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"Dans une démocratie, on évite de faire des lois de circonstance ", dixit Luc Ibriga

Publié le jeudi 31 mai 2007 à 08h06min

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Luc Ibriga

Ces élections marquent-elles une avancée ou un recul de notre démocratie ?

Dr Ibriga : Il faut porter l’analyse sur deux aspects : le premier aspect est relatif à ce que l’on pourrait appeler la routinisation du processus électoral au Burkina. Nous sommes à la 4ème législature sans interruption, ce que le passé politique du pays n’a pas permis de voir.

De ce point de vue, on peut se féliciter que formellement, les institutions fonctionnent. Le deuxième niveau d’analyse, c’est par rapport au fond. A ce niveau, le bilan est mitigé dans la mesure où les résultats auxquels on est parvenu étaient envisageables dès le départ. Par la modification de la loi électorale, surtout le découpage des circonscriptions, on avait déjà l’idée de la victoire du CDP, le parti au pouvoir.

Malgré l’affirmation formelle d’une proportionnelle au plus fort reste, dans près de la moitié des circonscriptions électorales, c’est le scrutin majoritaire qui a prévalu. De ce point de vue, c’est un recul démocratique. Quand on choisit un mode de scrutin, c’est pour qu’il produise des effets escomptés liés à ce choix. Donc, pour le mode actuel, c’est la région qui sied comme circonscription électorale, pas la province.

Par rapport à la représentation des partis de l’opposition à l’Assemblée, on remarque qu’il y a un net recul. Si l’on soustrait les sièges des partis de la mouvance comme l’UPR, l’ADF/RDA, la CFD/B et autres dans les 38 sièges que le CDP a laissés aux 12 autres formations politiques, on se retrouve avec une portion congrue pour les partis qui s’opposent réellement au gouvernement. De ce point de vue, le système marque un recul par rapport à 2002 où les différentes sensibilités étaient mieux représentées. Cela est aussi le fait des partis politiques de l’opposition.

Ils ont manqué de clairvoyance. Ils n’ont pas compris qu’avec un tel découpage électoral, il aurait été essentiel de s’allier pour pouvoir sauver les meubles. Ils ont fait preuve d’une absence de lecture politique des conséquences des modes de scrutin. Les partis politiques pensent que ce sont les modes de scrutin qui doivent s’adapter à eux. Pourtant, j’estime que ce sont les partis qui doivent s’adapter aux modes de scrutin.

Le mode de scrutin est-il équitable pour tous les partis ?

En 2001, c’est le parti majoritaire qui a voté la proportionnelle au plus fort reste. Si aujourd’hui, c’est lui-même qui se fait son pourfendeur, cela veut dire qu’il n’avait pas une claire lecture du mode de scrutin. Cela prouverait de sa part, un manque de maturité politique par rapport à la connaissance des conséquences des modes du scrutin. Mais en fait, c’est une récrimination pour masquer des défaites.

Remarquez que là où la proportionnelle au plus fort reste a véritablement fonctionné, à savoir le Kadiogo, le Houet, le Boulgou... , le parti au pouvoir a été obligé de partager les sièges. En fait, la proportionnelle au plus fort reste ne joue véritablement que quand il y a au moins 4 sièges en jeu.

Ce sont justement les responsables locaux CDP dans ces circonscriptions qui se plaignent. Ce qui veut dire que dans ces zones, le CDP n’est pas véritablement majoritaire. C’est cette réalité qu’il a du mal à accepter. Pourtant, les règles du jeu étaient connues à l’avance. Pourquoi il ne se plaint pas des résultats des autres circonscriptions où il a raflé presque tous les sièges ? Enfin, il faut être conséquent avec soi-même.

Qui est le chef de file de l’opposition ?

Il faut d’abord définir ce qu’est l’opposition. Dans un système politique, l’opposition est constituée par les partis qui ne partagent pas la politique mise en oeuvre par le gouvernement. Au Parlement, on parlera de l’opposition parlementaire. C’est le parti majoritaire à l’Assemblée qui forme le gouvernement. Celui-ci rend compte à l’Assemblée. Le chef de l’Etat est, lui, politiquement irresponsable. Dans un tel système, l’opposition ne se définit pas par rapport au chef de l’Etat. Mais par rapport au gouvernement.

Dans la situation actuelle du Burkina, il y a une concordance de la politique présidentielle avec la politique gouvernementale puisque les deux pôles de l’exécutif (le président et le Premier ministre) sont du même bord politique. Dans cette situation, le gouvernement ne fait qu’appliquer la politique définie par le chef de l’Etat. On ne peut donc pas dire qu’on soutient le chef de l’Etat et s’opposer en même temps à son gouvernement.

