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Chefferie traditionnelle et politique : "Plus jamais ça..."

Publié le lundi 21 mai 2007 à 07h42min

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Thomas Dakin Pouya, pour le Club Patrimoine, évoque à travers cette analyse, la problématique de la chefferie traditionnelle dans la politique.

"Le sujet n’est pas nouveau mais il revient toujours, comme une épidémie, sous nos tropiques, de façon récurrente, susciter le débat sur la nécessité de la prévention et de la cure à son propos. L’occasion des élections législatives du 6 mai passé a relancé le débat sur la place de la chefferie traditionnelle en politique moderne. Le Club Patrimoine qui a pour préoccupation “ comment se développer sans se renier ” voudrait prendre langue dans ces fora afin de participer à l’assainissement de la cohabitation du bonnet et de l’écharpe.

Des souvenirs de l’époque où l’administration coloniale écrasait le moogho de tout son poids, des anciens retiennent encore, avec stupéfaction, un acte digne de folie mais combien plein de bravoure et d’éducation pour les Voltaïques d’alors...

Un certain matin en effet, alors que Naaba Saaga II régnait à Ouagadougou, cohabitant avec un gouverneur blanc, véritable maître du pays, un certain Koom Kuta, sujet de Sa Majesté et ancien combattant français des guerres ethniques européennes, aurait osé, du bout de son fusil de traite, menacer le Soleil du Moogho, lui enjoignant de ne point se rendre au gouvernorat colonial avec son escorte pour la traditionnelle visite de courtoisie au gouverneur blanc, sous peine d’être sur le champ abattu par lui Koom kuta.

Avec le recul que nous avons sur cet évènement, nous ne pouvons que saluer à sa juste valeur cet acte combien héroïque de ce fils de “ talga ” (roturier), dit-on, qui sut donner une leçon de dignité impériale à Sa Majesté le Naaba Saaga II.

Koom Kuta a compris, tôt, que la dignité que conférait le "naam" (royauté) ne devait être monnayée pour rien au monde au marché de la politique et de la compromission. Venu chez lui au moogho, c’était plutôt au gouverneur colonial de se déplacer au palais de Sa Majesté pour lui rendre un hommage quotidien.

Dualité conflictuelle

A l’évocation de cette "légende", on touche là à la sensible question de la dualité conflictuelle des deux pouvoirs, ou si vous préférez, des deux politiques : le pouvoir traditionnel, celui qui est détenu par ceux que Michel Izard a appelés "gens du pouvoir", incarné par la chefferie traditionnelle, et le pouvoir moderne que confèrent aujourd’hui les urnes, au soir d’une journée qui couronne une longue lutte faite de dénigrements, de mensonges, de parjures, de coups bas, de divisions et peut-être de fraudes...

Cette dualité qui s’est caractérisée au cours de notre histoire coloniale, par la défense de la terre des ancêtres, en tant que patrimoine matériel et immatériel non “ marchandable ” sous aucun prétexte, a été la raison même de la résistance de nos pères face à l’"envahisseur". Quarante années après les "colons blancs", quelle est l’assise de la chefferie traditionnelle, quelle valeur défend-elle face aux tenants du pouvoir moderne qui, à certains égards, est la véritable réincarnation de la férule occidentale sur nos valeurs cardinales, notre âme, à l’heure de la mondialisation ou, comme dirait l’autre... de l’impérialisme et du néocolonialisme ?

Le Club Patrimoine, en proposant la présente réflexion, a été édifié par la leçon d’histoire du professeur Basile Guissou, parue dans L’Observateur Paalga n°6868 du 18 avril 2007. Au regard de l’histoire quelque peu restituée par le professeur, on a pu noter une certaine collaboration entre la chefferie traditionnelle et l’administration coloniale, collaboration imposée peut-être, et qui ne bat pas en brèche la dualité sus-citée.

