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Guinée/Conakry : Pragmatisme d’abord, démocratie ensuite

Publié le mercredi 30 mai 2007 à 07h55min

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"A quoi sert la littérature dans un pays qui a faim ?" Une telle question dont la réponse est beaucoup plus complexe qu’on pourrait le croire, renvoie cependant à la détermination des urgences et des priorités à observer dans la vie de l’homme comme dans celle de la société tout entière, tant les préoccupations de la vie sont multiples et diverses.

La situation que vivent les populations de la Guinée/Conakry qui a atteint son paroxysme dès le début de l’année et qui a conduit à la nomination au poste de Premier ministre de Lansana Kouyaté comme tentative de solution, ramène à l’ordre du jour la question qui vient d’être posée.

Le Premier ministre guinéen "choisi" par la société civile et l’opposition politique et "accepté" par le président Conté semble avoir en tout cas pris position : le pain et l’eau d’abord et la démocratie ensuite. Il affiche par là un choix difficile mais raisonnable, tant il est vrai qu’il se trouve dans un dilemme cornélien. Il a opté pour le pragmatisme en s’engageant avec une réelle conviction, à la résolution, prioritairement, des questions "bassement" vitales.

En faisant baisser le prix des denrées de première nécessité, telles que le riz, l’huile, le sucre, en faisant de l’électrification et de l’adduction d’eau potable pour la majorité des populations guinéennes ses priorités, M. Kouyaté a annoncé les couleurs : donner d’abord à manger au peuple et chercher à résoudre les problèmes fondamentaux avant de s’intéresser aux question politiques dont la démocratie.

Car quand il arrivait, les Guinéens manquaient presque de tout : pas d’électricité ni d’eau potable ; prix du sac de riz hors de la portée des salaires moyens (pour ceux qui en ont : le salaire d’un instituteur étant l’équivalent du prix d’un sac de riz de 50 kg) ; paupérisation très avancée des populations qui luttent en vain pour survivre.

A-t-il raison de faire un tel choix ? A-t-il fait preuve d’assez de lucidité et de clairvoyance politiques quand il déclarait à la presse française qu’il fait allégeance au président Conté et que les revendications de la rue s’étaient arrêtées à la Constitution donc à la légitimité du régime du président ? Alors que, en désespoir de cause, le peuple avait fini de demander purement et simplement le départ de ce dernier ?

En effet, en dehors de certains engagements, notamment celui relatif à la révision des contrats d’essence économique pour en vérifier et la régularité et le degré de sauvegarde des intérêts de la nation, le Premier ministre évite soigneusement de s’attaquer au régime de Conté et à ses institutions parmi lesquelles, l’Armée dont on soupçonne que le président en soit l’otage.

Cette "cohabitation" qu’il semble accepter de vivre auprès de Conté serait-elle une ruse politique du genre : "Le président règne et le Premier ministre gouverne "pour se donner le calme et le temps nécessaires afin de sortir la Guinée du champ de ruines dans lequel elle végèle depuis plus d’une décennie ? Il pourrait s’agir pour le Premier ministre, de négocier une transition permettant à Conté, vivant ou mort de partir, l’honneur sauf.

En laissant aussi et surtout la Guinée en paix. Car, au regard de la disposition des forces en présence et de la nature de la démocratie en Afrique, il est presque sûr qu’un départ forcé et violent du "vieux" prolongerait le pays, ne serait-ce que pendant un court moment, dans une guerre civile dont il se passerait fort volontiers.

Sur toute la ligne donc, Kouyaté aura fait le bon choix. D’autant que l’une des revendications grandement maximalistes et provocatrices des militaires (payement d’arriérés de salaire de 11 ans) cache mal leur volonté d’affirmer leur présence, voire leur capacité de nuisance, eux qui ont fait jusque-là la force de Conté.

Cette présence réelle et forte de l’armée, toujours aux côtés du président, risque, de surcroît, de limiter la crédibilité et l’efficacité de la lutte que le Premier ministre a promis de mener contre l’impunité. Environ deux décennies de catastrophe économique et politique ne se règlent pas le temps d’une transition aux formes et au contenu aussi confus ! surtout dans le contexte général de la démocratie "africaine".

L’évocation répétée de la Constitution et de la légitimité du pouvoir du président Conté (pour lequel en fait, il est le serviteur, voire le sauveur) par le Premier ministre, illustre une réalité pénible à assimiler : depuis la Baule, la démocratie recule démocratiquement en Afrique ! C’est-à-dire qu’on se sert de la démocratie formelle et formalisée dans des textes (constitutions, institutions républicaines...) pour tuer légalement la démocratie.

Car il existait en Afrique "des" démocraties avant la Baule, et rien ne dit aujourd’hui que certains régimes à Parti unique d’antan n’étaient pas plus démocratiques que beaucoup de démocraties actuelles sur le continent noir. De quoi donner quelques raisons à l’Afro pessimisme, au moins pour ce qui concerne l’avenir de la vie démocratique en Afrique : les formes et structures de la démocratie sont mises en place pour la vider de son fond et en faire une coquille vide qui n’est pas pour autant moins répressive et moins violente.

Mais pendant combien de temps la technique de Kouyaté sera-t-elle efficace ? Peut-on satisfaire, les besoins même les plus prioritaires des peuples sans une référence politique claire à la démocratie ? Car, n’oublions jamais qu’en Afrique noire, la pauvreté des peuples est proportionnelle à la qualité et à l’exploitation des richesses de leur sous-sol.

Le Pays

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