LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Sur la marche reportée des magistrats : points de vue divergents du SAMAB et du SBM

Publié le lundi 7 mai 2007 à 00h00min

PARTAGER :                          

Initialement prévue pour le 27 avril dernier, la marche de protestation du Syndicat burkinabé des magistrats n’a pu se tenir. La raison officielle de cette non tenue proviendrait du fait que la mairie de Ouagadougou (après avoir donné son accord pour l’occupation de la voie publique) est revenue sur sa décision.

Le Ministre de la Justice, Boureima Badini, aurait fait parvenir une correspondance musclée dans laquelle il aurait demandé de revenir sur sa décision.

San Finna a voulu revenir sur le sujet, savoir ce qui a inspiré ces magistrats de la République dans cette démarche pas du tout banale, ce qu’en pensent des magistrats d’autres syndicats. Pour nos lecteurs, nous avons recueilli deux points de vue contradictoires, l’un du secrétaire général du Syndicat autonome des magistrats du Burkina (SAMAB), Mr Bikira Jean-Claude Bonzi, et l’autre du secrétaire général du Syndicat burkinabé des magistrats (SBM), Mr René Bagoro Bassolet.
Lisez plutôt.

San Finna : Bonjour Monsieur BONZI. Qu’avez-vous à nous dire sur cette marche du syndicat Burkina des Magistrats (SBM) ? Pouvez vous nous dire si de par le monde des syndicats de magistrats battent le pavé pour des revendications !

Monsieur Jean Claude BONZI (JCB) : D’abord en tant que syndicat, le SAMAB est le plus vieux des syndicats. Il a eu des difficultés et nous avons tiré des enseignements sur toutes les erreurs qu’il a pu connaître de par le passé et qui a créé une espèce d’explosion au niveau de ce syndicat, ce qui l’avait sérieusement affaibli. Lorsqu’on vit des situations et qu’on n’arrive pas à en tirer les conséquences, c’est qu’on n’a pas le sens de la dynamique des choses. Or qu’est ce qui se passe aujourd’hui ? Les textes ont évolué. La loi 35/2001 qui porte statut du corps de la magistrature et l’article 36 alinéas 3 et 4 ont posé des principes de manière vraiment très claire. La grève est interdite aux magistrats, les réunions concertées sont interdites. Les actions concertées en vue d’arrêter, de suspendre ou d’empêcher (même momentanément) le travail des magistrats, sont interdites.

Si nous partons de ce constat là, il faut voir les choses en face. Cela veut dire que cette disposition va en droite ligne avec le principe qui relève de la constitution et qui fait du pouvoir judiciaire un pouvoir au même titre que l’exécutif et le législatif. Toute la base du fonctionnement de l’Etat repose sur ces trois principes souverains. A partir de ce moment, la question que nous devons nous poser ou plutôt la démarche de notre syndicat est de pouvoir poser les problèmes qui sont les nôtres dans le cadre des règles qui régissent notre corps et qui sont des règles d’équité.

C’est pour cela qu’au niveau du SAMAB, nous avons dit que la première obligation d’un magistrat, c’est d’être loyal avec la loi. Si la loi lui est favorable, qu’il accepte qu’on l’applique, dans le cas contraire qu’il l’accepte quand même. Il peut ne pas être d’accord mais en attendant il doit rester le plus honnête possible et loyal avec la loi : ça c’est la première règle. Si on ne s’est pas soi même assumé, on ne peut pas être crédible en disant qu’on va juger une personne et appliquer telle ou telle autre loi, alors qu’on se refuse à se faire appliquer une loi parce qu’on pense qu’elle ne va pas dans son sens. En ce moment on n’est plus juge mais c’est une autre dimension que l’on prend. Notre syndicat s’est refusé à cette approche là. Voila comment se pose le problème à notre niveau.

San Finna : Avez-vous des exemples de syndicats qui manifestent de par le monde ?

