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Libye-Union européenne : La paix des affaires

Publié le mercredi 28 avril 2004 à 11h27min

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C’était une investiture à faire pâlir de jalousie l’Union africaine dont les sommets rassemblent souvent à peine une vingtaine de chefs d’Etat et de gouvernement. Hier à Pretoria, ils étaient en effet une bonne cinquantaine de premiers ministres et de présidents, pour la plupart africains, à assister à la prestation de serment de Thabo Mbeki réélu suite aux élections générales du 14 avril 2004 dont le Congrès national africain l’ANC est sorti vainqueur avec 70% des suffrages.

Ils étaient tous là, d’Omar Bongo Ondimba à Joseph Kabila en passant par Olusegun Obasanjo, Blaise Compaoré, Robert Mugabe, vivement applaudi...

C’est que ce 27 avril 2004 marquait le dixième anniversaire des premières élections multiraciales de l’Afrique du Sud, et donc la fin officielle des 46 ans d’apartheid, tout ce que l’humanité avait "de plus sordide et de plus répugnant" , selon les propres mots de l’illustre impétrant. Ce 27 avril 1994, vous souvient-il, des millions de Sud-Africains noirs, jusque-là écartés de la gestion des affaires du pays, avaient voté dans une euphorie sans pareille pour porter à la magistrature suprême l’ancien pensionnaire de Roben Island, figure emblématique de la lutte anti-apartheid.

Voilà une légende vivante qui, alors qu’il serait resté au pouvoir jusqu’à ce que mort s’ensuive que personne n’aurait crié scandale, choisit de mener la transition à son terme et de se retirer de la vie politique après seulement un mandat de 5 ans.

Une élégance bien rare sur un continent où la tendance, presque naturelle, est de se scotcher littéralement au fauteuil présidentiel, dût-on tripatouiller les constitutions. Combien étaient-ils d’ailleurs à avoir usé de tels artifices et, telle une vieille femme toujours gênée lorsqu’on parle d’os désséchés devant elle, devaient être dans leurs petits souliers quand Madiba, 85 ans et toujours bon pied bon œil, a été longuement ovationné par un public qui a entonné un chant à sa gloire ?

Le géant s’est donc retiré en 1999 et ses bottes sont bien trop grandes pour le fils d’Epainette Mbeki, connu pour ses prises de positions hasardeuses (sur le Sida notamment) et ses dérapages verbaux à faire pâlir un Silvio Berlusconi.

De fait, une décennie après la mort du système ségrégationniste, si le développement séparé n’est plus la religion officielle de l’Etat, force est de reconnaître que les inégalités sont toujours criardes, car le fossé, il est vrai abyssal, entre Noirs et Blancs est loin d’être comblé. Le président nouvellement élu le reconnaît du reste, "l’éradication de la pauvreté qui continue de défigurer l’Afrique du Sud" demeure un enjeu crucial dans ce vaste pays où plus de 30% de la population active est au chômage.

Et si hier, l’aura de Nelson Mandela suffisait à "occulter" la misère quotidienne dans laquelle baignait la population, aujourd’hui, Mbeki doit faire ses preuves. Après la liberté, dont ce peuple pendant si longtemps meurtri a été sevré, il faut bien le pain, car c’est à l’aune de la véritable révolution socio-économique, dont la nation arc-en-ciel a tant besoin après un demi-siècle de racisme outrancier, qu’on jugera les nouveaux dirigeants sud-africains et au-delà d’eux les Noirs. Il s’agit de ne pas donner raison, a posteriori, aux idéologues de l’apartheid et aux racistes de tout poil pour qui le nègre ne sait que chanter et danser, pas gérer un Etat moderne comme celui de Mandela.

Le grand absent de ce jamboree continental aura cependant été Mouammar Kadhafi, le nouveau chantre de l’Union africaine. Un peu comme s’il voulait snober Thabo Mbeki et ses pairs qui ont effectué le déplacement de Prétoria, c’est ce même 27 avril 2004 que le Guide de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste a choisi de se rendre à Bruxelles où il a eu des entretiens avec les premiers responsables de l’Union européenne (Romano Prodi, Javier Solana...) avant d’être reçu avec tous les honneurs, par le premier ministre belge Guy Verhofstadt. Grandes retrouvailles entre l’Occident et l’impétueux colonel dont la dernière visite officielle, hors d’Afrique et du Proche-Orient, date d’il y a quinze ans quand, en 1989, il avait participé à Belgrade au sommet des non-alignés.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé dans le golfe de Syrte. Mis au ban de la communauté internationale avec notamment l’embargo onusien, pour ne pas dire américain, qui le frappait pour cause de soutien au terrorisme international, le dirigeant libyen s’est résolu depuis peu, de gré ou de force, à se racheter une conduite pour négocier son retour dans le concert des nations.

En reconnaissant d’abord implicitement l’implication de ses services secrets dans les attentats de la Pan-Am au-dessus du village écossais de Lockerbie et d’UTA dans le Ténéré nigérien qui ont coûté la vie à plusieurs centaines de personnes ; en lâchant ensuite certains de ses agents de renseignement, depuis aux mains de la justice occidentale et en indemnisant, à coups de milliards de dollars, les victimes et les ayants droit des deux actes terroristes ci-dessus rappelés ; enfin en jouant récemment la comédie du démantèlement de ses armes de destruction massive qu’il était pourtant, selon Jeune Afrique l’Intelligent loin de posséder.

Cure de sagesse pour un bédouin vieillissant (Kadhafi a aujourd’hui 64 ans) ou lecture lucide du nouvel ordre international marqué par l’hégémonisme de celui qui était encore il y a peu le "grand satan" ? Sans doute y a-t-il des deux fois.

Qu’importe d’ailleurs les raisons, l’essentiel pour le fantasque Guide est de retrouver grâce, fût-ce à grand renfort de pétrodinars, aux yeux des puissants de ce monde, lesquels en retour, reluquent l’or noir libyen et les bonnes affaires à faire dans un pays qui sort d’une décennie d’embargo avec de nombreuses promesses d’ouverture de son marché.

Et si aujourd’hui, Kadhafi est ainsi accueilli en grandes pompes au siège de l’UE après avoir reçu sous sa tente de nombreux responsables européens parmi lesquels "Il cavalière" Berlusconi et Tony Blair, c’est sans doute parce que, dans cette course au trésor libyen, le vieux continent ne veut pas se laisser doubler par les Etats-Unis dont les grosses firmes ont déjà pris pied sur l’eldorado khadafien. La paix des affaires en somme.

Il ne reste plus à notre ami le Guide que d’accueillir Chirac et de se rendre à Washington pour couronner ce processus de réintégration dans la communauté internationale.

Ousséni Ilboudo
L’Observateur

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