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Impôt sur la vacation : La réplique des professeurs "moutons"

Publié le mardi 3 avril 2007 à 08h48min

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C’est pratiquement un dialogue direct que ce "groupe de professeurs vacataires de carrière" engage avec Ouédraogo Tibbyandé Renée (OTIR) qui s’était exprimée dans nos colonnes sur l’impôt sur la vacation. Le ton du texte est assez clair de même que le tutoiement utilisé par ses signataires montre leur courroux à l’endroit de OTIR.

Heureusement que les professeurs vacataires sont moutons, suffisamment moutons pour songer à donner des cours du soir malgré la fatigue, afin de donner une chance à ceux qui, comme toi, n’ont pas les moyens de suivre les cours du jour ou à ceux qui ont une occupation quelconque les empêchant de venir aux cours du jour.

Nous te dirons, pour commencer, que les professeurs sont habitués à l’ingratitude des élèves car on leur a aussi appris que l’enseignant était une échelle sur laquelle beaucoup de gens grimpent pour atteindre le sommet, mais une fois qu’ils y sont arrivés, ils font basculer l’échelle et la font tomber. Tant pis si elle se casse ou si elle se fait mal ! On est déjà arrivé à destination. Mais attention ! Toi, tu n’es pas encore arrivée en haut, tu es encore sur l’échelle ; et si tu la fais basculer, tu perdras l’équilibre avec elle et la chute pourra être très douloureuse, aussi bien pour l’échelle que pour toi-même.

L’éducation s’apprend aussi à la maison ; et si on ne t’a pas appris à respecter plus grand que toi, plus âgé que toi, plus gradé que toi, ce n’est sûrement pas de la faute du professeur vacataire menteur et "mouton" !

En revanche, nous, on nous a appris à discuter de ce que nous savons et à comparer les situations dont nous maîtrisons les tenants et les aboutissants. Comparaison pour comparaison, nous te dressons le tableau suivant entre la situation de ton père gardien et celle du professeur "mouton" vacataire.

Eléments de comparaison Ton père gardien Ton professeur "mouton"

Salaire régulier toute l’année Oui Non

Salaire de congé (congés payés) Oui Non

Allocations familiales Oui Non

Couverture accident de travail Oui Non

Couverture allocation vieillesse Oui Non

Pension conjoint survivant Oui Non

Augmentation de salaire (avancement) Oui Non

Nombre de mois de salaires par an 12 05

Nature des revenus Salaire ?

Le formateur-consultant est taxé à moins de 5% là où il a droit à des pauses-café et à des salles climatisées. Pourquoi plus du double pour la vacation ?

Comme tu es en terminale A, nous te faisons analyser la note que nous avons reçue des fondateurs d’établissements. Dis-nous ce qu’est un revenu accessoire. Quand le revenu est-il considéré comme principal ? D’où proviennent nos revenus à titre principal ? Dans quel pays la loi est-elle rétro-active ? Nous sommes "moutons". Quel est le féminin de mouton en français ? Car nous ne sommes pas des femmes ni ne sommes en terminale A, et nous ne connaissons rien ; éclaire-nous.

Si on fouille bien, si ton père a plus de 3 charges (nous supposons que tu n’es pas son seul enfant et que tu as une mère), il paiera moins de 12% d’impôts. Et comme, pour sa base de salaire, il allait payer autour de la même somme, il paiera, pour finir, 0% d’impôt (12% - 12%) ; Mais à côté de cela, il a toutes les protections sociales possibles, tandis que le professeur vacataire "mouton" paiera, pour la même situation de revenus, 3 500 F CFA sans aucune protection sociale.

Il faut que tu saches que ce ne sont pas tous les professeurs qui ont un salaire autre que leur salaire de vacation. Et s’ils en ont un autre, ils ne sont pas quincailliers avant d’être professeurs à leurs heures libres. Ils sont professeurs à titre principal. Nous ne pensons pas que faire l’effort de te donner des cours du soir après la fatigue de la journée soit un péché, et ne demande pas à un professeur, aussi mouton soit-il, de payer l’essence de sa poche pour venir te donner gratuitement des cours, parce que, dis-tu, ton père est gardien, constate toi-même que ce n’est pas de la faute du professeur "mouton" si ton père est gardien.

Connais-tu le prix d’un livre de classe et son guide pédagogique ? Connais-tu beaucoup d’établissements qui mettent à la disposition des enseignants des manuels scolaires ? Et comme tu l’as toi-même dit, à ton père gardien on donnera des outils de travail (torche, etc.) et seulement un morceau de craie à ton professeur "mouton". Mais tu n’es pas mécontente d’être enseignée ! C’est parce que certains ont accepté de contribuer à la formation des fils de ce pays, quoi que cela leur ait coûté. Accorde-leur un peu de respect.

Ton professeur qui gagne 150 000 F les gagne pendant 5 mois, soit un total de 750 000 F pour 12 mois de vie par an, donc une moyenne de 62 500 F par mois, après avoir fait des années d’université, et sans salaire de congé. Si je compte le congé, cela fait une moyenne de 57 692 FCFA (pour 13 mois).

Ton père en tant que gardien, lui, gagne 35 000 F par mois, plus un mois de congé, soit 455 000 F, avec une moyenne de 38 000 F par mois, sans compter qu’il est à l’abri de tous les problèmes sociaux, et cela sans avoir mis les pieds un seul jour à l’université ! Commente-moi cela, toi qui est une habituée des commentaires !

Les professeurs vacataires auraient cher payé pour pouvoir être déclarés à la CNSS, percevoir 12 mois de salaire sur les 12 que compte l’année, bénéficier d’un salaire de congé, pouvoir aller tranquillement à la retraite, être payés si on est malade, ne pas s’inquiéter si on faisait un accident de travail en allant enseigner, ne pas avoir peur des grèves des élèves, tous moutons qu’ils soient ! Et, bien sûr, payer l’impôt ! Et comme "la loi est rétro-active", que cela se fasse rétro-activement ! (on dirait que nos professeurs d’université "nous ont menti" en nous enseignant que seule la loi pénale la plus douce pouvait être appliquée rétro-activement !).

Mais lorsque vous allez en grève pour Norbert Zongo, tous les ans, nous ne sommes pas payés, pour vos journées culturelles nous ne travaillons pas, donc ne sommes pas payés ; lorsque nous sommes malades nous ne sommes pas payés, lorsque nous mourons pendant un trajet de travail, nos veufs et veuves et enfants ne perçoivent aucune pension, lorsque nous glissons des escaliers de l’école et que nous sommes blessés à la main et que nous ne pouvons pas enseigner, nous n’avons aucune pension d’invalidité et ne sommes pas payés durant tout le temps que durera l’arrêt de travail et nous nous soignons à nos frais ; nos enfants n’ont pas droit aux allocations familiales, et encore et encore.

Ton père gardien aura une pension de retraite lorsqu’il aura 55 ans et aura le minimum vital. Ton professeur "mouton" mourra de faim à cet âge-là si quelqu’un ne lui porte pas secours, et ses enfants ne pourront même pas prétendre suivre des cours du soir !

Et lorsque vous voudrez découvrir la France ou les Etats-Unis d’Amérique, tout intellectuel et universitaire que le professeur vacataire est, car chacun rêve de connaître ces pays-là avant de mourir ou d’y retourner pour voir des amis pour ceux qui y ont fait leurs études ou bien y ont séjourné à un moment donné, on vous demandera vos 3 derniers bulletins de salaire et vos trois derniers relevés de compte bancaire avant d’examiner votre cas pour un visa, ce qu’aucun professeur vacataire ne peut fournir car n’ayant jamais reçu de bulletin de salaire ni vu son salaire viré. Candidat exclu d’office ! Mais ton père gardien peut produire ces documents-là.

Et comme tu sembles plus amie au gouvernement qu’aux professeurs "moutons", nous souhaitons que tu l’informes de cette situation, puisque nous t’auront informée, à moins que le gouvernement ne le sache déjà mais fasse semblant de l’ignorer.

Et puis, dis-nous sur quel document tu feras constater le paiement de cet impôt afin que le professeur puisse prouver un jour qu’il a payé l’impôt. Car nous supposons que tu sais que ton père gardien paie l’impôt parce que tu as vu cette rubrique sur son bulletin de salaire. Nous, nous le payons où et comment ?