JCB : Bien sûr : ça existe. En France, on en a entendu parler ; ailleurs ça existe. Mais la question est de savoir : est-ce que les dispositions législatives qui règlementent le fonctionnement du corps de la magistrature dans ces pays sont les mêmes qu’au niveau du Burkina ? Prenez le cas de la France : si on compare les règles qui règlementent la justice en France, elles sont moins avancées que les règles du Burkina.

La France parle de l’autorité Judiciaire, le Burkina de pouvoir judiciaire. Je vous donne un exemple. Concernant les questions de revendications, les magistrats sont d’un corps spécifique et leurs salaires et indemnités sont réglés par un texte spécial. Nous ne sommes pas régis par les conditions générales de la Fonction Publique. Pourquoi ? Parce que justement il s’agit de pouvoir. Si nous sommes d’accord que nous constituons une particularité, il faut que nous puissions jouer le jeu jusqu’au bout. Par rapport aux revendications qui ont été faites, j’ai transmis au niveau du ministère de la justice des projets de décrets portant application de la loi modificative qui est intervenue et qui a prévu que les magistrats des hautes juridictions sont placés hors hiérarchie à l’indice 2300.

Mais au niveau du SAMAB, nous, nous travaillons dans le sens strict de la discussion et de la négociation pour éviter tout tapage parce que ça ne sert à rien. Dès l’instant où vous passez le temps à dire des mots sur la justice, vous voulez que qui vienne vous aider à relever cela ? Pour nous, nous pensons que ça ne sert à rien. Nous devons travailler de manière interne à identifier tous les problèmes qui nous concernent et à les résoudre. Nous pensons que c’est la meilleure façon d’être le plus responsable.

Maintenant pour le mot d’ordre, la question a été très simple. Nous n’avons jamais été associés aux discussions qui ont été engagées et qui ont donné lieu au mot d’ordre. La seule chose que nous avons reçue du syndicat (SBM) c’est une lettre parvenue le 24 Avril, dans laquelle ils nous informent et nous invitent à participer à une marche pacifique. Mais quand même : ne serait-ce que par simple courtoisie, pour poser un principe aussi important, on aurait pu nous dire « voilà ce que nous avons trouvé, nous souhaiterions que dans le cadre unitaire, nous puissions discuter.... ». Si après discussion on n’arrive pas à s’entendre, si unitairement nous ne pouvons pas engager l’action, à partir de ce moment, chaque syndicat peut prendre ses responsabilités. Mais on n’a pas été informés. On n’a pas été associés aux débats et à la prise de mot d’ordre et on nous informe et nous invite à venir nous joindre à eux. On ne peut pas s’engager comme ça. Ca c’est une des raisons pour lesquelles notre syndicat ne s’y est pas associé.

San Finna : Monsieur BONZI, ce sont quand même des juristes, ils connaissent la loi. Quels sont en réalité les arguments que eux avancent pour cette occasion ?

JCB : C’est vous qui êtes journaliste : vous avez pu lire les arguments qu’ils ont avancés. Ils estiment que l’article 36 ne les empêche pas de marcher. Nous estimons que la disposition elle est très pertinente. Il est dit de manière très très claire « toute dérivation politique est interdite au corps judiciaire. Toute manifestation d’hostilité aux principes ou à la forme du gouvernement de la république est interdite aux magistrats. De même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions. Est également interdite, toute action concertée de nature à arrêter ou à entraver le fonctionnement des juridictions. L’exercice du droit de grève est interdite aux magistrats ». A partir de ce moment, il faut que nous soyons vraiment très honnêtes. Cette disposition ne permet pas à notre sens de faire une marche.

San Finna : Le SBM comme le SAMAB sont des organisations syndicales. Pourquoi donc les créer sans pouvoir battre le pavé pour revendiquer ?

