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Guillaume Soro : portrait d’un chef rebelle en Premier ministre

Publié le lundi 9 avril 2007 à 09h08min

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Guillaume Soro

C’était il y a tout juste quatre ans. Le mardi 18 février 2003. Guillaume Soro était à Ouagadougou. Arrivé tardivement la veille au soir, il avait reçu la presse, ce matin-là, dans une simple chambre d’hôtel. Soro n’a pas un physique de baroudeur. Plutôt petit, plutôt rond, plutôt enveloppé. Il est plus dans la norme des Baoulé du genre Henri Konan Bédié ou Charles Konan Banny, que dans celle des Burkinabé, plutôt minces (et plus minces encore quand ils faisaient la Révolution !).

En 2003, au lendemain des accords de Marcoussis, Soro était l’homme qui avait fait rudement vacillé le régime de Gbagbo et qui occupait, avec ses troupes, la moitié du territoire ivoirien. J’étais là et, en le voyant, je ne pouvais m’empêcher de penser à Thomas Sankara. Le style n’est pas le même, bien sûr, mais, à la limite, il était plus facile, dans les années 1980, à un militaire de s’affirmer politiquement que, dans les années 2000, à un politique de s’affirmer militairement. Sankara était un jeune "guerrier" qui tentait de s’adonner à la politique ; Soro était un jeune politique qui tentait de s’affirmer en tant que chef de guerre. Deux combats qui, malgré tout (je n’ai pas été un fan de la révolution sankariste), s’inscrivent définitivement dans l’histoire de la lutte de l’Afrique pour son émancipation.

Je m’interrogeais alors : Biaise Compaoré se fait-il la même réflexion ? La veille, en tête-à-tête, nous avions évoqué la personnalité du leader ivoirien. Le chef de l’Etat burkinabé me faisait part du coup de passion d’un de ses pairs africains anglophones de la sous-région qui, à l’issue d’une rencontre sur le dossier ivoirien à laquelle participait Soro, s’était exclamé : "C’est lui qui doit diriger la Côte d’Ivoire !". Compaoré, quant à lui, ne manquait pas de faire remarquer à Laurent Gbagbo, histoire de le titiller un peu, qu’en contrôlant plus de 50 % du territoire ivoirien, Soro pouvait prétendre à être, au moins, vice-président de la République de Côte d’Ivoire.

Quatre ans plus tard, nous n’en sommes pas encore là. Mais le dialogue direct mené sous les auspices des Burkinabé a eu le mérite de rappeler à tous qu’il y avait, en Côte d’Ivoire, un chef d’Etat, Laurent Gbagbo, et un chef rebelle, Guillaume Soro. Et que c’est entre eux que la discussion devait être engagée.

Soro est donc en passe d’obtenir le poste de Premier ministre. Il sera le troisième Premier ministre ivoirien depuis les événements du 18-19 septembre 2002. L’occasion pour lui d’assumer ses responsabilités. Et, tout d’abord, celle d’avoir déclenché cette rébellion armée contre le pouvoir en place à Abidjan et de n’avoir pas réussi à le liquider. Tout au plus à limiter son espace vital. Il n’est pas sûr, d’ailleurs, que Gbagbo ne serait pas déjà tombé depuis longtemps si le jeu politique en vigueur en Côte d’Ivoire avait respecté un minimum de règles démocratiques !

Quatre longues années viennent de s’écouler et je doute fort que Guillaume Soro soit aujourd’hui l’homme qu’il était en février 2003. La Côte d’Ivoire en crise avait alors permis l’émergence d’une nouvelle génération de cadres politiques sans états d’âme et dont le discours était, enfin, porteur d’une nouvelle espérance. Il y a quatre ans, Soro pouvait apparaître comme le fils naturel de la Révolution burkinabé et, au-delà, de la Révolution africaine. Aujourd’hui, n’est-il pas pris au piège des ambitions de son entourage. L’histoire tranchera. Très vite.

L’histoire de Soro commence le 8 mai 1972. C’est dans le département de Ferkessédougou (où ont été implantés les complexes sucriers qui ont causé bien des tourments à Henri Konan Bédié quand il n’était encore que ministre des Finances), dans le "Grand Nord" (Ferké est également le fief de Laurent Dona Fologo, patron du PDCI sous Félix Houphouët-Boigny et Bédié et, depuis, adepte de l’errance politique de Robert Gueï à Laurent Gbagbo), qu’est né Soro. Son village s’appelle Diawalla ; c’est un Sénoufo mais de père et de mère catholiques (comme on l’est, majoritairement, dans le département de Ferkessédougou).

