LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

"Paroles d’honneur" : Ou quand Simone Gbagbo réécrit l’histoire de la Côte d’ivoire (6)

Publié le samedi 31 mars 2007 à 09h36min

PARTAGER :                          

Simone Gbagbo

Le 4 novembre 2004, raconte Simone E. Gbagbo, Laurent Gbagbo lance l’opération "César" qui vise à reconquérir le Nord de la Côte d’Ivoire. Avec le feu vert de la communauté internationale et de la France. Tout va pour le mieux jusqu’à ce que le camp français de Bouaké soit frappé par un obus d’origine indéterminée selon S.E.G.

"La France s’est-elle saisie de ce prétexte pour briser l’élan des soldats ivoiriens et pour tenter ce qu’il faut bien appeler un coup de force : enlever Gbagbo du pouvoir ? ". Ce sera la destruction des aéronefs ivoiriens puis "l’attaque" de la résidence officielle du chef de l’Etat par les troupes françaises à Abidjan.

S.E.G. raconte : "La Côte d’Ivoire venait d’être attaquée par les Français. Spontanément la solidarité s’organise, l’unité se forme, on découvre brutalement que notre guerre n’opposait pas des Ivoiriens à d’autres Ivoiriens, ni même des Ivoiriens à des étrangers africains. Tous ceux-là n’étaient que des pions, des marionnettes. Le véritable adversaire, celui qui depuis le début nous attaque, bien caché derrière, c’est la France chiraquienne. Celle qui refuse de lâcher prise, d’abandonner la colonie. Quitte à sacrifier ses propres ressortissants et en faire de "nouveaux pieds-noirs" ! Quitte à sacrifier l’ensemble de la communauté européenne ! Ce "colon ", pour nous peuple souverain attaqué, a un nom : Jacques Chirac. Le dernier masque venait de tomber. Toute la chaîne machiavélique est enfin à découvert".

Mais Gbagbo n’est pas seul. Dieu est avec lui. "Le temps était à la prière et à la louange de Dieu. Ces jours-là, tout pouvait arriver, nous étions dans la main de Dieu". S.E.G. raconte : "Ce jour-là, le courage sublimé poussa au surpassement des limites, la foi nationaliste des patriotes ivoiriens. On se couchait lorsque les armes françaises "rafalaient" et une fois les rafales passées on se relevait et on fonçait sur les chars et les soldats français en chantant des louanges à Jésus. C’était titanesque. La Nation ivoirienne est née de ces larmes et de ces appels à Dieu".

S.E.G. entend demander des "comptes" à la "l’Etat chiraquien". "Alors que chacun savait que la rébellion armée non seulement attaquait à partir du Burkina Faso, en base arrière, mais que de nombreux mercenaires maliens, libériens et burkinabè figuraient parmi les combattants rebelles, la France a aidé une démocratie à se faire défigurer [...] Tout le monde sait pourtant, et eux encore plus que d’autres, que c’est ce parti [le RDR] qui est à l’origine de cette rébellion. Aujourd’hui on comprend que la solution militaire n’’arrangeait pas la France. Si les Français avaient combattu aux côtés de Laurent comme ils le font aujourd’hui aux côtés des présidents Idriss Déby ou François Bozizé, le pays n’aurait pas été coupé en deux [...] L’enjeu pour eux était de taille : il s’agissait de perpétuer l’empire colonial dans un pays dont les ressources et les potentialités économiques et stratégiques ne sont pas négligeables [...] Ce dont il s’agissait, ce dont il s’agit toujours, c’est de faire des dirigeants des pays en voie de développement, de simples marionnettes dans les mains des grandes puissances /".

Il faut bien boucler la boucle. Et comprendre pourquoi la France s’est engagée, selon S.E.G., dans cette opération de déstabilisation de Laurent Gbagbo au profit de Alassane Dramane Ouattara. A ce sujet, S.E.G. évoque un dîner organisé par l’ambassadeur de France à Abidjan, Francis Lott, et son épouse, en présence d’un journaliste français (ami de Gbagbo), Georges Lory, du couple Gbagbo et du directeur de RFI. A la question de savoir pourquoi "RFI préférait Ouattara à Laurent, le directeur nous répondit en substance : "Parce qu’il nous ressemble... Il correspond plus au profil qu’en Europe nous nous faisons d’un chef d’Etat africain". Notons que Lott a été ambassadeur en Côte d’Ivoire de 1998 à 2001. Le patron de RFI s’appelle alors Jean-Paul Cluzel. Ouattara sera sans doute étonné d’avoir été considéré, entre 1998 et 2001, comme le "candidat de la France" !

Voilà, nous avons passé le cap des 400 premières pages. La lecture de ce livre laisse plus qu’un malaise tant la trituration de l’histoire est systématique. Et, plus encore, compte tenu de la distance qu’il y a entre les idéaux affirmés (souveraineté, respect de la Constitution, etc.) de S.E.G. et la réalité du terrain.

