LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Sénégal : Que fera Wade de sa victoire ?

Publié le lundi 5 mars 2007 à 08h54min

PARTAGER :                          

Que fera Me Abdoulaye Wade de sa deuxième victoire de l’alternance à la présidentielle sénégalaise ? Et que deviendra l’opposition, qui sort complètement morcelée du scrutin du dimanche 25 février dernier ? Les premiers éléments de réponse laissent penser que, désormais, plus rien ne sera comme avant au Sénégal.

Et à moins d’un miracle, il est à craindre pour les perspectives naguère si prometteuses de la démocratie sénégalaise, tant les propos des leaders politiques laissent perplexe.

Avec les 55,86% des suffrages que la Commission nationale de recensement des voix lui a reconnus, le président Wade devrait pouvoir conduire de manière confortable les destinées du Sénégal. Un deuxième mandat pour mener à terme le « SOPI », son programme du changement amorcé au départ d’Abdou Diouf il y a déjà sept ans. Ses adversaires crient à la fraude, mais il faut reconnaître que Me Wade, en lutteur aguerri, a réellement toujours eu les cartes en main.

Très rusé, habile manœuvrier, il a toujours su exploiter les ambitions personnelles des ténors d’une opposition en lambeaux. Véritable tribun et doué d’un charisme que très peu parviennent à lui disputer, il n’en a pas moins bénéficié de deux appuis de taille : l’argent et le pouvoir maraboutique. Ces facteurs font l’essentiel en période électorale dans un pays pauvre et fortement islamisé.

Mais ils peuvent tout aussi bien contribuer à fragiliser l’équilibre social national. Selon les résultats du scrutin, Wade et son PDS règneraient sur tout l’échiquier national. De quoi s’interroger sur l’avenir des autres formations politiques dont les leaders devraient évoluer avec au-dessus de leur tête la célèbre épée de Damoclès. Sans retenue aucune et surtout sans modestie, le président réélu n’a-t-il pas proféré des menaces à l’endroit de ses adversaires ?

Certes, les propos amers de Wade à l’endroit de son ex-dauphin Idrissa Seck semblent, de prime abord, montrer que la page est tournée entre les deux hommes. Mais ce serait faire injure à l’histoire de la politique en Afrique de croire que ces deux hommes ne se retrouveront jamais. Les suffrages ont fait de Seck un acteur incontournable qui a l’avenir pour lui. Et il faudra bien compter avec lui pour les échéances à venir.

Au-delà des diatribes à mettre sur le compte des sautes d’humeur et de la fougue qui caractérisent et rapprochent à la fois les deux hommes, il y a un tel enchevêtrement de relations entre le père spirituel et son fils maudit qu’il ne faut jurer de rien. Même si la rumeur désigne comme successeur potentiel Karim Wade, le fils du chef de l’État sénégalais, Seck se profile toujours comme un outsider hors-pair. Désormais, il a pour lui une bonne connaissance et des méandres du pouvoir et des dédales de l’opposition.

Dans son ensemble, la classe politique sénégalaise a intérêt à revoir sa copie. Le contexte actuel fait en effet peser de sérieuses menaces sur une expérience démocratique ayant toujours eu valeur d’école sur le continent. Dans le camp présidentiel, il faut sortir du bain d’autosatisfaction actuel et cesser de regarder le pays à travers les seuls prismes de la victoire.

Wade et les siens doivent vite prendre en compte les préoccupations des 45% d’insatisfaits. C’est une indication claire qu’une bonne partie de l’électorat a voté, le ventre creux ou les larmes aux yeux. Elle est donc dans l’attente. À ceux-là, il faut ajouter le lot de tous ceux qui n’ont pas voté pour une raison ou une autre.

En bon avocat, et comme pour démentir ceux qui le prennent pour un vieillard, Me Wade devra absolument gérer le pouvoir autrement, notamment en respectant davantage les libertés démocratiques, particulièrement la liberté de la presse. Le martyr qu’il a subi tout au long de son cheminement de vieil opposant doit l’inspirer et donc l’amener à admettre que tout comme les hommes politiques de notre époque, la presse africaine apprend, elle aussi, à intégrer jour après jour la culture démocratique dans ses pratiques.

Aussi les dérapages ne sont-ils pas à exclure. Et loin de résoudre les problèmes, la répression ne fera que les exacerber. Me Wade doit donc éviter de tomber dans les pièges de l’antidémocratie.

Face à ses adversaires politiques, et plus que tous, il a, aujourd’hui et encore plus demain, de nombreuses obligations. Investi de la légalité constitutionnelle et incarnant l’autorité, il doit cependant être modeste et magnanime pour mieux jouer au rassembleur puisque garant de l’unité nationale. En octogénaire à la fois pétri de sagesse africaine avec son plein de générosité et nourri aux sources de la connaissance universelle, il doit davantage faire preuve de discernement, de compréhension, de compassion même, surtout de tolérance et de savoir-agir. Le citoyen sénégalais, l’opinion africaine et la communauté internationale le jugeront comme tel. Il le sait, mais devra se résoudre à vivre avec.

De son côté, l’opposition sénégalaise, toutes tendances confondues, a intérêt à vite panser ses blessures et réorganiser ses forces. Selon toute vraisemblance, le travail effectué n’aura pas convaincu. Il y a donc lieu de faire preuve de modération dans les réactions et les manifestions. Plus que jamais, il faut éviter les provocations et s’employer à peaufiner les stratégies, surtout à la veille des élections législatives.

Dans cette perspective, les opposants doivent travailler à redorer leur blason et renforcer leur unité d’action. De Senghor à Wade en passant par Abdou Diouf, que d’opposants, devenus subitement de fervents defenseurs du système, ont tourné le dos aux principes hier défendus ! Et cela, au mépris des intérêts des masses. En particulier, l’opposition de gauche n’a pas su tirer son épingle du jeu.

Dans l’un ou l’autre cas, elle est venue aux affaires très divisée, et n’a donc pas réellement su tirer profit de ces expériences devenues, à la longue, de véritables boulets aux pieds. Entre les principes et la réalité des choses, il y a assurément du chemin à faire pour convaincre l’électorat populaire de la nécessité de l’alternance et de l’abondance de ses richesses.

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique