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Guillaume Soro : Portrait d’un chef rebelle en Premier ministre (4/4)

Publié le samedi 14 avril 2007 à 10h00min

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Gbagbo, Compaoré et Soro

Guillaume Soro se trouve être le troisième homme nommé au poste de Premier ministre de la République de Côte d’Ivoire depuis la signature des accords de Marcoussis, voici un peu plus de quatre ans. Mais il serait faux de penser qu’il prend la suite de Seydou Diarra et de Charles Konan Banny.

Certes, son mandat de premier ministre s’inscrit dans le cadre des résolutions votées par le Conseil de sécurité des Nations unies (le préambule de l’accord de Ouagadougou souligne que le "dialogue direct" s’inscrivait "dans le cadre de la résolution 1721"), mais Diarra et Banny n’étaient pas des acteurs de la crise ivoirienne ; tout au plus des figurants de la "transition ".
Soro est le leader des Forces nouvelles après avoir été celui du MPCI qui a revendiqué l’instigation de la rébellion déclenchée dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. "Gbagbo a une armée et un territoire. Soro également. Si les hommes sont amenés à cohabiter, n’y aura-t-il pas une dyarchie et donc un clash au sommet ? On peut le craindre au cas où les deux belligérants n’auraient pas renoncé à l’option militaire. Ici, nous sommes dans l’arène politique, et on ne réconcilie pas deux amis. Ce sont deux ennemis que l’on réconcilie ". C’est Soro lui-même qui déclarait cela le lundi 21 novembre 2005 en un temps où il affirmait que le poste de Premier ministre revenait "d’autorité" aux Forces nouvelles. Seize mois se sont écoulés depuis cette déclaration. Et la résolution de la crise ivoirienne est toujours une espérance déçue.

Le "dialogue direct" entre Gbagbo et Soro parviendra-t-il à dénouer une crise que deux hommes ont nouée voici plus de quatre ans ? Le penser serait faire preuve de légèreté. Pour Gbagbo, il fallait sortir de l’emprise de plus en plus pesante des médiations "multilatérales". Il y avait d’autant plus urgence que la France entrait en campagne présidentielle et que la conciliation élyséenne en matière d’affaires africaines arrive à son terme historique.

Le "dialogue direct" est formulé bien à propos pour expulser, diplomatiquement, les médiateurs occidentaux du territoire ivoirien. Quand Gbagbo regarde du côté de Khartoum, il doit se dire qu’il a cédé beaucoup plus de terrain qu’il n’aurait dû le faire (son erreur a été de mettre en cause la France dont la communauté en Côte d’Ivoire comptait plusieurs dizaines de milliers de personnes, Paris devait nécessairement réagir face aux menaces). Il tente de revenir à la case départ. Sans abandonner son objectif : se maintenir au pouvoir et ne pas organiser de consultations électorales tant qu’il n’aura pas rétabli son autorité sur l’ensemble du territoire national !

C’est bien joué. D’autant plus que, du même coup, Gbagbo se retrouve en tête-à-tête avec Soro. Qu’il connaît bien. Et dont il a pu apprécier, tout au long des années passées, la flexibilité. Soro occupe, certes, 60 % du territoire national mais il est le leader d’un mouvement qui n’est pas parvenu à ses fins : déloger Gbagbo du pouvoir ! Plus encore, le pouvoir de Soro est émietté. Son autorité, dans le Nord, n’est respectée que tant qu’il laisse la bride sur le cou aux "seigneurs de la guerre". Soro, Premier ministre, c’est pour Gbagbo l’avoir à sa main, à Abidjan, et le mettre face à des responsabilités dont il va percevoir le poids. Face aux individualités "rebelles " qui, comme à l’accoutumée, joueront "perso", il y aura le rouleau compresseur du FPI et des "Jeunes Patriotes ", bien mené par Simone Gbagbo pour écraser toute velléité d’action autonome.

Gbagbo dégage en touche la "communauté internationale", met la main sur Soro et Soro au pied du mur et, dans le même temps, se débarrasse des "neutres" (ce que paraissaient être Diarra et Banny) et banalise les leaders de l’opposition politique. Jusqu’à présent, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara apparaissaient comme les "interfaces" (plus encore une "interface" internationalement présentable : un ancien président de la République élu et un ex-Premier ministre de réputation mondiale ; c’est mieux qu’un ex-étudiant "rebelle ") entre le pouvoir et la rébellion. Terminé. Bédié est renvoyé à ses soins médicaux et Ouattara à sa présidence du groupe RDR de Mougins. Ils avaient été imposés par la "communauté internationale" ; ils sont déposés parle "dialogue direct".

