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Sénégal : Changement ou fuite en avant ?

Publié le mardi 27 avril 2004 à 07h01min

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Au Sénégal, fin de labeur pour Idrissa Seck dont le mandat à la
tête du gouvernement n’aura duré que 18 mois. Même si Seck
prétend être en réserve de la République, fort des solides
amitiés qui le lient à Wade, il rejoint momentanément, au
musée des oubliettes, ses deux devanciers, Moustapha Niasse
et Mame Mador Boye.

Ainsi donc, à plus de 70 ans, Me
Abdoulaye Wade entend prouver, à ceux qui peuvent encore
avoir des doutes quant à sa capacité de conduire le navire
gouvernemental et d’imprimer sa marque sur le cours des
événements, qu’il a encore du souffle pour affirmer son autorité.
De là à confondre changement de gouvernement et application
sur le terrain du "sopi" (changement en ouolof), thème autour
duquel Wade avait bâti sa campagne en 2000, il n’y avait qu’un
pas allègrement franchi par le président sénégalais.

Qu’il le
veuille ou non, cette démarche porte la marque d’une certaine
instabilité. D’autant plus qu’en quatre ans de pouvoir, Abdoulaye
Wade s’est séparé d’hommes qui, non seulement l’ont aidé à se
hisser à la tête de l’Etat, mais également incarnaient
l’expression de cette volonté de changement après 40 ans de
pouvoir sans partage d’un régime socialiste sclérosé et miné
par l’usure du temps. Il faut dire qu’en Afrique, les remaniements
ministériels ressemblent plutôt à des rites sacrificiels qui ne
changent pas toujours le cours des choses. Confrontés aux
dures réalités sur le terrain, il est plus facile pour les chefs d’Etat
de remanier que de faire face aux vrais défis.

Pour ce faire,
l’agneau du sacrifice est tout trouvé. Ne dit-on pas que, les
premiers ministres sont des fusibles ? Mais à force de jouer sur
ce registre qui relève, certes, des prérogatives du chef de l’Etat,
Abdoulaye Wade ne dissimule-t-il pas difficilement ses propres
insuffisances en matière de prise sur les événements ? En effet,
battant le record de chef d’orchestre dans l’art de valser les
premiers ministres (soit en moyenne un par an), Abdoulaye
Wade donne raison à ses détracteurs qui accréditent la thèse
selon laquelle, le poisson pourrissant par la tête, c’est
lui-même, et non ses premiers ministres, exécutants
testamentaires de sa volonté, qui montre des signes de
défaillance.

Dans ces conditions, le récent remaniement
ministériel obéit-il à une tentative de faire baisser le climat
social tendu, ou bien s’agit-il d’un simple show médiatique ou
encore d’une opération de survie face à une demande sociale
de plus en plus forte dans un pays qui avait tant espéré des
fruits de l’alternance et qui assiste en fait au naufrage du
changement ? N’oublions pas en effet qu’Abdoulaye Wade,
avocat obstiné du changement, doit sa victoire aux jeunes.

Quatre ans après, cet électorat auquel Wade a tant promis, a le
sentiment que ces promesses tenaient plus de gesticulations
démagogiques et politiciennes que d’une réelle volonté de
satisfaire les besoins essentiels des plus démunis. C’est ainsi
qu’au fil des ans, les rangs des déçus de la démocratie à la
Wade ne cessent de s’allonger. Des dossiers comme celui de
l’emploi qui, dans son volet agro-économique, promettait de
fournir du travail à 24 000 jeunes, de l’implantation d’une usine
qui devait fournir 20 000 repas par jour à bas prix aux étudiants,
policiers et militaires, de la création d’une université
panafricaine à Dakar, de l’érection d’un nouvel aéroport à Dakar
(pourvoyeur d’emplois), etc. sont restés au stade des belles
intentions. Sans oublier le casse-tête casamançais resté sans
solution.

Plus grave, le régime de Wade, en dépit des
apparences, n’a pas su échapper aux pièges de la
malgouvernance qui guettent tant de régimes africains. C’est
ainsi que des scandales politico-financiers et judiciaires ont
éclaboussé les fondements du pouvoir de Wade et inspiré une
abondante littérature dans un pays qui a cette chance d’avoir
une opposition qui ne se laisse pas conter.

Et chaque fois que
le pouvoir de Wade qui a vécu pendant longtemps dans
l’opposition (même si de temps en temps, il mettait un pied
dans le pouvoir) était égratigné, il perdait son sang froid. Tout le
monde se souvient encore de la manière musclée avec laquelle
le pouvoir avait violemment réagi après la publication du livre du
journaliste Latif Coulibaly intitulé "Wade au pouvoir : l’alternance
piégée".

De même, un opposant avait été agressé par des
partisans de Wade. Ce dernier a dû écouter quelques conseils
de modération pour ne pas céder aux injonctions des radicaux
de son parti qui voulaient en découdre avec tous ceux qui n’ont
pas la même lecture de la situation socio-économique et
politique du pays. Quoi qu’on dise, 4 ans après l’accession au
pouvoir d’Abdoulaye Wade, le Sénégal reste encore un vaste
chantier. D’où cette espèce de fuite en avant du régime, plus
prompt à s’arc-bouter sur des dossiers internationaux tels que
le NEPAD (Nouveau partenariat pour le développement de
l’Afrique) et le terrorisme.

Autant de sujets qui n’apportent pas
dans l’immédiat, de réponse aux angoisses existentielles et aux
besoins domestiques des Sénégalais. En justifiant le
remaniement du gouvernement par le refus d’ouverture du
premier ministre à l’opposition, Abdoulaye Wade a poussé
l’audace en faisant appel à des girouettes comme Djibo Kâ dont
la longévité politique est à la mesure de sa capacité à retourner
sa veste. Ce remplissage ne va-t-il pas consacrer
l’affaiblissement du parti de Wade et conduire au naufrage le
changement que le président a fait miroiter devant des millions
de jeunes ?

Qu’à cela ne tienne. Les habitués des arcanes du
palais présidentiel au Sénégal prétendent que Wade qui en fait
à sa tête, est allergique à toute critique. En attendant, c’est
l’opposition qui s’en lave les mains. Elle espère récolter les
dividendes politiques de son refus de participer au nouveau
gouvernement, estimant qu’une forte opposition est plus
importante qu’une coalition gouvernementale. Pourvu que la
démocratie en sorte renforcée.

En attendant, peut-être que les
Sénégalais ont-ils eu tort d’attendre trop de leur héros dans un
pays qui n’est pas particulièrement gâté par la nature. A
l’inverse, le tort de Wade est d’avoir poussé la barre des
promesses trop haut. Wade devait s’entourer de la prudence de
cet homme politique américain qui disait qu’il est dangereux de
faire des projets quand on est encore hors du pouvoir.

Avec une
telle rapidité dans la valse des Premiers ministres, l’état d’esprit
des membres du gouvernement court le risque permanent
d’être celui des intermittents de spectacle.

Le Pays

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