Dans son analyse des rapports entre la chefferie traditionnelle et l’administration coloniale française, le professeur révèle deux points de vue contradictoires des historiens, partagés entre, d’une part, la perception qui voudrait que "la chefferie traditionnelle ait été un instrument au service des colons pour exploiter les populations", et d’autre part celle selon laquelle "la chefferie a résisté aux colons et à l’administration coloniale mais dans un rapport de force défavorable..."

Notre pays cherche encore sa voie

Ici, nous retenons simplement l’instrumentalisation, la manipulation subies par la chefferie, dans un contexte qui lui offrait peu de choix comme point commun des deux postulats. Et notre inquiétude se précise là. Les gardiens de nos coutumes doivent-ils demeurer aujourd’hui de simples instruments, aux mains de valets de l’occidentalisation ?

L’écrit du Pr Guissou est d’autant plus édifiant, et nous conforte dans notre réflexion, quand on analyse les traitements subis par la chefferie traditionnelle au cours de la période postcoloniale. Et nous focalisons notre réflexion sur la place et le rôle de la chefferie traditionnelle particulièrement, et les dépositaires de nos valeurs morales, cultuelles et culturelles en général, avant, pendant et après la turbulence des régimes d’exception qui se sont succédé chez nous. Certains d’ailleurs n’hésitent pas à accuser les Pétion, Danton et autre Robespierre burkinabè de régicides pour avoir poussé à l’extrémité le Moogho Naaba Kugri puis son ministre le Larlé Naaba Abga.

Sur la question de savoir s’il faille nier à la chefferie le droit politique, pardon, le droit à la politique politicienne, nous ne voulons pas répondre au professeur par un "oui" ou par un "non". Nous voulons simplement faire constater que, depuis près d’un demi-siècle de dur labeur sur le chemin de la République, notre pays, comme tant d’autres en Afrique, "cherche" encore sa voie, qui, de notre point de vue, ne peut être en marge de celle qu’ont tracée des panafricanistes comme Cheikh Anta Diop ou Joseph Ki-Zerbo. Il s’agit de la voie du développement endogène, celui qui se fait sur notre propre natte et non sur "la natte des autres".

C’est dire donc que nous empruntons une voie sans issue, quand les rédacteurs de nos constitutions prennent le Code théodosien compoté à la sauce carolingienne et assaisonné d’un zeste du Code napoléonien pour régir une République nègre, cela sans référer à l’environnement sociocritique et juridique préexistant. Un véritable coupé-collé, au regard des orientations politiques et des plans de développement de nos pays, soigneusement scrutés et guidés par l’Occident mondialisateur, trop loin de nous pour comprendre les paraboles de notre "bible". En cela, le Pr Guissou peut bien développer pour nous un cours de sociologie politique.

Pour le Club Patrimoine, toute la problématique se résume en ceci : comment se développer sans se renier ? Comment dans le concert des nations "mondialisées" le Burkina Faso peut-il Exister sans se fourvoyer, sans perdre son âme ? Comment, au bout de l’ancienne, tisser la nouvelle corde ?

Deux hypothèses

Sur cette question de la chefferie traditionnelle, il s’agit pour nous de choisir à un moment de notre histoire et au regard des difficultés sociales et politiques qui sont les nôtres, de refiler la fibre culturelle pour donner à la génération de nos enfants, la chance de pouvoir palabrer sous quelque baobab humain, dans la perspective de trouver des solutions à leurs "crises".

Le chef traditionnel et tout dépositaire de valeurs morales, quel que soit le contexte, incarne pour nous le symbole de notre identité, de notre unité et est garant de notre lien ombilical avec nos ancêtres, avec notre passé. Ce symbole, le Club Patrimoine tient à le sauvegarder au milieu de la tourmente de la mondialisation. La chefferie traditionnelle et les autorités morales en général, contrairement à ce qu’on pourrait penser, peuvent grandement participer au renforcement de notre processus démocratique, tout en demeurant en marge des partitions politiques. Il faut simplement les réhabiliter dans leur rôle premier, tout en adaptant ce rôle au contexte de la modernité.

Pour y arriver, on devrait penser aussi et surtout à des mécanismes appropriés pour développer leur empowerment économique, pour eux et pour les circonscriptions de leur ressort, sans discrimination politique aucune. Nous y tenons, car, en fait, nous pensons, sans nous douter de nous tromper, que les deux hypothèses suivantes sont les raisons de la prise de nos chefs traditionnels dans la toile politicienne :

- une franche volonté de participer à la gestion de la chose publique, laissée parfois aux mains de maraudeurs et autres apprentis sorciers, marqués d’incapacité notoire d’initiatives mais emmenés en politique par l’appât du gain facile. Cette nouvelle génération de politiciens qui, Dieu seul sait, sont de véritables pyromanes dans nos villes et campagnes, sont des intouchables car couronnés d’immunité parlementaire. On aurait dit une revanche sur l’histoire où des fils de "talsé" (roturiers) devenant chefs modernes croient tenir là l’instrument d’une révolution de palais, narguant nos coutumiers comme pour se venger. Les "confidences" de Kupiendiéli du Goulmu parues dans L’Observateur n°6877 du 2 mai 2007 en disent long : "C’est pour relever un défi que je suis entré en politique..."

- une autre hypothèse est l’invite de la soupe politique. En effet, le contexte de la démocratie a dépouillé nos chefs traditionnels de bien de privilèges économiques et sociaux que, malheureusement, personne ne songe à compenser. Et comme le disait l’ami Dicko, le masque ne mange pas, il ne parle pas : "a ti kuma", il est anonyme. Mais quand la faim taraude son estomac, il devient Sanou Batogma Jonas, réclamant au passage son bol de chitoumou et sa calebassée de dolo. A l’heure de la politique des "tubes digestifs", des gardiens de nos traditions semblent prêts à jeter bas le masque, pardon, le bonnet pour la curée à la soupe politique.

Ce sont des valeurs du pays

C’est pourquoi nous saluons l’apport ô combien éclectique de Laurent Bado au débat, et sa proposition de juriste averti, parue dans L’Evènement n°114 du 25 avril 2007 : "Nous avons proposé que les chefs coutumiers soient impliqués dans tous les actions, plans et programmes de développement. C’est-à-dire, chaque fois que l’administration a un projet de développement, il faut des représentants de la chefferie coutumière. De deux, nous disons que la chefferie coutumière doit avoir des représentants de droit dans les conseils municipaux, les conseils régionaux, conseil économique et social. C’est-à-dire tous les organes consultatifs de l’Etat. Maintenant, l’Etat doit s’occuper des empereurs et des rois. Ils ne sont pas nombreux. Même s’ils appartiennent à certaines ethnies, c’est quand même le Burkina Faso.

Ce sont des valeurs du pays. Donc, le PAREN demande à l’Etat de donner une indemnité de représentation aux rois et aux empereurs, de donner une indemnité de frais d’entretien de leurs palais, de s’occuper des frais d’hospitalisation de ces rois. Quant aux "petits" chefs locaux, que ce soient les collectivités locales, les régions, les communes qui leur donnent quelque chose, par exemple, une indemnité de vélo sur la collecte des impôts et une prise en charge de leurs frais d’hospitalisation. Cela admis, il est interdit à tout chef de s’afficher dans un parti politique." Ce n’est pas impossible, prenons le bon exemple du Ghana voisin.

Le Club Patrimoine n’a pas piqué la folie régicide de Koom Kuta, en prenant une fois de plus la plume pour contribuer au débat de l’heure. Loin s’en faut. Si folie il y a, les symptômes sont à rechercher plutôt dans les composantes de la société burkinabè à commencer par ses dirigeants politiques, traditionnels et religieux. Le Club Patrimoine ne menace personne. Il lance une invite à un double niveau :

Ne démythifiez pas l’autorité traditionnelle

- Aux décideurs politiques, législatifs et judiciaires : le Club Patrimoine vous invite à vous laisser hanter par la fierté nationale, pour sauver l’essentiel. Ne démythifiez pas l’autorité traditionnelle. Vous devez épargner la chefferie traditionnelle et les autorités morale et religieuse de la dérive sociale, en leur restituant le poids social que la colonisation, les Républiques précédentes et les Etats d’exception leur avaient dénié. Nous disons que la restitution de nos valeurs cardinales passe par là : conférer un rôle d’éducation et de médiation à ces autorités traditionnelles, en considérant leurs légitimités traditionnelle et culturelle, leur expertise et leur capacité à formuler des projets porteurs, parce que plus proches des bases. Vous serez, sachez-le, les premiers perdants dans la déperdition de nos valeurs et dans la désagrégation de l’autorité morale de nos responsables coutumiers surtout.

Après, ce serait une pure hypocrisie que de parler de civisme ou de citoyenneté à la jeunesse. Les différents évènements traversés par notre pays nous autorisent à penser que, qu’on le veuille ou non, la question qu’a posée et pose la place de la chefferie traditionnelle au lendemain de l’autonomie de la colonie de la Haute Volta à nos jours dans la vie de nos Républiques mérite un débat public, contradictoire, franc, à l’issue duquel, nous espérons, nos hommes de loi légiféreront en connaissance de cause pour la postérité... car les “ sages ” finiront par être si rares que les générations futures ne pourront plus en constituer des "collèges".

- A vous responsables coutumiers détenteurs des valeurs traditionnelles, et aux chefs religieux : le Club Patrimoine est à genoux, vous priant de vous ressaisir. La place et le rôle qui vous sont attribués en ce moment ne sont pas les vôtres. Vous méritez mieux que cela. Vous êtes assis sur les valeurs les plus sûres mais aussi les plus craintes de nos responsables politiques. La dignité doit demeurer en vous, parce que les jeunes en ont besoin comme d’un référentiel.

Nous pouvons y arriver

Déportation, incarcération, dénigrement et injures sortis parfois de bouches d’enfants sentant encore le lait maternel sont des situations qui nous peinent et qui nous amènent à vous rappeler que les "vieiles personnes ne se mêlent pas de querelles de gamins". Certains d’entre vous ne sont pas "trop" vieux, mais la responsabilité morale qu’ils portent leur confère des attributs de vieilles personnes. Vous aurez la place qui vous revient quand vous vous serez démarqués de la politique politicienne, refusant totalement de vous laisser "instrumentaliser".

Concertez-vous et démarquez-vous du "zoumbri" moderne, qui vous divise, divise vos peuples, et vous éloigne d’eux. Tous vos "sujets" qui vous respectent et vous vénèrent ne sont pas politiquement monochromes. Vous avez mieux à faire, au moment où notre pays est en passe de devenir une nation "dangereuse" (violences, règlement de comptes, sacrilèges, crimes odieux et abominations diverses ...). Soyez-en certains, si les faits sont avérés, après la "mal élection" du 6 mai telle que décrite et dénoncée par des témoins dans la presse, personne ne s’attend à ce que la future Assemblée, probablement truffée de "fraudeurs du peuple" (puisque tous les partis dénoncent et s’accusent mutuellement), montre à la jeunesse le bon exemple.

Notre plus grand bonheur serait de voir ces hommes politiques sous serment, jurer sur les terres sacrées des ancêtres en lieu et place d’une Constitution dont ils ne se sentent pas moralement liés et qu’ils peuvent tripatouiller à volonté. Vivement que vienne ce moment béni où cette facette de notre patrimoine national que vous incarnez sera de nouveau magnifiée et exportée au-delà de nos frontières à l’exemple de l’adoubement le jeudi 15 juin 2006 de S.E Hans Maurits Schaapveld, alors ambassadeur des Pays-Bas au Burkina, comme Manegr Naaba de Bantogdo. Avec vous, si vous y mettez du vôtre, nous pouvons y arriver. Dans tous les cas le Club Patrimoine et les patriotes de ce pays revendiqueront, pour vous et pour la Nation, l’essentiel ...

Pour le Club Patrimoine

Thomas Dakin Pouya
club.patrimoine@yahoo.fr

Le Pays

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