Les 150 dernières pages provoquent un malaise plus grand encore. L’engagement religieux de S.E.G. confine à l’hystérie. "Dieu nous a donné l’ordre et la consigne de posséder notre pays. Le combat que les Ivoiriens mènent depuis plus de quatre ans pour s’approprier leur pays est un combat noble et béni de Dieu [...] Seuls les Ivoiriens se donneront le dirigeant qu’ils veulent et leur choix sera celui de Dieu ". "Cette guerre, dit-elle, a rapproché le peuple de Côte d’Ivoire de Dieu. Ils sont nombreux ceux qui aujourd’hui prient et jeûnent pour la patrie. Dans le milieu des patriotes, des initiatives de plus en plus nombreuses organisent des séances d’évangélisation, d’enseignement de la Parole, comme si l’on était convaincu que la Côte d’Ivoire avait traversé la mort et qu ’elle était en train de ressusciter".

Plus de 500 pages. Je ferme ce livre avec un certain effroi. Voilà donc la vision qui est celle de la "Première dame de Côte d’Ivoire". Quand on sait quel est son impact sur la vie politique de son pays, on ne peut que se faire du souci. Plus encore dans le contexte actuel où Laurent Gbagbo vient de négocier avec Guillaume Soro un ultime plan de sortie de crise. Mais peut-on trouver des solutions dès lors qu’on ne pose pas les vrais problèmes ? On pourrait ne pas s’étonner de cette vision des choses si, par ailleurs, Simone E. Gbagbo était une quelconque première dame. Mais sa dérive mystique ne peut que nous préoccuper. La religion est du domaine de l’intime. Pas du domaine des politiques publiques. Et nous pouvons avoir une véritable inquiétude quand le divin est, systématiquement, appelé à la rescousse.

Dans un livre récemment paru au Seuil (janvier 2007), Sectes et prophètes d’Afrique noire, Claude Wauthier, rappelle que le sociologue Max Weber distinguait quatre types de légitimité du pouvoir : la tradition et la coutume ; la loi et la rationalité ; la compétence professionnelle ; le charisme. En ce qui concerne le charisme, Wauthier dit : "Il fait son apparition quand, les gens se sentant eux-mêmes aliénés et leur vie dénuée de sens, les tendances pathogènes se renforcent en eux, au point que les symboles et les personnages charismatiques leur apparaissent comme des moyens d’assurer leur salut".

Nous en sommes là en Côte d’Ivoire. C’est d’ailleurs ce dont veut nous convaincre Simone E. Gbagbo. Et nous en sommes là du fait de la dégénérescence d’un pouvoir qui, à l’origine, se réclamait du socialisme. C’est dire la dégringolade de ce pays. Et, plus encore, l’effondrement de sa classe politique. Quand on en est à attendre le salut d’un homme (ou d’une femme) providentiel, c’est qu’il ne reste pas grand chose des institutions humaines et que l’Etat s’est plus que jamais dilué du fait des comportements bonapartistes ou populistes de ceux qui sont sensés le diriger et l’animer.

Cette dérive est propre à ceux qui prétendent gouverner en direct, du chef au peuple, en toute "liberté" et veulent se passer des institutions étatiques. La France n’est pas, aujourd’hui, à l’abri de cette dérive. S.E.G. montre-t-elle la voie... qui conduit dans le mur ? S.E.G. : ce sont là les trois premières lettres de... Ségolène. Il faudra que j’appelle Simone E. Gbagbo pour savoir si ce n’est pas un signe divin !

FIN

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 1er avril 2007 à 01:41, par oscar En réponse à : > "Paroles d’honneur" : Ou quand Simone Gbagbo réécrit l’histoire de la Côte d’ivoire (6)

    Ce n’est nullement une réécriture de l’histoire de la Côte d’ivoire,il s"agit en l’ocurence des faits récents dont nous sommes tous témoins,mais reconnaissons qu’au moment où ce livre était en préparation,la crise ivoirienne n’était pas sous de bonnes auspices comme c’est le cas actuellement.Les faits étant têtus,il est à l’honneur de madame Gbagbo de les avoir restitués en l’état.
    Pour ce qui est de la protection divine dont notre pays a bénéficié en maintes au cours de cette agression,elle ne fait l’ombre d’aucun doute.
    Relisez ce livre,il vous fera comprendre la VERITE sur la crise ivoirienne dont l’issue influera sur le développement de nos états.