JCB : Non ! Un syndicat n’est pas fait pour marcher. On ne crée pas un syndicat parce qu’on a envie de marcher. La marche est une modalité de revendication mais pas un objectif d’un syndicat. Le syndicat est mis en place pour la défense de ses intérêts matériels et moraux, il y a les moyens que la loi a mis à sa disposition. Il y a les négociations, les discussions, il y a également des grèves pour les autres syndicats. Vous voyez donc que tous les autres syndicats ont ce droit sauf nous. Il y en a qui disent que c’est contraire à la constitution, mais quand vous acceptez d’être un corps spécifique, vous devez réfléchir à deux fois avant d’avancer certains raisonnements.

Au même niveau d’étude, une personne qui travaille à la fonction publique n’a pas la même condition de traitement qu’une autre qui est devenue magistrat. Pourtant la constitution a posé le problème de l’égalité. Pourquoi les gens ne regrettent pas ça ? C’est pour ça qu’il faut être vraiment objectif. Nous avons des règles de fonctionnement : Le Président du Tribunal, le procureur et tous les substituts travaillent 24 heures sur 24. A n’importe quelle heure ils sont sur la brèche. Mais ça c’est spécifique, ce qui est bien loin de ce qui se passe avec les agents de la fonction publique. Donc la spécificité du corps a des avantages (si on nous donne un peu plus de rémunération) et a aussi ses côtés de contraintes si on ne peut pas faire certaines choses.

San Finna : Il y a tout de même des problèmes que l’on peut être amené à décrier ?

JCB : Oui il y a des problèmes. Dans certaines juridictions on peut voir deux à trois personnes pour un seul bureau. Ce qui ne permet pas de travailler normalement. Le renouvellement des structures s’impose de plus en plus. A la Cour d’appel aujourd’hui, il y’a des bureaux ou il n’y a même pas de climatisation. En avril comment quelqu’un réellement peut se concentrer pour faire un travail ? Nous avons des problèmes de fournitures....... Il y a énormément de problèmes de travail. Mais nous essayons toujours de faire comprendre aux autorités compétentes, qu’il est impérieux que des crédits soient accordés à la justice pour permettre de financer cette justice et nous permettre de répondre aux exigences. Le SAMAB ne nie pas ces difficultés, il les connaît, il les a recensées et il continue la discussion, la négociation avec toutes les personnes intéressées. Voilà un peu ce que je peux vous apporter.


Entretien avec Mr René Bagoro BASSOLE

San Finna : Est-ce que vous pouvez nous présenter votre syndicat, et nous dire en quelques mots de quoi il se plaint ?

Monsieur René Bagoro BASSOLE : Le SBM (Syndicat Burkinabè de Magistrats) a été créé le 02 octobre 1989. Dire qu’il se plaint, c’est trop dire. Il proteste contre les atteintes à l’indépendance de la magistrature tout d’abord. Parce que si vous prenez les textes qui organisent la carrière des magistrats, vous allez constater que depuis six ans, les textes ont été modifiés. Malheureusement, toutes ces modifications on eu pour finalité en réalité de donner plus de pouvoir au ministre de la justice pour gérer la carrière des magistrats. Je prends un exemple. Avant, lorsque vous aviez 7 sur 10, vous étiez inscrit sur le tableau d’avancement pour passer de grade et automatiquement vous faisiez partie de ceux qu’on devait voter.

Donc il n’y avait pas de limitation. Mais depuis un certain temps, un décret a été pris permettant au ministre de la justice de contingenter à chaque année le nombre de magistrats qui passent d’un grade à un autre. Or il se trouve que c’est le même ministre de la justice qui donne la note chiffrée. Raisonnons terre à terre. Nous sommes 19 dans notre promotion. Cette année, le ministre de la justice va prendre un arrêté pour fixer le nombre des magistrats qui vont passer du 3eme grade au 2eme. A supposer qu’il fixe ce nombre à 15, il se trouve aussi que c’est lui qui va donner la note chiffrée alors que c’est la note chiffrée qui va servir pour voter les gens.

