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Filière coton : Des incohérences bien burkinabè

Publié le mercredi 23 mai 2007 à 07h37min

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C’est ce qu’on pourrait appeler les incohérences des autorités burkinabè ou le paradoxe de Blaise Compaoré. Alors que le président du Faso est en effet depuis de nombreuses années l’avocat infatigable des filières cotonnières africaines, les cotonculteurs burkinabè viennent d’apprendre que non seulement le prix d’achat du coton graine aux producteurs allait baisser (c’était prévisible) de 12%, mais que dans le même temps, le coût des intrants augmenterait de 30% ; comme si on voulait leur donner le coup de grâce.

Pour l’auteur des lignes qui suivent, lequel se trouve être un acteur de la filière, c’est ce qu’on appelle l’art de se tirer une balle dans le pied.

Difficile mission, que celle confiée aux 15 équipes mises sur pied par la SOFITEX et qui ont sillonné les zones de production relevant de cette entité du 15 au 22 mai 2007, et ce, dans le cadre des forums de sensibilisation sur la campagne cotonnière 2007/2008.

Difficile, parce que de mémoire d’« émissaires », c’est la première fois qu’il leur a été demandé d’aller annoncer simultanément deux mauvaises nouvelles. A savoir : celle portant sur la baisse du prix d’achat du coton graine et les informations relatives à la hausse du prix des intrants agricoles.

Cela rappelle un peu l’histoire (vraie ou fausse) de cet ancien chef d’Etat d’un pays de la sous-région ouest-africaine qui, après avoir pris part à Dakar à une rencontre au cours de laquelle il a été décidé de dévaluer le franc CFA, a passé un bon bout de temps à se demander comment faire pour annoncer une telle nouvelle à son peuple, une fois de retour chez lui.

Les forums de sensibilisation sur la campagne 2007/2008, qui ont des similitudes avec cette anecdote, ont également ceci de particulier qu’ils resteront longtemps gravés dans les mémoires collectives.

Tous ceux qui les auront suivis directement ou par médias interposés auront en effet remarqué la délicatesse de la démarche des techniciens de la SOFITEX face à des cotonculteurs inquiets et désemparés par cette nouvelle donne dont ils n’avaient certainement pas besoin, et qui vient s’ajouter à la morosité ambiante constatée sur le marché du coton : baisse du prix d’achat du coton de 12% et augmentation de celui des intrants de plus de 30% ; il y a vraiment de quoi y perdre son latin.

Surtout par des paysans qui, par le truchement de leurs différentes structures faîtières (APROCA et UNPCB notamment) et également par le fait du voisinage, savent que depuis le début de la crise, les filières des autres pays africains producteurs de coton sont subventionnées à des dizaines de milliards de francs CFA chaque année.

Alors pourquoi le Burkina, dont le Président est pourtant et unanimement reconnu comme un ardent défenseur de la cause du coton africain, se met-il en retrait, à travers des décisions suicidaires telles que la suppression brutale, par l’Assemblée nationale, de la subvention de 3 milliards de nos francs sur les intrants voilà de cela quatre ans maintenant ; le maintien de la TVA non déductible sur le transport des intrants et la classification à la catégorie 2 (avec 20% de taxe) des insecticides utilisés par les paysans(conditionnement en boîtes de 0,5 litre et 1 litre) pendant que la catégorie 1 (taxée seulement à 5%) concerne les mêmes insecticides, mais paradoxalement conditionnés dans des emballages supérieurs ou équivalents à 40 litres ?

Revoir la copie le plus vite possible

Certainement que les décideurs en la matière ont leurs raisons que le commun des Burkinabé, pour ne pas dire les producteurs, ignore. Mais il ne serait peut-être pas de trop de rappeler aux uns et aux autres qu’en plus de la hausse du prix des intrants sur le marché international, la suppression de la subvention et l’application de la taxe sur le transport des intrants ont entraîné, à elles seules, un renchérissement et une hausse cumulés de 2 000 F CFA sur le prix du sac d’engrais avec répercussion sur le prix final de cession, qui passe ainsi de 12 500 F CFA à 16 720 F CFA.

Ce sont là des incohérences qui, si elles ne sont pas revues et corrigées le plus vite possible, vont inévitablement porter un coup dur au déroulement de la campagne. Certes le gouvernement, sous la houlette du président Blaise Compaoré et de l’Assemblée nationale, ont déjà beaucoup fait pour la filière. Les techniciens de la SOFITEX ont tenté de le rappeler aux paysans.

Mais ils ont tôt fait de se raviser, car s’étant rendu compte que ces derniers, plus que jamais au parfum de l’actualité cotonnière grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, ont tenu à leur rappeler, chiffres à l’appui, que sur toute la ligne, ce sont eux qui laissaient finalement des plumes.