Nous payons des impôts, mademoiselle, car, par exemple, nous payons une taxe de résidence sans laquelle nous ne pourrions obtenir un certificat de résidence dans certains cas. Quand la vendeuse d’arachides paie l’impôt, elle nous l’impute, car elle ne vend pas à perte ! Donc nous payons ainsi l’impôt. Et nous n’avons jamais refusé de payer l’impôt, mais le travailleur ne peut pas payer de gaieté de coeur l’impôt sur ses revenus et n’avoir aucune preuve écrite à sa disposition ni aucune protection sociale, prévue d’ailleurs également et parallèlement à l’imposition des revenus par la loi. La délivrance du bulletin de salaire est une obligation légale, mais nous n’en avons pas et personne ne s’en émeut.

Toi, si gentille et si compréhensive des problèmes du gouvernement, certainement son amie, demande à celui-ci de faire en sorte que tous les professeurs vacataires reçoivent un bulletin de salaire, soient déclarés à la CNSS et, par conséquent, aux impôts. Toi qui es l’amie intime du gouvernement, tu verras qu’aucun professeur ne le refuserait ; au contraire, ils t’applaudiront tous. Pour les uns, cela constituera une retraite complémentaire (ceux que tu dis avoir un autre salaire), pour les autres une retraite normale. Sans compter que nous aurons des salaires de vacances, 12 mois de salaire sur 12, serons à l’abri des désagréments d’accidents ou d’arrêt du travail, nos conjoints survivants bénéficieront d’une pension, pour ne citer que cela.

C’est cela, la triste et réelle vie des professeurs vacataires !

Et si nous acceptons de travailler dans des conditions révoltantes sans en parler, encourage-nous à nous taire, et ne remue pas le couteau dans la plaie. Cela fait mal et peut faire pleurer et crier.

A ton avis, combien d’établissements scolaires ont été fermés au Burkina Faso pour n’avoir pas payé les pauvres revenus accessoires des enseignants ? Nous n’en avons jamais entendu parler, et nous supposons que c’est aussi la loi qui dit qu’on peut employer les autres sans les payer et ne rien craindre. Mais nous voudrions te dire que l’esclavage a été aboli et que personne ne doit travailler gratuitement pour enrichir personne.

Trouve-nous du travail et tu verras qu’avec notre niveau, nous gagnerons 5 fois plus que ce que nous gagnons actuellement et paierons tous les impôts que tu voudras que nous payions ! Et surtout, demande à ton gouvernement d’organiser le secteur et que tout le monde assume ses responsabilités de contribuable. S’il peut obliger les fondateurs à nous délivrer des bulletins de salaire, à nous déclarer à la CNSS (car on peut être déclaré, même pour une demi-heure de travail), il pourra très facilement nous amener à payer l’impôt (l’lUTS : Impôt unique sur les traitements et salaires)

Heureusement que tous les élèves ne s’appellent pas comme toi et ne sont pas comme toi !! En tout cas, un élève enseigné par un professeur "mouton" ne peut qu’être plus mouton que celui qui l’enseigne, et nous n’avons pas besoin de candidat mouton au bac.

A notre époque, on nous enseignait le respect du maître et on nous donnait des leçons sur le droit d’aînesse.

Nous acceptons d’être vacataires car nous n’avons rien trouvé de mieux. Nous avons préféré ne pas voler, ne pas grossir les rangs des chômeurs, des mendiants, des parasites, des personnes à charge, nous avons ainsi demandé et obtenu une autorisation d’enseigner. A quoi sert alors l’autorisation d’enseigner ? A percevoir des revenus accessoires ou des salaires ? Le système scolaire de notre pays est-il accessoire pour que les revenus des enseignants soient eux-mêmes accessoires ? Un peu de respect pour le corps enseignant !

N.B. : Depuis des années que nous enseignons, nous n’avons pas encore vu notre taux horaire augmenter de 25%, pas même de 0,00001 %. Viens consulter les cahiers de nos fondateurs pour le vérifier et réécrire dans les journaux car nous n’avons pas de bulletin de salaire pour le prouver !

Un groupe de professeurs vacataires de carrière

Le Pays

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