    • Le 1er avril 2007 à 15:57 En réponse à : > "Paroles d’honneur" : Ou quand Simone Gbagbo réécrit l’histoire de la Côte d’ivoire (6)

      Monsieur, nous avons besoin de vrais dirigeants, certes non soumis aux néocolonisateurs, mais non plus non sectaires. On a besoin de réunir tout le monde, pas d’en diaboliser d’autres lorsque cela nous arrange, surtout pour prendre ou garder le pouvoir. Vous diabolisez le colonisateur qui nous a morcelés pour mieux nous dominer. Ensuite vous voulez le combattre en magnifiant ce qu’il a fait pour nous dominer, c’est-à-dire exprimer à outrance l’intangibilité des frontières qu’il a mises. C’est absurde ! Sauf si vous vous voulez vous accaparer opportunément d’une lutte pour des objectifs inavouables. Mais cela ne vous permet pas de falsifier l’histoire ! Nous sommes au 21ème siècle. Et plus personne ne peut plus berner personne !

      • Le 1er avril 2007 à 22:04 En réponse à : > "Paroles d’honneur" : Ou quand Simone Gbagbo réécrit l’histoire de la Côte d’ivoire (6)

        Monsieur, C’est plutôt vos propos qui sont absurdes. Du livre de S.E.G, il s’agit d’une restitution des faits qui nous ivoiriens avons vécu, ni plus ni moins. Mais ce qui arrive à la CI, j’espère que cela servira de leçon au autres africains, au lieu de s’enfoncer dans de la litterature. "Nous, on a vecu la chose et on avance, Rendez-vous dans 10 ans, et on verra". DIEU benisse la CI et toute l’afrique.

  • Le 2 avril 2007 à 14:16, par Diawara Samou, Journaliste ivoirien En réponse à : > "Paroles d’honneur" : Ou quand Simone Gbagbo réécrit l’histoire de la Côte d’ivoire (6)

    Rectificatif : c’est plutôt l’opération "dignité" au lieu de "césar".

  • Le 10 avril 2007 à 18:00, par Untel En réponse à : > "Paroles d’honneur" : Ou quand Simone Gbagbo réécrit l’histoire de la Côte d’ivoire (6)

    J’ai pas pu lire le livre de s.e.g en entier mais des extraits.
    C’est hallucinant ce qui se passe avec ses references a la bible ! La CI n’est elle pas un Etat de laicité ?
    A vouloir trop mettre la religion chretienne dans la gestion de la chose publique, elle risque de s’attirer les foudres des croyants des autres religions (suivez mon regard). Priez en toute intimité mais evitez de preparer un nouveau terreau de la haine : la religion apres .....l’ivoirité !!!!!

  • Le 22 avril 2007 à 04:06, par Marcov En réponse à : > "Paroles d’honneur" : Ou quand Simone Gbagbo réécrit l’histoire de la Côte d’ivoire (6)

    Voilà, nous avons passé le cap des 400 premières pages. La lecture de ce livre laisse plus qu’un malaise tant la trituration de l’histoire est systématique. Et, plus encore, compte tenu de la distance qu’il y a entre les idéaux affirmés (souveraineté, respect de la Constitution, etc.) de S.E.G. et la réalité du terrain.

    Vivez vous en côte d’ivoire pour savoir quelle est la réalité du terrain ? il ne s’agit pas de s’assoir dans des bureau en europe et parler d’un pays qu’on ne connait pas ! anjlyser comme un Français si cela peut vous faire plaisir mais pour moi qui suis en Côte d’Ivoire Ivoiriens, étant à Korhogo dès les de 2001 à decembre 2002, la france a manipuler et diviser le peuple et ça personne ne pourra me le sortir de la tête. Vous appliquer la politique du "diviser pour règner".

    Je ne suis pas S.E.G, mais je soutiens ses idéaux (souveraineté, respect de la Constitution, etc.) car le monde évolue et si nous ne nous ouvrons pas à d’autres horizons autres que la France, alors nous sommes perdus à jamais car vous nous avez toujours vus comme des irréfléchis. mais quand la pauvreté s’accentue et on se rend compte de la mauvaise gestion du temps FHB, alors on cherche à se démarquer et je ne regrette pas d’être sorti le 4 novembre 2004 lorsque mon pays était violenté par l’armée française.

    vous voulez protéger vos ressortissants ? allez en afghanistan, là bas, il y a de vrais dangers pour vos ressortissants, retirez vos assassins de soldats de notre pays.

    Accepter qu’on critique votre pays, car nous nous reveillons, l’afrique se réveille. hier Rwanda, aujourd’hui Côte d’ivoire et demain ce sera toute l’afrique.
    pourquoi tant de guerres dans les colonies française, à vous de voir !!!!!!!!

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Tidjane Thiam en successeur de Henri Konan Bédié. Jusqu’où ?
Côte d’Ivoire : Robert Beugré Mambé nommé Premier ministre
Côte d’Ivoire : L’étrange destin de Marcel Amon Tanoh