Mieux, si on est dans ce gouvernement, on ne peut pas se réclamer de l’opposition. La loi ne dit pas que le chef de file de l’opposition, c’est le premier parti après le parti au pouvoir. Ce n’est pas le parti qui vient après le CDP. Le premier parti de l’opposition, c’est celui qui vient après le CDP et qui ne partage pas la même vision que lui, à savoir sa politique gouvernementale. L’ADF/RDA fait partie de la majorité parlementaire qui soutient le gouvernement. Elle est membre de ce gouvernement qui n’est pas un gouvernement d’union nationale ou de crise.

Même si elle venait à quitter ce gouvernement, elle fera toujours partie de la mouvance présidentielle puisqu’elle dit haut et fort qu’elle soutient le programme du chef de l’Etat. La preuve, en 2005, quand elle a décidé de soutenir la candidature du chef de l’Etat, elle a abdiqué du statut du chef de file de l’opposition. A l’époque, elle aurait été incohérente en gardant ce statut alors qu’elle a choisi de soutenir le président Blaise Compaoré. Si on était dans le cas de figure où la majorité parlementaire ne coïncide pas avec la majorité présidentielle, on pourrait comprendre son attitude.

On a vu ce cas en France en 1995 quand le président Chirac a dissous l’Assemblée et s’est retrouvé après les élections avec une majorité socialiste au Parlement. C’est le parti socialiste qui a formé le gouvernement avec Lionel Jospin comme Premier ministre. Le parti du président, le RPR, était alors dans l’opposition, tout comme les autres partis qui ne soutenaient pas la majorité parlementaire qui gouvernait. A moins que l’ADF/RDA nous dise qu’elle est contre le gouvernement, qu’elle vote contre les projets de lois du gouvernement, en ce moment, on peut dire qu’elle est dans l’opposition.

Il faut reconnaître que tout ce débat a lieu parce que le texte sur le statut de l’opposition est très mal rédigé. Il est laconique et sans consistance dans le fond. Il ne donne du chef de file de l’opposition qu’un rôle protocolaire. Or, ce n’est pas ce qui devrait être le rôle d’un chef de l’opposition. Celui-ci doit avoir un statut qui lui permette de demander des audiences au chef de l’Etat, d’être interrogé quand il y a des problèmes au sein de la Nation.

Quelles propositions faites-vous pour améliorer le système électoral ?

Il faut saisir l’occasion que pendant 5 ans au moins, on n’aura pas des élections de ce genre pour travailler à avoir des textes corrects et consensuels qui puissent asseoir un civisme politique. Il ne faut plus manipuler les textes à l’approche des élections. La crédibilité des institutions dépend fortement de la légitimité de ceux qui les dirigent.

Cette légitimité suppose que les règles du jeu sont acceptées par la majorité des acteurs politiques. Il ne faut pas que dans une compétition, l’arbitre soit en même temps joueur. Le code électoral a besoin d’être nettoyé car il contient beaucoup d’ambiguïtés. Dans une démocratie, on évite de faire des lois de circonstance. Le parti au pouvoir est suffisamment intelligent pour proposer des textes consensuels parce qu’un jour, il peut se retrouver dans l’opposition.

Au Burkina, nous devons également tendre à cela. C’est pourquoi nous devons abandonner la fâcheuse habitude d’avoir des documents multiples pour s’inscrire sur les listes électorales. Le gouvernement ne peut pas nous dire qu’il est difficile d’opter pour la seule pièce d’identité alors que le chef de l’Etat l’a proposé aux Togolais dans le cadre de sa médiation.

On peut utiliser par exemple le dernier recensement pour savoir le nombre de Burkinabè qui n’ont pas cette pièce et faire en sorte qu’ils en acquièrent. J’estime que l’ONI (office national d’identification) et la CENI doivent travailler ensemble pour qu’on ait des cartes d’identité infalsifiables. Cela n’est pas difficile. Déjà, les Pays-Bas appuient l’ONI à hauteur de milliards pour permettre aux populations des zones rurales d’avoir leurs cartes à 500 f CFA.

Il faut également qu’on tranche la question de la CENI. Je pense qu’il faut la constitutionnaliser, en faire une institution permanente avec des administrateurs électoraux sur l’ensemble du territoire national. Plutôt que de mettre des militants de partis dans les différents démembrements de la CENI, on pourrait former les instituteurs et leur confier la tâche de diriger ces structures décentralisées. Cela va nous éviter de recommencer chaque fois la formation.