Son père appartient à l’ex-CFDT (devenue, depuis, Dagris, et dont les activités ivoiriennes ont été filialisées dans le cadre de la CIDT), la compagnie française qui assurait le développement de la culture du coton (démarrée en Côte d’Ivoire en 1964 seulement). La famille est catholique mais pratique la polygamie ; Guillaume est le premier enfant d’une fratrie de neuf dont cinq de même mère que lui. Niellé, Katiola, Ouaninou, Mankono : sa scolarisation va s’effectuer en fonction des affectations de son père dans la zone cotonnière ; elles lui permettent de parler, hormis le sénoufo, le tagouana, le malinké, le dioula.

En 1984, Guillaume obtient son certificat d’études primaires et songe à une vocation... religieuse ; il rejoint le petit séminaire de Katiola, beaucoup plus au sud, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Bouaké. Sa vocation religieuse va vite se dissoudre au fil des années (il y gagnera cependant un surnom : "petit prêtre ") ; il obtient son BEPC et rejoint le lycée classique de Bouaké. Il décroche son bac littéraire en 1991, veut s’inscrire en faculté de droit mais se retrouve en faculté des lettres pour des études d’anglais.

Abidjan est, déjà, en ébullition. Le multipartisme est à l’ordre du jour ; les étudiants et élèves ont créé, le 21 avril 1990, la Fédération des étudiants et scolaires de Côte d’Ivoire (FESCI), qui s’oppose (souvent violemment) au Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (MEECI) sous la tutelle du parti unique, le PDCI. C’est Martial Ahipeaud le patron de la FESCI ; le syndicat bénéficie du soutien des leaders de l’opposition de gauche (qui appartiennent tous au corps professoral) : Laurent Gbagbo (Front populaire ivoirien) ; Francis Wodié (Parti ivoirien des travailleurs) ; Bamba Moriféré (Parti socialiste ivoirien) ; Zadi Zaourou (Union des sociaux-démocrates).

Soro rejoindra la FESCI à la fin de l’année 1991, après la reconnaissance officielle du multipartisme et les affrontements violents entre l’armée et les étudiants à la cité de Yopougon, dans la nuit du 17 au 18 mai 1991. Première arrestation et premier emprisonnement pour Soro, en 1992, lors de la marche organisée par le FPI de Gbagbo pour protester contre le refus du régime d’inculper les responsables de l’agression (marquée par des scènes de torture, de viols, etc.) de la cité universitaire de Yop. Il a vingt ans !

En décembre 1993, Félix Houphouët-Boigny meurt et Bédié prend sa succession. En 1994 et en 1995, Soro connaît à nouveau la détention et, dira-t-il, la torture : il rentrait de Ouagadougou où il avait assisté à un congrès de syndicats étudiants ; il sera suspecté d’avoir préparé un coup d’Etat. Il va subir, règle du jeu ivoirien, la Formation commune de base (FCB) à l’école de police. Le 3 février 1997, après le déclenchement de la plus grande grève estudiantine jamais organisée en Côte d’Ivoire, il sera à nouveau arrêté et transféré à la prison civile d’Abidjan. Il sera inculpé "d’atteinte à la sûreté de l’Etat". Il sera libéré quelques semaines plus tard sous la pression des événements.

Depuis 1994, Soro est devenu le patron de la FESCI. Il voyage à ce titre dans la sous-région (mais également en France et en Allemagne) pour participer aux différents congrès étudiants. Il est tout naturellement en contact avec les leaders de l’opposition : Gbagbo, Wodié, Zaourou, Moriféré. A la fin de l’année 1998, alors que les tensions politiques se multiplient en Côte d’Ivoire, Gbagbo va imposer son "candidat" à la tête de la FESCI : Charles Blé Goudé, le futur leader des "Jeunes Patriotes".

Soro, dépité, va non seulement quitter la direction du mouvement étudiant mais également la Côte d’Ivoire. Plus tard, il affirmera : "J’avais acquis la conviction que mes anciens camarades avaient entamé une dérive non seulement droitière mais surtout tribale et xénophobe ". Destination France. Pour peu de temps. A la veille de Noël 1999, Bédié est balayé par un coup d’Etat militaire.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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