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Gouvernance démocratique au Faso : Les "contrevérités de la Banque mondiale"

Publié le mercredi 28 février 2007 à 07h55min

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Dans l’écrit qui suit, une militante de l’UNDD s’insurge contre le jugement de la Banque mondiale estiment que le gouvernement maintient le dialogue avec l’opposition. Pour elle, une telle affirmation dessert la démocratie et la paix.

Je suis tombée par hasard sur une étude de la Banque mondiale "Stratégie d’appui pour le Burkina Faso - juillet 2006/juin 2009", et je l’ai parcourue, comme on dit, en diagonale. Chemin faisant, j’ai été littéralement épouvantée par cette observation péremptoire : "Le Burkina a maintenant des élections présidentielles, législatives et municipales multipartisanes et le gouvernement maintient un dialogue permanent avec les partis d’opposition dans le cadre de l’Assemblée nationale". (P 14). Faux !

Oui, en lisant cette phrase, mon coeur "battit, batta", et les bras m’en tombent encore ! Je pensais qu’avec les critiques montantes dont elle fait de plus en plus l’objet, la Banque mondiale saurait en tirer les leçons. Mais que non. C’est à croire que ses envoyés au pays des hommes intègres voient les choses différemment des citoyens lambda. Serait-ce parce qu’ils sont chouchoutés par le régime qui sait y faire ou parce qu’ils défendent ainsi un de leurs élèves/gouvernants de l’ajustement structurel dont ils sont, ne l’oublions pas, les maîtres d’oeuvre ?

Je ne dis pas que les choses n’évoluent pas un peu à certains niveaux au Faso, mais il ne faut pas exagérer. Pour m’en tenir à l’aspect du document intéressant la gouvernance multipartisane et le dialogue avec les partis d’opposition, je trouve déplacées et excessives, les affirmations de l’institution financière. Son constat n’est pas conforme à l’opinion qu’on a du multipartisme, en grande partie mitigé et dénaturé par le pouvoir et de la démocratie largement dévoyée en raison notamment de l’assèchement du dialogue démocratique. Phénomène d’ailleurs partagé en Afrique où partout se disputent les questionnements sur "Comment faire pour remettre la démocratie sur les rails, comment ancrer justement ce dialogue si nécessaire à la démocratie et qui manque particulièrement entre majorité et opposition ?"

"Une sortie incompréhensible"

Le dernier Sommet Afrique/France s’est fait l’écho de ces préoccupations avec une série de manifestations organisées par les altermondialistes qui n’ont pas épargné le chef de l’Etat burkinabè. Il n’est jusqu’à la campagne présidentielle française qui ne donne l’occasion de stigmatiser ces dérives de la démocratie africaine et d’en appeler à une relecture de la politique africaine de la France. L’Union africaine elle-même, et par la voix de sa Commission, a fait le constat de l’échec des processus démocratiques en Afrique, sans estimer qu’il faille relever une exception pour le Burkina Faso. Elle a spécialement fait état du dérèglement des institutions d’Etat (dont le tarissement du dialogue est la conséquence) pour finalement en conclure à la nécessité de refonder la démocratie.

La sortie de la Banque est d’autant plus incompréhensible que précisément l’un des maux chroniques de la démocratie, dénoncé au Burkina Faso de façon récurrente par l’opposition, est le caractère factice du multipartisme et la négation des droits de l’opposition d’où découle l’absence de communication démocratique.

En tout cas, si la Banque mondiale avait un jugement équilibré, elle aurait écrit qu’il y a eu un petit dialogue en raison du drame de Sapouy, qui a permis que l’Assemblée ait une configuration pas trop détestable malgré les fraudes mais que très vite, le pouvoir se sentant plus fort, est revenu sur quasiment toutes les avancées pour tout reprendre en main : le "Tuk Guili", en somme le fameux "winner takes all", sauf que l’accaparement ici s’apparente à un rapt total et sans retour !

"Si la banque mondiale était impartiale..."

Si la Banque mondiale était impartiale, elle n’aurait assurément pas minimisé des faits aussi négateurs du dialogue que la révocation du consensus post-Sapouy qui avait permis, entre autres, d’adopter ce scrutin plus juste de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne et de la prise en compte de la région comme circonscription électorale. Elle aurait donc regretté le retour au scrutin proportionnel au plus fort reste avec l’injuste imposition de la province comme circonscription électorale ; elle n’aurait pas manqué de déplorer le refus -malgré les exigences de l’opposition- de retenir une seule pièce d’identification pour voter avec tout ce que cela entraîne comme fraudes incontrôlables...