Il suffit d’introduire un module sur l’organisation des élections à l’ENEP et d’éditer un manuel à l’intention de ces instituteurs pour régler une bonne fois la question des renouvellements des démembrements de la CENI qui sont accaparées par des responsables politiques. Il faut également revoir la loi sur la création des partis politiques. Pour être reconnu, il faut être représenté dans au moins les 3/4 des 45 provinces du pays et avoir un siège.

Il est également important qu’à partir de cette législature, les médias d’Etat prévoient des plages pour les groupes parlementaires qui viendront développer leurs positions par rapport au travail parlementaire, expliquer la pertinence des lois qu’ils veulent voter ou leur opposition par rapport à ces lois.

C’est ainsi qu’on entrera véritablement dans le pluralisme politique où chacun pourra défendre ses idées devant les citoyens. Si nous voulons améliorer notre démocratie, nous devons impérativement prendre le temps de réflexion pour nous doter des textes consensuels. Ce n’est pas la peine de faire la politique de l’autruche.

Interview réalisée par Idrissa Barry

L’Evénement

P.-S.

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Vos commentaires

  • Le 31 mai 2007 à 11:27 En réponse à : > "Dans une démocratie, on évite de faire des lois de circonstance ", dixit Luc Ibriga

    Mais tout est de circonstance dans ce pays, cher professeur....

    • Le 31 mai 2007 à 15:49 En réponse à : > "Dans une démocratie, on évite de faire des lois de circonstance ", dixit Luc Ibriga

      Pour l’une des rares fois des intellectuels burkinabè sortent de leurs coquilles pour éclairer les uns et les autres. Le Pr Loada et le Dr Ibriga n’ont pas seulement critiqué l’état du processus démocratique burkinabè mais ils ont fait des propositions pour améliorer l’objet critiqué. C’est le rôle de l’intellectuel. Beaucoup craignent de perdre leur privilège d’où leur mutisme ;mais il est souvent indispensable pour les autorités de ce pays d’avoir l’avis de ces intellectuels pour conduire les affaires et bien. Merci pour une fois d’apprécier sans détour la démocratie burkinabè.

    • Le 31 mai 2007 à 16:50, par Tening En réponse à : > "Dans une démocratie, on évite de faire des lois de circonstance ", dixit Luc Ibriga

      Il me semble que le journaliste a oublié de nous présenter Luc Ibriga ?? Qui est ce ? Si vous vous le connaissez moi pas. Je n’ai pas besoins de vous dire. En nous le présentant, nous pouvons avoir une attitude plus critique de son discours.

      • Le 31 mai 2007 à 18:18 En réponse à : > "Dans une démocratie, on évite de faire des lois de circonstance ", dixit Luc Ibriga

        Le professeur Ibriga est docteur en droit (public), il enseigne à l’UFRSJP à l’université de Ouagadougou.
        Il est aussi le directeur du centre d’etudes européennes de cette même université...Sanwé

      • Le 3 juin 2007 à 02:47 En réponse à : > "Dans une démocratie, on évite de faire des lois de circonstance ", dixit Luc Ibriga

        Vous n’avez pas vraiment besoin de connaitre l’ homme pour etre critique de son discours. L’attitude critique est une attidude de veille permanente qui ne se soumet pas aux individus. meme si c’est un gars du CDP qui parle, moi je le suis avant de prendre mon camp. meme si c’est un article de l’ Opinion ou de Hebdomadaire ou le professionnalisme nb’est pas la chose la mieux partagee, je lis et ensuite je mets dans le garbage can quand c’est trop indigeste. Sinon Ibriga est l’ un des rares intellectuels, ponderes qui nous restent. ce n’est pas un mangeur mais il ne fait pas de la critique oppositionnelle. Il dit ce qu’ il appris car il se rapplelle que le peup[le a paye ses etudes jusqu’en france et qu’ il doit servir ce peuple loyalement.
        Merci

  • Le 31 mai 2007 à 22:10, par Aboubakar En réponse à : > "Dans une démocratie, on évite de faire des lois de circonstance ", dixit Luc Ibriga

    Au moins il ressort une chose de ces propos ; nos dirigeants sont de mauvaise foi et sont égoïstes. Ils ne pensent qu’à gagner des élections et se moquent de ce que cela peut repréter pour notre démocratie. Ils ne s’inquiètent que si cela commence ne pas leur sourire. Dieu merci, il y a encore des intellectuels qui ne se sont pas encore prostutués.

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