière. Mais l’intervention US ne se limiterait pas seulement à cette formation malgré les dénégations du département d’Etat.

Deux C-130 Hercules de l’US European Command ont assuré, mi-mars 2004, des opérations logistiques pour le gouvernement tchadien dans le Tibesti, à la frontière avec le Niger ; les Américains auraient également fourni "une aide significative aux Tchadiens sous forme de renseignements et d’interception des communications" grâce à la mise en oeuvre d’un avion de patrouille maritime P-3 Orion de l’US Navy opérant à partir d’un aérodrome algérien. NDjamena est engagé contre le Groupe salafiste de prédication et de combat (GSPC), lié à Al-Qaida, dirigé par un Algérien, Saifi Ammari, dit "Para".

Le magazine Raids donne également beaucoup d’informations sur la présence américaine à Djibouti dans le cadre de l’opération Force d’intervention alliée dans la Corne de l’Afrique. Il y a là : 2.000 soldats de l’US Marine Corps avec une composante "combat" du 1st Battation/24th Marine ; des personnels des United States Special Operations Command (Ussocom) ; des Hercules C-130 ; des Sikorsky MH-53H Super Stallion ; des drones Predator mis en oeuvre par les équipes de la CfA, etc...

Ces troupes sont installées au camp Lemonier, ex-base de la Légion étrangère. Un conseiller du président Ismaïl Omar Guelleh, cité par Raids, explique : "Les infrastructures du camp Lemonier augmentent à vue d’oeil et l’aide économique tout autant [...] Je crains qu’à Paris personne n’ait pris encore réellement conscience que la pérennité de la présence française à Djibouti est menacée. Désormais. ce n’est plus qu’une question de temps".

Le message est passé et a été bien reçu. Djibouti est essentiel dans le plan des Bush-Men. Ce minuscule pays est facile à contrôler (c’est une "ville-Etat" dit son président) ; c’est aussi un fabuleux poste de garde de la "Porte des Pleurs", le Bab el-Mandeb, par laquelle transite une part essentielle du trafic pétrolier mondial. Ismaïl Omar Guelleh, au pouvoir depuis avril 1999, a été le patron des services de sécurité de Djibouti dont l’efficacité est redoutée. En 1985, Guelleh avait été nommé chef de cabinet du président Hassan Gouled Aptidon et remplacé à la tête de la sécurité par Hassan Saïd Khaireh qui est le véritable numéro 2 du régime.

Pour une somme dérisoire (les Français paieraient une redevance de l’ordre de la 130 millions de dollars pour leur implantation militaire), les Bush-Men sont assurés d’être chez eux à Djibouti. "W" ne s’y est pas trompé. Le 21 janvier 2003, il avait reçu Omar Guelleh à Washington avec tous les honneurs en présence de Cheney, Powell, Rice, Rumsfeld, Wolfowitz.

Dans le même temps, l’affaire Borrel (juge français dont la mort, en 1995, n’est toujours pas élucidée) plombe les relations franco-djiboutiennes. Le 17 avril 2004, la présidence de la République de Djibouti accusait Paris d’avoir "un seul et unique objectif : la déstabilisation d’un pays".

Guelleh s’en expliquera longuement dans un entretien avec François Soudan, le directeur de la rédaction de JA/L’Intelligent, qui avait fait, pour cela, et c’est exceptionnel, le déplacement jusqu’à Djibouti (une semaine auparavant, .JAI avait publié un dossier sur Djibouti faisant largement le plein de pages de publicité). Il venait de paraître quand les ministères français des Affaires étrangères et de la Défense ont publié un commniqué visant à blanchir la présidence de la République de Djibouti dans la mort du juge. Qui reste à élucider !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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