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Passoré : « Voici ma carte », antichambre de la fraude ?

Publié le jeudi 3 mai 2007 à 08h04min

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A une semaine des élections législatives du 6 mai 2007, les partis en compétition dans le Passoré ne se font plus de cadeau. Outre la multiplication des sorties ces derniers moments dans les départements et villages de la province, l’opposition n’hésite pas à pointer un doigt accusateur sur le CDP (le parti au pouvoir) pour ses pratiques jugées suspectes, notamment cette opération qui consiste à relever les numéros des cartes d’électeurs.

Protestation auprès de la CENI par l’UNIR/MS. Pour la directrice provinciale de la campagne du parti incriminé, Fatoumata Diendéré, cette stratégie : « Opération, voici ma carte d’électeur » est tout ce qu’il y a de légal. Chronique de 72 heures d’ambiance électorale à Yako où nous étions du vendredi 27 au dimanche 29 avril 2007.

Yako, vendredi 27 avril 2007, 11 heures. Cette cité située à 100 km de la capitale, Ouagadougou, attend depuis quelques semaines que le ciel ouvre enfin ses vannes afin que la température fléchisse un peu pour le bonheur de la population. Un tour en ville et rapidement on se rend compte que la campagne pour les législatives bat son plein.

En effet, des affiches du CDP et surtout du député sortant, Fatoumata Diendéré sont omniprésentes dans les concessions, dans les ateliers de coutures, de mécaniques, dans les bistrots et restaurants, sur les troncs d’arbres, et sur des tee-shirts que portaient de nombreuses personnes. Il n’y avait que quelques rares affiches, noyées dans cet océan CDP, de l’UNIR/MS, de l’UPR, du PDP/PS et de l’ADF/RDA. Pourtant, ils sont au total 15 partis en lice pour 3 sièges dans le Passoré. Il s’agit, outre des formations déjà citées, de l’UNDD, du PDS, de l’UPS, du PCP, du MPS/PF, de l’ADEFA...

Autre constat, 4 partis seulement disposent d’un siège facilement identifiable dans cette ville qui compte 7 secteurs : la coalition UPR dirigée dans le Passoré par le patron du RDM, Eugène Diendéré, au secteur 2. Dans le même secteur, on retrouve l’UNIR/MS et le Secrétariat de direction provinciale de la campagne du CDP (le siège de la section provinciale se trouvant au secteur 3) ; ironie du sort, les deux structures sont séparées par une ruelle et la plaque indiquant le siège de l’UNIR/MS, presque collée au mur du secrétariat de Fatoumata Diendéré.

Quant au PDP/PS, le domicile de François Ouindelassida Ouédraogo se trouvant au secteur 3 fait office de quartier général au parti. Vendredi dans la soirée à l’UNIR/MS, à l’UPR et au siège des Amis de Fatou Diendéré (AFD) au secteur 3, non loin de la grande mosquée, des jeunes prenaient du thé en discutant chaudement. A l’instar des ABC (Amis de Blaise Compaoré), les AFD, dirigés par Mahamadi R. Ouédraogo dit Baba (élève dont le cursus scolaire s’est achevé en terminale) sont impliqués à tous les niveaux dans la présente campagne dans la province (sensibilisation des populations sur l’importance du retrait des cartes d’électeurs et la nécessité de voter en général le CDP et en particulier leur amie Fatou, participation dans l’organisation des meetings et sorties de terrain, etc.).

L’UPR dénonce les intimidations de la majorité

Samedi 28 avril 2007, 8h 00. La ville de Yako est d’une sérénité presque anormale par ces temps qui courent. Sans doute les Yakolais prennent-ils le temps de sortir du lit, question, qui sait, de recharger les accus pour affronter le week-end. Au siège de l’UPR, je suis reçu par un lieutenant d’Eugène Diendéré, Hamadé Sigué, qui, après avoir échangé avec moi brièvement, me conduit une trentaine de minutes après chez son mentor.

Il me confia ainsi que le CDP a commis des hommes pour relever les numéros des cartes d’électeurs dans les concessions, les boutiques, les ateliers, etc., ce qui a suscité des inquiétudes, du reste, confirmées par Eugène Diendéré dont le parti, le RDM, avait sérieusement bousculé le parti au pouvoir lors des élections municipales d’avril 2006. Ce dernier, qui s’activait pour se rendre à Bagaré (sur la route Tougan), un des 9 départements de la province, dit ne pas comprendre la démarche de ce parti, et croit dur comme fer que c’est une batterie frauduleuse qui est en train d’être mise en place.