A preuve, sur les 34,400 milliards de francs CFA issus de la recapitalisation de la SOFITEX, que l’Etat doit honorer, ils savent que la part des producteurs, qui est de 10,300 milliards et qui doit être libérée par l’Etat, n’est pas un don mais plutôt un prêt remboursable par eux, au même titre que les 11,700 milliards de DAGRIS qui sont un portage de l’Etat à rembourser plus tard par le repreneur de cette part.

Quant aux autres 50 milliards de garantie, ils représentent une dette des sociétés cotonnières envers les banques. L’effort est demandé à ces banques de reéchelonner cette dette sur cinq ans au taux de 7,5%, et l’échéance non honorée sera avalisée par l’Etat, qui se retournera ensuite contre la société défaillante pour se faire rembourser.

C’est dire qu’à y regarder de près, rien ne semble leur avoir été octroyé gratuitement. Il y a donc lieu que l’Etat et la Représentation nationale revoient leur copie le plus rapidement possible pour redonner un tant soit peu le sourire et le courage à ces braves paysans à qui, pourtant, on demande toujours plus.

L’art de se tirer une balle dans le pied

Du reste, quand on sait que les probabilités de sous-dosage des produits, de la part des producteurs, pour raisons d’économie, sont élevées, il y a de quoi craindre une baisse des rendements (80% des rendements dans le cadre d’une attaque parasitaire forte selon les études de l’INERA). Pour ceux qui ne le savent pas encore, et à titre d’exemple, une baisse de rendements de l’ordre de 20% équivaut, au bout du compte, à 51 000 tonnes de fibre de coton en moins.

A raison de 600 frs le kg, cela donne simplement la bagatelle de 30 milliards de francs CFA de manque à gagner pour la balance commerciale du Burkina, sans oublier les autres secteurs d’activités qui bénéficient de la manne cotonnière. C’est notamment le cas des cultures céréalières qui utilisent l’engrais du coton. Par ces temps qui courent, avouons que laisser s’envoler un tel pactole revient en quelque sorte à se tirer une balle dans le pied. Il y a donc péril en la demeure.

Et les autorités, dont nul ne peut douter aujourd’hui de l’intérêt et de l’importance qu’elles ont toujours accordés au dossier coton, sont de nouveau interpellées. Il en est de même pour les travailleurs de la SOFITEX qui, au-delà du mois de salaire consenti en guise de sacrifice, doivent faire preuve de beaucoup plus de solidarité vis-à-vis de ces paysans, qui estiment que de 2004 à nos jours, ils ont perdu 30% de leurs revenus.

Alors plus vite ça se fera, mieux cela vaudra, si l’on ne veut pas voir le sort de la filière scellé et l’avenir de millions de personnes hypothéqué. N’oublions pas que l’épandage du NPK s’effectue 15 jours après les semis. Et quand on sait que certains ont semé il y a de cela une semaine déjà, il faut s’attendre par conséquent à ce que les premiers parasites, notamment les chenilles, commencent à frapper aux portes des champs.

Zinnvindépouga K.

01 BP 8046 Ouaga 01

(Un acteur de la filière)

L’Observateur

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Vos commentaires

  • Le 23 mai 2007 à 18:58 En réponse à : > Filière coton : Des incohérences bien burkinabè

    Excellent article. Ton mesure, vrai esprit patriotique. Il me semble que le gouvernement et l’assemblee remercie tres mal ceux qui les ont elus. Et on a attendu l’apres election pour frapper. Que c’est triste.

    • Le 25 mai 2007 à 17:52 En réponse à : > Filière coton : Des incohérences bien burkinabè

      C’est très dommage qu’une telle situation vienne s’ajouter à la misère des contoncultuteurs et du peuple, car les revenus de cette activité profitent à tous et encore plus à ces hommes du pouvoir.
      Comme quoi le peuple n’aime vraiment pas le peuple, comme dirait notre ami de la lagune ebrié. Le peuple persiste et signe en aiguisant élection apres élection le couteau même qui s’enfonce en lui. J’espere que les paysans comprendront d’eux mêmes qu’ils n’auront de défenseur qu’eux mêmes et que les discours des pseudo politiciens et soit disant intellectuels sont en realité très loin de leurs champs et de leurs interêts.

      Que les hommes politiques s’occupent de cette situation pour qu’elle revienne tres rapidement à la normale, car il ne devraient oublier que ce qu’ils sont ils le doivent d’abord à cette masse que sont les paysans.
      C’EST L’HOMME QUI FAIT L’HOMME , ne l’oublions pas.

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