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R.D.Congo : La reconversion de Bemba est-elle impossible ?

Publié le lundi 26 mars 2007 à 08h15min

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"Ma déception et ma frustration sont grandes par rapport à la manière dont la Cour suprême de justice (CSJ) a traité le contentieux électoral ; cependant, dans un souci de préserver la paix et d’épargner au pays de sombrer dans le chaos et la violence, je prends aujourd’hui l’engagement et la responsabilité de conduire désormais ce combat pour le changement dans le cadre d’une opposition républicaine".

Paroles de Jean-Pierre Bemba, président du Mouvement de libération du Congo (MLC), un mois presque après la proclamation officielle des résultats du second tour de la présidentielle du 29 octobre 2006, qui donnait Joseph Kabila vainqueur.

Pourvu que Bemba tienne parole, écrivions-nous dans le Regard sur l’actualité de L’Observateur du 30 novembre 2006. Nous ne croyions pas si bien dire, car les événements du vendredi 23 mars 2007 nous donnent raison. En effet, les 100 jours de Joseph Kabila à la tête de l’Etat congolais ont été salués par des tirs d’armes lourdes et légères notamment dans la commune de Gombe, au Nord de Kinshasa, la capitale du pays ; des violences qui ont opposé les éléments de Jean-Pierre Bemba aux Forces armées de RDC (FARDC), le patron du MLC refusant que les militaires de sa sécurité à l’époque où il était vice-président intègrent l’armée régulière ; la suite est connue : Bemba est désormais visé par un mandat d’arrêt pour "haute trahison", en vertu de l’article 190 de la Constitution, et est refugié actuellement à l’ambassade de l’Afrique du Sud. Ces derniers événements nous donnent raison, car autant on avait salué ce qui ressemblait à une reconversion de Bemba, autant aujourd’hui, on le constate, il paraît difficile à l’homme de se débarrasser de ses oripeaux de chef de guerre.

Pour tout dire, avec le président du MLC, chassez le naturel, il revient au galop : tenez, le 21 août 2006, des affrontements meurtriers avaient déjà opposé ses hommes à ceux de Kabila, autour de sa résidence ; pire, entre octobre 2002 et janvier 2003, pendant que Bemba négocie son avenir politique à Sun City en Afrique du Sud, ses hommes, qui ne sont pas payés depuis des mois, volent, pillent et commettent de terribles massacres en Ituri dans le nord du pays. On a même parlé de cannibalisme à l’encontre des pygmées de la région, si bien que pour se laver de cette accusation d’anthropophagie, l’homme fit venir à Kinshasa des pygmées pour démentir... N’empêche, ses sbires ont beaucoup tué en Ituri, et ce n’est pas sans raison qu’on les surnommait les "effaceurs". Jean-Claude Van-dame doit se tenir tranquille (1).

Pourtant, nombreux étaient ceux qui estimaient qu’après la rencontre de près de deux heures le 13 septembre 2006 entre Kabila et Bemba, le lourd contentieux qui existait entre eux avait été appuré, à tout le moins, ils étaient parvenus à un modus vivendi. A l’évidence, ce n’est pas le cas, à la lumière des combats du 23 mars dernier. A la décharge de Bemba, on peut lui concéder que la confiance entre lui et son adversaire de président est la chose la moins partagée : "Pourquoi avez-vous essayé de me tuer ?" aurait lancé à brûle-pourpoint justement Bemba, lors de la rencontre ci-dessus indiquée ; "cessez-de me traiter de cannibale", aurait-il ajouté. "Vous ne me croirez pas, mais je vous assure que je n’ai pas voulu vous tuer... et vous aussi, arrêtez de me traiter d’étranger !", aurait répliqué le locataire du palais de marbre de Kinshasa, le siège de la présidence. Une ambiance symptômatique que la méfiance entre les ex-challengers à la présidentielle est omniprésente. Mais si donc on peut comprendre ce comportement du fils de l’ex-patron des patrons congolais, Saolana, personne ne peut épouser cette éternelle guerilla qu’il entend mener. En effet, les portes de la transition selon le 1+4 (un président, 4 vice-présidents) sont closes : un président de la République a été élu, qui est le chef suprême des armées, et il y a des institutions démocratiques qui, cahin-caha, se mettent en place ; lui-même Bemba est sénateur.

Alors pourquoi cette propension à faire le coup de feu au moindre différend politique ? Et surtout, quand Bemba pourra-t-il se mettre dans la peau d’un opposant démocrate qui utilisera les armes démocratiques pour contrer Kabila ? Il n’a que 45 ans... et tout l’avenir politique devant lui. On se pose d’autant cette question que si d’aventure, le mandat d’arrêt pour haute trahison venait à être levé, "l’impulsif Bemba" pourrait être tenté de rééditer le scénario de 1999, en se réfugiant à Gbadolité, le village d’origine de Mobutu, pour créer encore un abcès pour ce pays-continent qui essaie de sortir du long tunnel dans lequel il est plongé depuis des années.

La paix en R.D.Congo est donc surtout tributaire des actes que pose le jeune président Kabila : il n’est plus un chef de l’Etat de transition, et il est un impératif catégorique qu’il agisse comme tel. Et pour le cas Bemba, qu fait partie de la principale préoccupation, à savoir la sécurité, il doit trancher dans le vif, sous peine de continuer à perpétuer cette situation scabreuse. Kabila Junior a les ressources et surtout le tact pour cela, comme il l’a prouvé avec Laurent Nkunda, ce général rebelle qui s’était retranché avec des milliers d’hommes dans une partie du Nord-Kivu, refusant l’intégration de ses troupes au sein de l’armée nationale. Kabila a alors, avec l’aide du Rwanda, trouvé une solution intermédiaire qui a permis au général "felon" de rejoindre l’armée congolaise, sans quitter sa région et sans perdre le contrôle de ses hommes.

Bemba n’est pas le général Nkunda, mais il est grand temps que le premier magistrat de la R.D.Congolais règle ce "cas", qui perdure. Et en l’espèce, il n’y a pas 36 solutions qui se présentent à lui : soit son ex-vice-président rentre dans les rangs et agit dans une opposition constructive, soit il continue sa guéguerre personnelle, et alors, la force légale doit frapper, car c’est connu, force doit rester à la loi. Le mandat d’arrêt pour "haute trahison", dont Bemba est l’objet, ne serait alors que le début de cette coercition corrective, car un pays ne saurait être prisonnier d’un seul homme, prompt à dégainer pour satisfaire son égo personnel.

Kabila a en tout cas intérêt, en tant que président élu, à mettre un terme définitif à cette dérive "Bembeiste" ; car déjà, d’aucuns pensent qu’il n’a pas l’étoffe nécessaire pour gouverner le Congo : "Trop jeune, inexpérimenté, indolent, absence d’intelligence pratique", entend-on de la part de ses contempteurs.

Il doit donc prouver aux 55 millions de Congolais que sa "révolution morale" et son "ménage général", c’est-à-dire la lutte contre l’insécurité et la corruption, ne sont pas des propos oiseux. En gagnant ces combats, Kabila aura prouvé qu’il a réussi son quequennat et que ses compatriotes peuvent recommencer à espérer.

L’Observateur Paalga

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