Si il ne veut pas qu’un magistrat passe, il lui donnera une note de sorte à ce qu’il ne puisse pas être parmi ceux qu’on doit élever ! Donc de nos jours, le ministre de la justice se trouve être (pratiquement) le seul membre de la commission. Le Conseil supérieur de la magistrature qui est censé gérer la carrière des magistrats ne vient que pour en réalité avaliser. Nous estimons que c’est une atteinte. Pourquoi ? Parce que dès lors que les magistrats savent que le ministre a le pouvoir de les recaler, ils vont (s’ils n’ont pas de personnalité ou s’ils sont carriéristes) réfléchir mille fois avant de poser un acte.

Sur ce point par exemple, les agents de la fonction publique régis par la loi 13-98 AN du 28 avril 1998 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la fonction publique, en ce qui concerne leur évolution, sont appréciés par leurs supérieurs hiérarchiques immédiats qui les connaissent. D’ailleurs, ils peuvent même contester ces notes là. Ce qui n’est pas le cas des magistrats. Comment comprenez vous que pour un corps où l’indépendance est la règle d’or, le ministre ait trop de pouvoir alors que pour des corps où l’indépendance n’est pas la règle d’or, le ministre de tutelle, n’en ait pas autant ?

Voilà pour les questions de l’indépendance de la justice. Moi personnellement on m’a proposé un poste de responsabilité à Bobo que j’ai refusé pour des raisons de recherche, mais on remarque que depuis un certains temps les nominations ne respectent plus la compétence. Ce qui est plutôt pris en compte, c’est votre degré d’allégeance. De telle sorte que vous voyez des magistrats qui sortent et deux ans après ils sont présidents de tribunaux. Pendant ce temps, il y’a des anciens qui sont là. Donc, il s’est développé une sorte de clientélisme au sein du corps qui fait que les jeunes qui arrivent selon qu’il veulent une promotion rapide ou qu’ils veulent vraiment respecter la règle de droit, savent déjà où aller. Evidemment si vous êtes militant du SBM, il ne faut pas vous attendre à avoir les faveurs du ministre.

San Finna : Pourquoi cela ?

RBB : Parce qu’on considère le SBM comme étant un syndicat non acquis. Bien sûr que les gens vous diront qu’on a des présidents SBM. Mais en réalité, ça s’est fait en un certain temps. Dans les nouvelles nominations vous allez voir qu’il n’y a même pas de militants du SBM. Deuxième raison qui fait que nous protestons, ce sont nos conditions de travail. Pour vous compter une anecdote, aujourd’hui il y’avait la prestation de serment des avocats, j’étais assis à côté d’un monsieur qui se plaignait parce qu’il n’entendait pas ce que disaient les conseillers. Il se plaignait parce que la salle n’est pas sonorisée. Vous voyez, une salle d’audience qui n’est pas sonorisée (salle d’audience de la cour d’Appel), de telle sorte que quand on parle malgré le fait que l’audience est publique les gens qui sont là ne peuvent pas entendre.

Alors si vous rentrez dans les bureaux des magistrats, vous allez constater que nous travaillons à deux trois ou quatre. Vous savez bien que le travail du juge est un travail qui nécessite une réflexion. Comment voulez-vous que dans un bureau à 3, 4 (personnellement nous sommes 4), comment voulez-vous que le juge puisse réfléchir et rendre de bonnes décisions ? Egalement, vous allez vous rendre compte que dans la plupart des juridictions, les gens ont des problèmes de papier pour travailler. Il y a des cas où les décisions restent dans les tiroirs parce qu’il n’y a pas de papier. Egalement vous constaterez que dans la plupart des juridictions les procureurs même ne peuvent pas joindre les officiers de police judiciaire sur leurs portables.

Alors que ces gens-là sont sur le terrain ; ils constatent des faits et appellent le procureur. Le procureur qui est leur supérieur hiérarchique devrait être en mesure de les rappeler pour demander ce qui se passe. Souvent ils sont obligés d’acheter eux même des cartes pour le faire. Ca c’est les conditions matérielles de travail. Un autre exemple, le président du tribunal de grande instance de Ouagadougou n’a pas de voiture de fonction. Prenez le président de la cour d’appel de Bobo-Dioulasso, à l’heure ou je vous parle, il n’a pas de véhicule de fonction. Pourtant on voit dans l’administration des petits directeurs qui ont des véhicules de fonction. Tout cela fait que les magistrats ne sont pas motivés pour travailler. Ca pose des problèmes.