Pour ces législatives, sous la bannière de l’UPR, Eugène Diendéré, qui dit avoir quadrillé tous les départements et les 208 villages de la province, est convaincu que les 3 sièges reviendront à sa coalition au soir du 6 mai 2007. Et de dénoncer les intimidations de la majorité sur les populations. Si l’on croit ainsi ce qu’il dit, dans un patelin, un enseignant, membre de ce parti, aurait menacé les habitants de la fermeture de l’école si le CDP ne bénéficiait pas de leurs voix. Concernant la rareté des affiches de son parti à Yako, il affirme que des activistes du parti de Fatou Diendéré les arrachent régulièrement la nuit.

A l’UNIR/MS, c’est le même son de cloche concernant les relevés des numéros des cartes d’électeurs par le CDP. Le coordonnateur de la campagne de « l’incassable œuf » dans le Passoré et candidat titulaire, Fidèle Nemg/néré Kientéga, assisté d’un autre prétendant, en l’occurrence Halidou Sanfo, indique que c’est, entre autres, un certain Hamado Sankara dit Zato qui serait commis à cette tâche.

Le 23 avril 2007, l’UNIR/MS a du reste adressé une lettre de protestation à la CENI pour noter « que cette opération est irrégulière et pire, elle est de nature à créer des frustrations donc des troubles susceptibles de mettre en péril la paix sociale ». Celle-ci, en réponse, a indiqué dans sa correspondance du 24 avril 2007 que « Si le sieur Sankara inscrit son action dans le contrôle des activités électorales qui est reconnu aux partis politiques et à leurs militants désignés à cet effet, nous ne voyons aucun inconvénient à ses agissements. Si vous avez la conviction et les éléments de preuves qui indiquent que l’intéressé se livrerait ou s’apprêterait à se livrer à des actes délictueux en matière électorale, vous avez le droit et le devoir de les dénoncer auprès du procureur de la localité afin que des enquêtes soient diligentées... ».

Allons donc voir ce fameux Zato dont le nom revient sur toutes les lèvres. Mais je n’en saurai pas plus avec lui puisque se contentant de me dire qu’il a accompli un travail à la demande de son parti et que c’est celui-ci qui répond de son acte.

La musique du parti de l’œuf qui trouble le sommeil de Fatou

Toute la soirée du samedi, impossible de joindre les responsables locaux du CDP qui préparaient activement un meeting à Songnaba, village du colonel Gilbert Diendéré, chef d’état-major particulier du président du Faso et, dans le civil, époux de Fatou. Rendez-vous fut donc pris pour dimanche matin. A 16 heures ce samedi 28, un tour au siège du PDP/PS nous permet d’échanger avec François Ouindelassida Ouédraogo, qui met, une fois de plus sur le tapis, l’opération litigieuse. Selon lui également son parti abat un travail énorme dans les départements et villages. Concernant Yako, le PDP/PS, dit-il, compte mettre la pression dans la dernière semaine de la campagne.

Dimanche 29 avril 2007, 8 heures. Me voici devant le domicile de Fatou Diendéré. La propriétaire dormait toujours, car avec le bal organisé la veille par les AFD au jardin du maire, les uns et les autres sont rentrés au petit matin. L’attente fut donc longue sans être fastidieuse. En effet, du siège de l’UNIR/MS, séparé, rappelons-le, du domicile de la candidate du CDP par un mur mitoyen, un appareil de musique tonnait à fond la caisse.

On aurait dit que les sankaristes voulaient troubler le sommeil, au propre, de leur adversaire. Par-dessus la clôture me parvenaient les notes d’une chanson faisant l’apologie de « l’œuf qu’on ne peut briser parce que c’est l’œuf de l’intégrité ». Un des chauffeurs du staff de Fatou raillera en ces termes : « Mais quel est cet œuf qu’on ne peut pas casser et qui n’éclôt jamais ? ».

Des rires fusèrent de ses camarades. En définitive, c’est vers 11 heures que le CDP officiel me rencontra, mais au Secrétariat de la candidate, tête de liste du CDP. Sans détour, Fatou Diendéré aborda le problème qui fait tant de gorges chaudes : « Il n’y a plus de fraude au Burkina Faso et que seul le travail paie. Il faut que certains partis arrêtent leur cinéma et aller au travail, car un parti qui veut gérer le pouvoir doit développer des initiatives, des stratégies », a-t-elle lâché d’entrée de jeu avant de laisser entendre que ce qui fait peur aux autres partis n’est en réalité qu’une stratégie de son parti baptisée « opération, voici ma carte d’électeur ».

Selon elle, à travers une telle démarche, il s’agit de sensibiliser la population pour qu’elle retire le précieux document. En plus, estime-t-elle, chaque parti doit accompagner la CENI pour que ce travail soit bien effectué. Dans la foulée, elle énuméra des erreurs constatées sur le terrain par les équipes de cette opération que son parti répercute régulièrement auprès de la CEPI pour que des corrections soient faites, si cela est encore possible. A ses yeux, cette opération est légale et est donc permis à tous les partis politiques en compétition.

Pour la directrice provinciale de campagne, depuis le meeting inaugural le 14 avril à Yako, tout le Passoré jusqu’au dernier hameau de culture est bouclé par les équipes bien organisées de son parti. 10 meetings et d’autres approches de l’électorat permettront au CDP de remporter la victoire au soir du 6 mai prochain. Des griefs aussi, le CDP en a contre ses vis-à-vis.

Les griefs de Fatou contre l’opposition

Fatou Diendéré note ainsi que certains s’adonnent à un jeu très dangereux en jouant sur son ethnie et le fait qu’elle est de l’Oubritenga (le Passoré ne serait donc que sa province par alliance) pour la traiter d’étrangère. Pour elle, avec de telles attitudes, ce n’est pas évident que ce qu’est arrivé à la Côte d’Ivoire ne nous tombe pas sur la tête également un jour. Même en politique, assène-t-elle, il y a une limite à ne pas franchir. Et de lâcher : « Je ne suis pas frustrée d’être peulhe ou femme ou encore d’être de l’Oubritenga. Je me suis toujours battue corps et âme pour le Passoré, mieux que ceux qui me vilipendent. Si vous voulez, faites un micro-trottoir et vous verrez ! », renchérit-elle, visiblement remontée, même ulcérée.

Elle ajoute que des militants du CDP font l’objet d’attaques verbales par ceux de l’UPS (Union des partis sankaristes) à Tèma/Bokin, chez Nongma Ernest Ouédraogo ; et que le candidat de l’UPR de La-Todin traite d’étranger un de leurs candidats.

40 chefs coutumiers regagnent la barque CDP

En dépit de ces angoisses dans le camp Fatou Diendéré, la sérénité et l’optimisme sont de mise avec le retour dans son giron du chef coutumier de Yako, le Naaba Tigré ainsi que de 39 bonnets rouges de la province. Feuilletant le document officiel où chacune des autorités coutumières a paraphé, elle fit remarquer que le Naaba Tigré, qui s’était rallié au RDM d’Eugène Diendéré, a estimé que « l’avenir de son peuple se trouve au niveau du CDP ». Pour elle, le meeting de Songnaba a consisté, entre autres, à appeler les camarades du parti à réserver un bel accueil aux « militants retrouvés ».

Côté CEPI, exception faite de l’ADEFA, seul parti à n’avoir pas retiré jusque-là son lot de spécimens, tous les partis sont théoriquement en campagne, même si rien qu’à Yako de nombreux partis ne se font pas sentir sur le terrain. Le taux de retrait des cartes d’électeurs est, quant à lui, encourageant, car à la date du 26 avril 2007, la CEPI enregistrait, sur 112 255 électeurs inscrits, 78 137 retraits, soit un taux de 69,60% et 34 118 cartes restantes.

La date butoir de retraits ayant été prolongée au 3 mai 2007, les agents distributeurs des cartes sont repartis sur le terrain. Leur souci, ont confié des membres de la CEPI et de la CECI, reste la motivation (1000FCFA par jour) à telle enseigne que certains ont failli boycotter l’opération lorsqu’ils ont appris le montant journalier qui leur était alloué.

Cyr Payim Ouédraogo

L’Observateur Paalga

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