Elle aurait encore relevé que, malgré les demandes multiples de l’opposition, le fichier électoral n’a pas été confectionné ni audité de façon contradictoire... Enfin, à défaut de souligner que les opposants à l’Assemblée ne sont pour la plupart que des figurants jouant le rôle de scribes ou de "lièvres" parlementaires, la banque de toutes les banques aurait évité d’énoncer une contrevérité qui perpétue une image fausse de la démocratie burkinabè dans le monde entier !

"Ce jugement dessert la démocratie"

Je ne dis pas ! Le multipartisme aurait pu bien marcher, le dialogue exister à l’Assemblée nationale et en dehors si le pouvoir (excusez de la dérision) qui avait pour intention d’y enfermer le débat dans un espace maîtrisé, avait su jouer de meilleure hypocrisie ; mais sa monopolisation quasi parfaite des pouvoirs constitutionnels comme de bien de structures de la société civile et politique, lui en a fait perdre de vue l’utilité.

Plus sérieusement, le dialogue aurait pu aussi exister et le multipartisme être stabilisé et consolidé si seulement la loi sur le chef de file de l’opposition avait été appliquée. Le coup d’Etat réalisé par le pouvoir en 2003 à l’ADF/RDA, premier parti d’opposition dont le président d’alors Me Hermann Yaméogo avait été jugé indocile, a tout compromis. Plus dommageable, l’incorporation par la suite de ce parti d’opposition qui s’est mué en défenseur du programme du chef de l’Etat dans le gouvernement (fait d’un colossal illogisme en démocratie majoritaire !), est la preuve ultime que ce dialogue n’était pas et n’est pas une préoccupation du pouvoir en place. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement quand on voit comment la Constitution a été régulièrement violée, la justice asservie pour assurer le règne sans partage, et la pérennisation aux affaires de ce régime d’un sournois autisme.

En définitive, ce jugement de la Banque mondiale dessert la démocratie et la paix parce qu’il constitue une prime pour la mal gouvernance.

Je me perds toujours en conjectures sur les raisons de tant de sollicitude. Mais peut-être aussi ne faudrait-il pas oublier que la Banque mondiale n’est pas une ONG de défense des droits humains mais bel et bien une institution financière qui fait certes des dons mais prête aussi et fait des profits, ce qui pourrait l’amener à soigner de la sorte sa "clientèle".

En tout état de cause, il me semblait urgent de dénoncer ces affirmations sur la fonctionnalité du multipartisme et l’effectivité du dialogue au Burkina Faso.

Que l’on m’excuse si quelque part, j’ai pu choquer par cet écrit mais il me fallait dénoncer cette imposture. Et voilà que je me sens déjà mieux.

Sans rancune !

Annouchka YAMEOGO/ STANZLER
Los Angeles, USA,
Economiste,
Graphiste et programmatrice de sites Internet,
Secrétaire générale chargée de l’économie et du développement de l’UNDD

Mail : yameogo@hotmail.com

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Vos commentaires

  • Le 28 février 2007 à 11:50 En réponse à : > Gouvernance démocratique au Faso : Les "contrevérités de la Banque mondiale"

    Tres bon article. Il y a un moment ou il faut dire la verité.

  • Le 1er mars 2007 à 11:15, par Aboubakar En réponse à : Ah Oui ! c’est dommage mais c’est ainsi.

    Le premier responsable de la commission européenne aussi avait dit la même chose ; mais ce que nous oublions souvent, c’est que :

    1 Ces personnes sont corruptibles à souhait. Ce que le gouvernement veut que ces personnes disent, c’est ce qu’elles diront pour peu que l’on fasse des ristournes conséquents sur les accords.

    2 ces personnes et institutions sont manipulables comme patains, pensez par exemple au Tribunal Pénal International qui au Rwanda sait que Kagamé est impliqué dans le génocide mais ne peut rien dire à ce propos sinon on met fin à la collaboration.

    3 Ces institutions doivent tout de même justifier leurs actions et programmes. Dire que le pays n’avance pas c’est dire qu’on y a implanté de faux projets depuis des années.

    Alors vous comprenez que ces gens doivent savoir chanter.

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