Le troisième point concerne nos conditions de vie. C’est vrai qu’aujourd’hui le magistrat est en catégorie P et que par rapport au fonctionnaire, il est relativement mieux payé mais il faut éviter cette comparaison parce que les sociétés demandent aux magistrats d’être au-dessus de la mêlée. Parce que n’oublions pas qu’il a droit de vie et de mort sur les justiciables. Alors le magistrat même sans être un ‘’superman ‘’, il faut qu’il soit au-dessus de la mêlée dans son comportement, dans son vécu quotidien.

Or pour qu’il puisse tenir ce rang il faut qu’il soit dans les conditions minimales, c’est dans ce sens là que nous avons demandé également que nos salaires, nos traitements soient revus pour nous permettre de tenir notre rang. Voilà les 3 raisons principales qui ont inspiré notre assemblée générale le 30 mars où nous avons fait une plate-forme sous forme de mémorandum en 20 points.

Mais tout cela ramène à la question de l’indépendance parce que n’oubliez pas qu’un ventre affamé n’a point d’oreilles. Et très souvent vous allez voir certains collègues joignent difficilement les deux bouts. Alors s’ils n’ont pas de personnalité, il est souvent difficile de ne pas se laisser tenter. Mais auparavant, en octobre 2005 nous avions avec le SAMAB et le SMB (qui est différent du SBM) déposé des propositions d’augmentation d’indemnités auprès du ministre de la justice.

Ce qui est grave c’est que ce n’est pas les syndicats qui ont eu l’initiative.

San Finna : Qui donc a eu cette initiative ?

RBB : C’est le gouvernement qui nous a envoyé une lettre nous demandant de faire des propositions d’augmentation d’indemnités. En plus de le faire, nous avons accompagné les propositions d’un décret, un projet de décret. Et depuis fin 2005, il n’y a plus eu de suite. Jusqu’au 20 juin 2006, rien non plus et nous (SBM), avons pris l’initiative d’une lettre, de concert avec les autres syndicats où nous avons demandé au ministre un rendez-vous pour discuter de ces questions au nom de nos militants. Et cette lettre de juin 2006, à l’heure où je vous parle, n’a pas encore eu une suite de la part du ministre.

Etant donné que la situation était telle que je vous ai dit tantôt (on écrit au ministre et il ne donne pas de réponse et ne veut pas nous recevoir), nous avons décidé de sortir marcher. Pas une grève mais marcher pour aller déposer ce mémorandum et protester en même temps contre le silence réservé à ces propositions d’augmentation. C’est ainsi donc que nous avions prévu de sortir le 27 avril pour marcher. Les gens ont tendance à croire que c’était pour aller simplement déposer le mémorandum. Non ! Le mémorandum n’allait être qu’une des activités. L’objectif c’était de protester contre le silence réservé à nos propositions et le refus du ministre de nous recevoir malgré notre lettre du 20 juin 2006.

San Finna : Est-ce qu’au Burkina Faso le magistrat a le droit de marcher ?

RBB : Le magistrat, avant tout, c’est un citoyen et la constitution -en ses articles 7 et 21- prévoit la liberté d’association et de manifestation. Ce que nous voulions faire ce n’était pas une grève. C’est vrai que l’article 36 de notre statut dit que toute délibération publique, toute concertation de nature à entraver le fonctionnement du service public de la justice est interdit aux magistrats, mais en réalité l’activité que nous voulions mener d’abord entrait dans le cadre des libertés constitutionnelles et deuxièmement nous avions pris le soin d’obtenir une autorisation d’absence à nos supérieurs hiérarchiques.