Schéma idéal ? Théoriquement. Uniquement théoriquement. Dans la configuration actuelle, Gbagbo ne pouvait que se démettre ou imaginer ce gimmick diplomatico-politique lui permettant de gagner du temps pour voir venir l’évolution de la diplomatie française et onusienne. Mais, revers de la médaille, en embrassant Soro sur la bouche, Gbagbo est bien obligé d’étreindre... Blaise Compaoré. Qui n’est pas du genre à se laisser-aller au marivaudage.

Compaoré connaît mieux Gbagbo que Gbagbo ne connaît Soro. Et quand il s’agit du Burkina Faso et des Burkinabè, il n’a pas plus d’états d’âme que Simone Gbagbo quand il s’agit de Laurent. C’est en qualité de président en exercice de la Cédéao et de "facilitateur" que Compaoré a organisé le "dialogue direct" entre Gbagbo et Soro. Cela tombe bien, l’un et l’autre lui doivent beaucoup. Cela tombe d’autant mieux que Compaoré et Gbagbo ont, tous deux, intérêt à jouer au jeu du "donnant-donnant".

Il est essentiel pour le Burkina Faso et la Cédéao que la Côte d’Ivoire, l’usine locale, se porte aussi bien que possible : c’est le principal pôle de création d’emplois dans la sous-région ! Si Gbagbo veut perdurer, d’une façon ou d’une autre, en tant qu’acteur politique sur la scène ivoirienne, il lui faut donc revenir à de meilleurs sentiments vis-à-vis des "étrangers" en Côte d’Ivoire. C’était d’ailleurs la première revendication affirmée des "rebelles" au lendemain du 18-19 septembre 2002 : "Nous demandons l’abrogation de la loi sur l’identification des personnes, la révision des lois foncières rurales, la refonte de la Constitution avec le rejet de l’ivoirité" (cf. LDD Côte d’Ivoire 0213/Mercredi 28 mars 2007).

Compaoré s’est volontiers engouffré dans l’ouverture offerte par le "dialogue direct" ; la crise ivoirienne s’éternise et cela n’est pas bon pour l’économie du Burkina Faso et de la sous-région. Il s’y est engouffré avec d’autant plus de détermination qu’il a en main des arguments diplomatiques, politiques et militaires. Ce qui lui permet d’imposer un chronogramme très contraignant (dix mois au total pour arriver aux élections) dans lequel il n’a aucune responsabilité puisqu’il fait revenir, dans le jeu politique, en tant que membres du cadre permanent de concertation, Bédié et Ouattara.

C’est dire qu’il faut aller à l’essentiel et que ce que les Ivoiriens ne feront pas en Côte d’Ivoire, les Burkinabé pourraient être amenés à le faire. Avec la bénédiction de la Cédéao, de la France et de la communauté internationale ! Nul ne peut douter que Ouaga sera plus rapidement rendu à Abidjan que Abidjan à Bouaké si, par suite de confusion mentale, Gbagbo était amené à penser que le militaire pouvait l’emporter sur le diplomatique.

Gbagbo aurait dû se souvenir de ses années militantes (si tant est qu’il ait appris quelque chose en ce temps-là) : "Les lois de l’Histoire sont plus fortes que les appareils bureaucratiques". Historiquement, c’est autour de l’axe Ouaga-Abidjan que s’articule une part essentielle de la vie politique, économique et sociale de l’Afrique de l’Ouest. Félix Houphouët-Boigny le savait : c’est parce que Gon Coulibaly, chef traditionnel de Korhogo, l’avait bien voulu que Félix Houphouët (qui n’était pas encore Boigny) avait pu, en 1945, être élu à l’Assemblée nationale constituante française !

Gbagbo a refusé, quand l’occasion lui en a été donnée, de se démettre ; le voilà obligé de se soumettre. Une question reste posée : pour qui, dans cette affaire, roule Soro ? La réponse est simple : il ne roule pas ; on le pousse. Ce n’est qu’un leurre. "L’enfant", le "petit", devra attendre et apprendre. Après tout, il a échoué en septembre 2002. Encore heureux qu’on lui accorde une session de rattrapage !

Fin

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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