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Guinée : Fin de grâce pour Lansana Kouyaté

Publié le vendredi 4 mai 2007 à 08h11min

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Signe de colère fugace, peut-être mais ce qui s’est passé la nuit du mercredi 02 au jeudi 03 dernier pourrait être le signe des probables futures difficultés à gérer la Guinée auxquelles doit faire face le tout nouveau Premier ministre Lansana Kouyaté.

En effet, cette nuit-là, ce ne fut nullement de tout repos pour les populations de Conakry et de l’intérieur du pays. Pour cause ; les tirs nourris de soldats qui revendiquent le paiement de leurs arriérés de salaire de 9 ans ont été entendus dans toute la capitale guinéenne ainsi que dans les différentes villes de l’intérieur.

Sauf erreur ou omission, c’est assurément les premiers soubresauts de la grande muette dans ce pays qui passe à bien d’égards comme un eldorado géologique en Afrique de l’Ouest, depuis la nomination de l’ancien représentant de l’OIF, Lansana Kouyaté, au poste de Premier ministre.

On se souvient en effet, que face à la fronde syndicale qui avait fini par menacer même l’existence de la Guinée en tant qu’Etat, le Président Lansana Conté avait dû lâcher du lest après qu’au soir du dix-huitième jour de paralysie et de violences, les pompes funèbres ont enregistré 59 cadavres à leur compteur.

Ainsi donc, le 27 janvier, le grand malade de Wawa, consentait à renouer avec la tradition démocratique en nommant un Premier ministre : Eugène Camara qu’il s’appelle. Mais plutôt que de calmer le jeu politique, cette nomination fut le prétexte à une levée de boucliers. Succombant à la pression populaire, Lansana Conté se résigna à mettre en réserve de la république Eugène Camara. Place donc au très consensuel Lansana Kouyaté.

Une nomination saluée par toute la Guinée et mieux, par toute la communauté internationale. Diplomate de carrière, ancien secrétaire général de la CEDEAO et ancien représentant de l’OIF en Afrique Occidentale, Lansana Kouyaté reste à bien d’égards l’un des meilleurs atouts que peut se prévaloir la Guinée pour sortir de l’ornière.

Aux affaires seulement depuis quelques deux mois, il enregistre déjà ses premières frayeurs avec ces militaires mécontents qui ont décidé de donner de la voix. En dépit de la nomination d’un des leurs, en l’occurrence le général Lansana Camara au poste de ministre de la Défense, les soldats guinéens ont encore décidé de faire parler la poudre.

On se souvient de la sauvagerie avec laquelle ils avaient exterminé leurs jeunes compatriotes manifestants aux mains nues qui avaient voulu faire prévaloir haut et fort leur ras-le-bol face à la gestion catastrophique de leur pays.

Ainsi donc, ces militaires en colère et qui sont loin d’être des plaisantins réclament à l’Etat plus de 300 milliards de francs guinéens qui représentent au total 9 ans d’arriérés de salaires. Et pour ces soldats, cette mane financière, qui entre en ligne de compte dans le "fameux bulletin rouge", a été purement et simplement détournée par la haute hiérarchie militaire et certains politiques. Et comme l’Etat est une continuité, Lansana Kouyaté hérite à son corps défendant la patate chaude.

Le hic dans cette affaire, c’est que la détermination des soldats semble sans faille quant à la rapide obtention de ces arriérés de solde. Et leur inébranlable volonté se manifeste à travers leur refus catégorique et unanime de toucher le salaire du mois d’avril déjà disponible dans les casernes.

Il semble que si rien n’est fait dans les tout prochains jours, l’armée de l’Air et la Marine regagneront les fantassins pour un mouvement d’ensemble, du reste très préjudiciable au fragile équilibre du régime Conté.

Déjà à Conakry, il se susurre que dans les casernes, les militaires menaceraient toute unité, tout corps, qui toucheraient la solde d’avril. Autre problème et non des moindres, c’est la difficile équation des indices. En effet, en augmentant les salaires des soldes, il y a juste deux mois, l’intendance militaire a fortement baissé les indices. Ce qui fait qu’un militaire une fois à la retraite toucherait moins de trois fois son salaire en période de service.

