LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Découpage électoral : L’UNDD saisit le Conseil constitutionnel

Publié le lundi 28 mai 2007 à 08h50min

PARTAGER :                          

Hermann Yaméogo

On n’en a pas parlé abondamment mais les quelques allusions qui y sont faites dans la presse nationale et dans le Jeune Afrique N° 2419 du 20 au 26 mai 2007 suffisent pour faire comprendre au Burkinabé moyen qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le découpage électoral qui a présidé aux élections du 6 mai dernier.

L’Union nationale pour la démocratie et le développement (UNDD) a posé le problème dès après son congrès des 10 et 11 février 2007 et n’a eu de cesse depuis, à travers marches et déclarations de son Bureau Exécutif National (BEN), de tirer la sonnette d’alarme sur la commission d’un viol programmé de la loi si rien n’était changé dans le découpage électoral. Rien n’a été fait et l’agression consommé, le parti de la panthère en a saisi le Conseil constitutionnel, non pas tant, dit-il, parce qu’il pense que celui-ci fera droit à sa demande mais pour prendre date devant l’histoire et mettre, au-delà des magistrats, chacun en face de ses responsabilités.

Quel est donc l’objet de ce litige, comme dirait l’autre ?

Le code électoral, en son article 156, alinéa 1, dispose ce qui suit : « Les députés à l’Assemblée nationale sont élus au scrutin de liste nationale ou provinciale, au suffrage universel direct, égal et secret, à la représentation proportionnelle avec répartition complémentaire suivant la règle du plus fort reste, conformément aux dispositions ci-après.. ». En clair, au Burkina Faso comme dans ces pays progressistes soucieux d’avoir une bonne représentation des courants d’opinion à l’Assemblée, on a adopté comme mode de scrutin, le scrutin pluri nominal ou de liste (dans lequel l’électeur vote pour plusieurs candidats portés sur une liste), avec la modalité de la représentation proportionnelle. Cette technique, est-il besoin de le souligner, s’exerce seulement et nécessairement dans le cadre du scrutin de liste.

Le choix fait par le Burkina Faso vaut tant pour la liste nationale que pour les listes provinciales. Au plan national, la représentation proportionnelle est dite intégrale, et le quotient électoral sera obtenu dans ce cadre en divisant le nombre total des suffrages exprimés dans le pays par le nombre total des sièges à pourvoir. Au plan provincial, la représentation proportionnelle est dite approchée, et le quotient électoral s’obtient en divisant le nombre total de suffrages exprimés dans la province par le nombre total de sièges à pourvoir dans ladite circonscription. Nulle part dans le code, il faut le préciser, il n’est en effet fait formellement mention d’un scrutin mixte qui autoriserait à la fois le recours au scrutin de liste et au scrutin uninominal dans lequel l’électeur, comme on le sait, vote pour un seul candidat. Mais en annexe au code électoral, il est prévu un tableau qui, curieusement, opère une répartition des sièges en allouant à 15 provinces, un député à élire. Cela pose des problèmes.

D’abord, cette annexe fait-elle partie intégrante de la loi ou a-t-elle été simplement prise après coup par un texte réglementaire ? En se référant à l’article 154 du code électoral, on se rend compte qu’en son alinéa 2, on renvoie à cette annexe.

Mais (et c’est là un autre problème) on n’est pas pour autant sorti de l’auberge car plane un soupçon de fraude à la loi. En effet, tout comme l’article 156, l’article 154 (alinéas 1 et 2) est clair : « Le nombre de sièges à l’Assemblée national est fixé à cent onze. Les députés sont élus à raison de quinze sur liste nationale et de quatre-vingt-seize sur liste provinciale.

La répartition des sièges sur listes provinciales est définie conformément au tableau annexé au présent code ». C’est indiscutable : le mode de scrutin est bel et bien le scrutin pluri nominal assorti de la proportionnelle applicable aussi bien pour la liste nationale que pour les listes provinciales. On se pose alors la question de savoir comment une loi peut dire une chose et son contraire puisque pour les 15 circonscriptions en question, nous nous retrouvons dans les faits, dans le cadre d’un scrutin uninominal, majoritaire à un tour. Dans ces 15 circonscriptions, on le comprend, il n’y a même pas de quotient électoral à calculer (10.000 suffrages exprimés, par exemple, et divisés par 1 siège à pourvoir, ça fait toujours 10.000). Du reste, point n’est besoin d’un tel calcul car est élu immédiatement le seul candidat du parti qui aura obtenu le plus grand nombre de voix même à la majorité relative ou simple.

Ce n’est pas que l’histoire ne donne pas d’exemples d’utilisation de scrutins proportionnel et majoritaire au cours d’une même élection mais encore faudrait-il que cela soit expressément prévu par la loi et obéisse à certaines modalités. Ce fut le cas en France notamment avec la loi Dessoye de 1919 qui a combiné, dans le cadre du scrutin de liste départemental, les systèmes majoritaire et proportionnel. Ce fut le cas en Haute-Volta aux élections qui ont suivi le décès de Ouezzin Coulibaly où un texte a permis que sur un même territoire national, coexistent un scrutin proportionnel et un scrutin majoritaire. C’est le cas en Allemagne.

L’UNDD, en saisissant le Conseil constitutionnel, aime à dire que les deux systèmes ne sont pas exclusifs l’un de l’autre ; il affirme plutôt que leur juxtaposition n’est pas prévue par la loi. On le voit : un problème de droit sérieux est posé par ce recours qui, par ailleurs, montre très clairement la volonté de manipulation du suffrage, aux fins de captation de sièges, par cette juxtaposition-pirate de deux scrutins. Rien d’étonnant quand on sait tout le travail de remise en cause du consensus national qui avait permis d’adopter des mesures favorables à la transparence et à la représentation plus équitable des opinions.

Il n’appartient pas seulement aux hommes politiques de s’impliquer dans le débat ; les juristes, les hommes de médias, les leaders de la société civile, les étudiants les intellectuels.., les partenaires techniques et financiers sont aussi interpellés car ce dont il s’agit ici, c’est de l’attachement à l’esprit des lois, à la primauté du droit qui conditionnent la sécurité collective, entendue dans son sens le plus large.

Il n’est pas certain que le recours du parti de Me Yaméogo aboutisse car ce serait pour le pouvoir, faire soumission au droit, ce qui n’est pas dans ses habitudes. Mais surtout, cela aurait pour conséquence de faire recommencer toutes les élections car cette méconnaissance substantielle du code électoral porte gravement atteinte au droit de suffrage et invalide par le fait dans sa globalité, l’élection du 6 mai. Il faudrait donc, dans ces conditions, non seulement reprendre le scrutin mais donner raison à l’UNDD. Cela, on le voit bien, ne peut qu’être difficilement acceptable pour un pouvoir qui entend liquider ce parti dont les prises de position quelquefois teigneuses et souvent justes l’insupportent au plus haut point.

Mais que les Burkinabé comprennent que le temps est venu pour chacun d’assumer ses responsabilités face au destin national et que plus ils se taisent et plus ils se rendent complices de la décomposition de la gouvernance nationale. On ne dira pas en tout cas que le parti de la panthère n’aura pas jusqu’au bout, assumé les siennes !

NDLR : Au moment de boucler cette édition, nous apprenons que le Conseil constitutionnel a, ce samedi 26 mai 2007, reçu en la forme la requête de l’UNDD mais l’a rejetée au fond. « No comment » !

San Finna

P.-S.

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV