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Le discours politique burkinabè est-il porteur et faiseur de décision ?

Publié le samedi 19 mai 2007 à 08h59min

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Dans le fond, et tirant en cela partie de notre dernier article-Bonjour Madame/Monsieur le député-(Sidwaya N°5887 du mercredi 2 mai 2007) on peut dire que les orateurs politiques burkinabé montrent que cette décision existe pour eux, et qu’ils voudraient en faire une réalité de tous et de chacun.

Et ils l’expriment diversement. Pendant les dernières législatives, par exemple, on en a même vu qui, pour montrer aux populations qu’ils sont capables de décision, se sont contentés d’affirmer que l’anti-décision est dans le camp d’en face. C’est là, assurent-ils, où abondent “l’exploitation,... le gaspillage, la corruption, la concussion, l’exclusion, la criminalité, la violence, les conflits armés...”.

C’est tout comme s’ils disaient : “nous ferons bien, puisque ceux qui m’ont précédé au pouvoir ont mal fait”. Mauvaise logique, mais de bonne guerre : est innocent celui qui ne s’est pas encore compromis par de hautes responsabilités, rien qu’en montrant les torts que commettent les tenants du pouvoir. Mais l’agressivité verbale, cet “aliment psychologique” pour beaucoup, suffit-elle à susciter l’engagement autour de la décision d’un candidat ?

Si, en 1981, Mitterrand a été élu en France, ce n’était pas seulement parce que les compatriotes de Nicolas Sarkozy n’aimaient plus Giscard.
L’objectif immédiat recherché, c’est la crédibilité. En effet, le candidat qui parvient à se faire aimer en se montrant le parfait complice des désirs inconscients de ses compatriotes, qui provoque, par sa décision, une chaîne d’autres décisions a déjà parcouru plus de la moitié du chemin de la crédibilité.

L’autre “tronçon” qui reste à parcourir représente l’autorité que peut se donner le dédoublement de la personne de l’orateur en personnalité/personnage. Dans un pays voisin du Burkina, un candidat à la présidence a été écarté à cause ou grâce entre autres, à ce slogan que ses adversaires ont imaginé et fait répandre dans les milieux traditionnels : “Ne le votez pas, parce que son père est lépreux”.

En ce qui concerne ce côté de l’apparaître et de l’apparence, l’homme politique burkinabé, qui a de grandes ambitions, tâche d’avoir une vie quotidienne ordonnée, une bonne tenue morale et vestimentaire, un parler courtois. Il évite l’épée de dame rumeur autant qu’ailleurs on éviterait l’épée de Damoclès. Cela peut être compté parmi les pertinences de la communication politique burkinabé. Il reste à voir comment traduire ces qualités sociales burkinabé-courtoisie, tenue et retenue, modestie... dans le discours politique.

Autrement dit : l’homme politique burkinabé peut-il traduire, en français, la vision du monde, des valeurs et des intérêts de ses compatriotes et contemporains ? Pas seulement les traduire, mais les transmuer pour que ce qui apparaît comme une vue de l’esprit des Burkinabé soit apprivoisé par leur fantasme ? Le discours politique n’atteint vraiment son objectif ultime que s’il parvient à opérer cette transmutation des désirs en réalité. Mais il faut que la communication, et le communicateur lui-même, subissent la même transmutation.

Prenons un exemple exceptionnel : l’histoire nous apprend qu’entre 1933 et 1939, en Allemagne nazie, la propagande s’était dotée de puissants moyens. "Magistralement orchestrée par Goebbels, cette propagande utilise tous les moyens d’information, presse, radio, cinéma, pour mobiliser le peuple". Par la magie du discours, Hitler s’est transmué en dieu. Les esprits mécanisés firent le reste. Voici, par exemple, la prière des enfants nécessiteux de Cologne : “Führer, mon Führer. Protège et conserve longtemps ma vie. Tu as sauvé l’Allemagne des abîmes de la détresse.

C’est à toi que je dois mon pain de chaque jour. Demeure longtemps près de moi, ne m’abandonne pas. Führer mon Führer, ma foi, ma lumière ! Heil, mon Führer !” De la simple traduction de textes à cette transmutation des valeurs et des hommes, l’orateur doit être capable de donner à sa communication des pouvoirs qui, il faut le craindre, ne peuvent être véhiculés par une culture et une langue importées, c’est-à-dire surajoutées aux dimensions affectives et cognitives de la culture maternelle de chacun de nous.

Une très large majorité de l’électorat réel et légal burkinabé est toujours condamnée à ne pas comprendre ce que disent officiellement leurs dirigeants politiques. C’est une situation plus que fâcheuse, elle est scandaleuse. Mais un peuple culturellement dominé doit apprendre à apprivoiser ses scandales et à s’accommoder avec eux.

Quand il en impose au communicateur de faire usage des langues nationales, il le fait, mais le message passe rarement bien parce que beaucoup d’hommes politiques ont perdu le déclic de la langue maternelle. Voyez par exemple, côté mooré phone :- Tônd merça yâmba (=nous vous remercions, en menu salade de fruits mooré français.) Tônd datame ti yâmb appié tond projet wâ (= nous voulons que vous appuyez notre projet). Et bien d’autres... A partir de ces remarques, que pourrait-on faire pour une plus grande pertinence du discours politique burkinabé ?

Les pistes de recherche pour une plus grande pertinence du discours politique au Burkina sont nombreuses, nous en proposons quelques-unes à votre méditation, car il n’est pas trop tôt, au Burkina, de prendre en compte cette proposition que fait Jean-Marie Cotteret à la fin de son livre, Gouverner c’est paraître : "Comme la communication politique ne peut plus être supprimée, il convient de la reconnaître, de lui donner un statut pour qu’elle soit enfin source d’un rapprochement légal et légitime entre ceux qui détiennent le pouvoir et ceux qui y sont soumis".

A partir de cette proposition, on peut concevoir trois pistes de recherche en faveur de la communication politique burkinabè :
Renforcer la reconnaissance de cette profession car, il n’est pas sûr qu’au Burkina, tous les états-majors des partis politiques pensent, comme M. Cotteret, que la communication politique, bien comprise, assumée et maîtrisée est devenue incontournable.

Ce type de reconnaissance ne vient pas d’en haut, mais de la base, au niveau où les activités politiques (organisations d’élections, de campagnes ; création et animation de partis politiques, etc.) demanderaient un éclairage en communication scientifique.

Créer des structures de recyclage et de formation appropriées pour les communicateurs burkinabé. Recyclage, parce que bon nombre de confrères sont journalistes de formation et communicateurs de profession, sans avoir bénéficié d’une formation complémentaire. Ce qui, d’évidence, demanderait à être revu et corrigé.

Formation : il serait utile, pour l’émergence d’une culture démocratique au Burkina, que l’Etat favorise l’accès à des écoles supérieures de communication politique à ceux de la jeune génération qui sont épris du métier de communicateur. L’originalité de cette piste du professionnalisme, c’est que nous proposons que le communicateur burkinabé, désormais, soit au moins bilingue : qu’il maîtrise une langue nationale au moins, comme il maîtrise le français, et qu’il en fasse des outils de travail d’une égale valeur.

L’élucidation du paradigme cultures nationales/culture démocratique sera l’objet d’études interdisciplinaires pour encore quelques générations de Burkinabé. L’apport spécifique de la communication politique serait de trouver des solutions pour connecter la grande masse de connaissances en communication politique moderne, et le savoir-faire de la communication traditionnelle ; avec, en contre point, des perspectives à ouvrir afin de diminuer le poids qu’exerce la langue et la rhétorique françaises sur la vision et l’imaginaire des peuples burkinabé.

Ibrahiman SAKANDE (email : ibra.sak@caramail.com)

Sidwaya

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