Et la troupe, dans son ensemble, reste inflexible quant au maintien des anciens indices avant les spectaculaires augmentations salariales de février 2007. Voici donc Lansana Kouyaté qui vient fraîchement de rentrer d’une mission en Occident pour prendre langue avec les partenaires techniques et financiers.

Et avant même que les promesses d’aide budgétaire ou d’investissement ne soient disponibles dans les banques à Conakry, le chef du gouvernement doit faire face à cette délicate grogne de la grande muette.

Tant que ce sont des civils aux mains nues ou au pire des cas qui n’ont pour seules armes que les cailloux et les bâtons qui s’égosillent, on peut rester tranquille et voir passer l’orage car leur maîtrise est fort aisée. Mais avec ces gens qui ne savent que faire parler la poudre, on ne peut jurer de rien.

Surtout que nous avons encore en mémoire la sauvagerie avec laquelle les militaires guinéens ont décimé plus d’une cinquantaine de jeunes manifestants qui ne réclamaient ni plus ni moins qu’un peu de pain et de liberté.

Et, vraisemblablement, en dépit de ses qualités de diplomate chevronné, ce ne sera pas chose aisée pour Lansana Kouyaté pour ramener à la raison ces soldats. Mais on le sait sa mission en Europe auprès des bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux a été on ne peut plus "diplomatiques" avec des promesses et autres conditionnalités de probables décaissement de fonds.

En effet, à l’étape de Paris, les autorités françaises ont émis au PM guinéen, la possibilité de décaissement d’un prêt budgétaire de 40 millions d’Euro à son pays sur les trois prochaines années à condition que le pouvoir à Conakry puisse conclure rapidement un programmaine avec le FMI et la Banque mondiale.

Mais tout ne fut pas que promesse car en diplomate averti, Lansana Kouyaté est quand même rentré à Conakry avec quelques espèces sonnantes et trébuchantes dans sa mallette.

En effet, à force de conviction sur la nécessité d’aider son pays qui, en dépit de ses gigantesques ressources naturelles, se trouve au bord du gouffre, le chef du gouvernement guinéen a obtenu entre autres un appui financier de l’UE de 117 millions d’Euro et une enveloppe additionnelle de 46 millions d’Euros pour faire face à la réhabilitation des édifices publics qui tombaient en ruines et à l’assainissement des centres urbains.

Comme on le voit, ces sommes obtenues des partenaires au développement ont des destinations précises et aucun détournement ne pourrait être toléré par ces partenaires qui ont l’œil ouvert sur la destination du moindre kopeck déboursé. C’est dire que cette manne financière ne pourrait aucunement servir même pour calmer la grande muette qui estime sa gamelle vide et qui donne de la voix.

Ce débrayage des militaires est le signe évident de la fin de l’Etat de grâce pour le consensuel Lansana Kouyaté. Cela est d’autant plus sérieux qu’à Conakry tous ceux qui ont perdu leurs privilèges après son arrivée à la tête du gouvernement se sont coalisés pour le diaboliser.

En effet, après sa prise de fonction, le tout-nouveau Premier ministre guinéen n’avait pas fait mystère de sa ferme volonté de mettre fin à la corruption, au vol des deniers publics, bref à la mal gouvernance. Il entendait faire travailler les Guinéens tout en instaurant la bonne gouvernance.

Et dans cette politique d’assainissement de la gestion de la chose publique, certains anciens prédateurs n’ont pas manquer des larmes en voyant voler en éclats leurs "gombo" et ont juré par tous les dieux la perte du troubillon Kouyaté

Mais à Conakry, on pense que l’ex-patron de la CEDEAO est un homme averti qui connaît mieux que quiconque la Guinée du politique et des affaires nauséabondes. Alors, le reformateur Kouyaté sera-t-il en mesure de déjouer tous ces pièges pour conduire son pays vers des lendemains qui chantent ? C’est tout le mal que nous lui souhaitons.

Boureima Diallo

L’Observateur Paalga

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