On adresse des autorisations d’absence pour permettre à la hiérarchie de s’organiser pour maintenir le service minimum. Ca veut dire que ce que nous avons fait permettait à l’administration judiciaire de maintenir le service minimum. A partir de ce moment, on ne peut pas nous dire que notre action entravait le fonctionnement du service public. Il ne faut pas interpréter l’article 36 comme interdisant toute action concertée aux magistrats. Pour que cette action concertée soit interdite, il faut qu’elle ait pour but d’entraver le service public. Or nous avons pris le soin de demander des autorisations d’absence ; on avait donné l’occasion à l’autorité judiciaire de s’organiser pour que le service minimum soit assuré, d’autant plus que tout le monde n’est pas du SBM.

A Dédougou par exemple, je veux parler du tribunal de grande instance, nous avons 100 % de militants SBM. Mais nous nous sommes arrangés pour qu’il y ait un magistrat qui reste pour assurer le service minimum. Donc en fait il ne faut pas lire l’article 36 dans sa lettre mais dans son esprit. Ce n’est pas de dire que le magistrat ne peut manifester mais c’est dire que sa manifestation ne doit pas entraver le fonctionnement du service public de la justice.

San Finna : Y a-t-il collaboration entre votre syndicat et les deux autres ou n’est-ce pas important ?

RBB : Oui, depuis que j’ai été élu le 08 avril 2006, j’ai toujours cherché la collaboration. Malheureusement (parce que dans notre corps, on est moins de 300), trois syndicats, c’est trop. Mais en réalité, à partir du moment où les syndicats ne poursuivent pas les mêmes objectifs, il y a des syndicats d’action (comme le nôtre) et il y a des syndicats de réaction. C’est-à-dire tout simplement qu’ils attendent que nous autres agissions, pour sortir, critiquer. A partir de ce moment, il est difficile de faire une collaboration. Deuxièmement, il y des syndicats en réalité qui n’ont de nom que de syndicat. C’est des clubs d’amis dont le rôle est d’empêcher toute contestation au niveau du Ministère de la Justice.

Je le dis clairement : le SAMAB, par exemple, a été invité à notre marche. Il pouvait refuser d’y participer mais en plus de le faire, il s’est permis de se demander si notre marche était légale. J’estime qu’il n’appartient pas à un syndicat, lorsqu’un autre syndicat veut défendre les intérêts des travailleurs, d’analyser les actions pour savoir. Il appartient à l’autorité en face de le faire. Si vous ne voulez pas lutter avec nous, au moins ne nous empêchez pas ! La collaboration est nécessaire mais je suis pessimiste parce que beaucoup de syndicats ont pour objectif de faire en sorte qu’il n’y ait pas de contestation, peut-être pour permettre au ministre de dire qu’il maîtrise son ministère.

San Finna : Aujourd’hui et maintenant, qu’est-ce que vous voulez ?

RBB : Ce qui est prioritaire pour nous, c’est l’abrogation du décret qui permet au ministre de la justice de contingenter les magistrats parce que là c’est une atteinte très flagrante à l’indépendance de la magistrature. En réalité aujourd’hui, la constitution consacre la magistrature comme étant un pouvoir, mais dans la réalité nous ne sommes que de simples agents du ministère de la justice. Parce que c’est le ministre qui dispose de tous les pouvoirs pour gérer notre carrière. Et à partir de ce moment, le citoyen aussi doit savoir que c’est dangereux pour un magistrat de n’être pas indépendant.

Le citoyen qui n’a pas de relations, s’il n’a pas affaire à des juges indépendants, c’est très dangereux. Donc nous, notre priorité c’est l’indépendance et cette indépendance passe par l’abrogation de tous les textes qui donnent des pouvoirs très importants au ministre de la justice. En premier lieu ce fameux décret qui permet de contingenter les magistrats qui passent d’un grade à un autre.

Thierry Nabyouré

San Finna

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Justice : De nouvelles outres, en attendant le vin nouveau
Greffiers d Burkina : Un nouveau bureau pour le syndicat
Entraves à la justice : Une session extraordinaire en octobre
Ministère de la Justice : Le cabinet et le SAMAB se concertent
Cour des comptes : Aller au-delà des contrôles classiques