LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

L’Afrique se rappelle au bon souvenir de la diplomatie française

Publié le mercredi 21 avril 2004 à 13h00min

PARTAGER :                          

Michel Barnier,
ministre français
des Affaires étrangères

La question m’est posée dans les ambassades africaines à Paris. Quid de l’Afrique au Quai d’Orsay ? Michel Bamier, ministre des Affaires étrangères, est avant tout un "européen". Son directeur de cabinet, Pierre Vimont, est lui aussi un "européen". Le nouveau chef de cabinet, qui remplace à ce poste Nicolas Wamery, Pierre-Henri Guignard, est un spécialiste de l’Amérique latine (il a été en poste à Lima et à Mexico) ; il était d’ailleurs, auprès de Dominique de Villepin, chef adjoint de cabinet et conseiller pour l’Amérique latine.

Quant au ministre délégué, Xavier Darcos, rien dans son CV et dans son parcours intellectuel, professionnel et politique, ne laisse penser qu’il porte un quelconque intérêt à l’Afrique. Et comme il est venu rue Monsieur avec François Perret, qui était déjà son directeur de cabinet lorsqu’il était ministre délégué à l’enseignement scolaire, je persiste à croire, de plus en plus, qu’en matière de relations France-Afrique, l’Elysée l’emporte sur le Quai d’Orsay (cf LDD France 0206/Mardi 6 avril 2004).

Grâce à Dieu (ou plus exactement à Michel Vauzelle qui, en remportant l’élection en région Paca a renvoyé Renaud Muselier à son secrétariat d’Etat aux Affaires étrangères), les trois mousquetaires (Bamier, Haigneré, Darcos) sont toujours quatre et Muselier qui, sous le précédent ministre, avait affirmé : "Villepin fait tout, je fais le reste" (ce qui lui avait permis d’être le lauréat 2003 du prix Press Club, humour et politique, remporté, en 2004, par Darcos - cf LDD France 0206/Mardi 6 avril 2004), continue à ’faire le reste".

C’est donc lui qui s’est envolé pour Kigali, pour la commémoration du 10ème anniversaire du déclenchement du génocide de 1994 ! Pas la meilleure destination dans le contexte actuel (il n’y a pas, actuellement, pour la diplomatie française de capitales africaines où elle soit, véritablement, la bienvenue). Muselier s’en est vite rendu compte. Mais trop tard.

Il n’était pas nécessaire d’aller à Kigali. Il est par contre nécessaire que Paris s’explique sur la façon dont a été assurée, par la France, la gestion du drame rwandais en 1994. Se taire plus longtemps, c’est laisser les commentateurs dire tout et le contraire de tout. C’est laisser à Paul Kagamé l’usage exclusif de l’exploitation politique de ce qui a été, d’abord, un effroyable génocide qui appartient à la mémoire collective de notre humanité et non pas à quelques hommes politiques, seraient-ils même rwandais !

La diplomatie française, en Afrique, est trop souvent inexistante. Il y a, certes, ce que l’on peut appeler une politique africaine de la France, mais elle se limite à la défense des intérêts immédiats et particuliers de ses réseaux. De Villepin, en occupant le terrain, avait remis en question cette approche mais son départ, en créant un vide, va permettre très rapidement aux uns et aux autres de retrouver le chemin des capitales et des palais présidentiels. Avec la caution, plus ou moins extorquée, de l’Elysée.

Le Rwanda est l’expression de ce mélange (détonnant) des genres. Mais il y a bien d’autres incendies à éteindre, en Afrique noire, si Paris ne veut pas y perdre ce qui lui reste comme points d’ancrage. Dans le golfe de Guinée tout d’abord. Parce qu’il y a du pétrole et que les Etats-Unis en veulent la meilleure part. Les pressions sur la diplomatie française y sont fortes.

Il y a d’abord cette affaire de mercenaires qui auraient préparé le renversement du président équato-guinéen Obiang Nguema. Une affaire qui évoque, pour les spécialistes, une opération menée, voici vingt ans, dans le Cabinda tout proche. La Guinée équatoriale est une ancienne colonie espagnole qui a choisi Paris plutôt que Madrid (qui soutient le principal opposant au régime actuel) ; ce pays est membre de la Francophonie et son chef d’Etat est francophone et francophile. Mais Malabo, qui suscite bien des ambitions, est en froid avec Libreville (pour des histoires territoriales aux relents
d’hydrocarbures) et avec Yaoundé (pour des histoires d’émigration).

A Sao Tomé & Principe, également, tout comme au Nigeria, les rumeurs de tentatives de coups de force ou de coups d’Etat se multiplient. En Angola, rien n’est réglé durablement entre le MP LA et l’ Unita ; dans l’enclave de Cabinda, les indépendantistes sont redevenus actifs compte tenu de l’agitation sous-régionale. J’ajoute que le Cameroun est entré en période électorale ; la présidentielle aura lieu d’ici la fin de l’année 2004, elle risque d’être troublée.

Les relations franco-congolaises sont empoisonnées depuis de longues années par l’affaire du "Beach" : la crise a pris une nouvelle ampleur avec l’arrestation puis la libération, à Paris, de Jean-François N’Dengue, le directeur de la police nationale, accusé de "crime contre l’humanité". D’autant plus que l’on évoque l’implication de Sassou Nguesso dans des tentatives de changement de régime à Kinshasa.

C’est que le génocide rwandais a ouvert la porte à toutes les aventures et que les Hutus (qui ne manquaient pas de commanditaires) ont essaimé partout en Afrique centrale, du Cameroun au Congo, rejoints bientôt par les "mobutistes" qui, eux, se sont installés également en Afrique du Sud. L’Afrique équatoriale francophone c’est aussi le Tchad, particulièrement touché par la situation dans la province soudanaise du Darfour, et la Centrafrique où la stabilisation du régime est précaire. Il ne faut pas oublier, non plus, que la France a dû être présente, dans le cadre de l’opération "Artémis", en Ituri, province de la RDC.

Si rien ne va bien en Afrique centrale, rien ne va bien non plus en Afrique de l’Ouest. En Côte d’Ivoire, la situation ne cesse de se détériorer. Un calme précaire est revenu dans la capitale et les perspectives politiques sont difficiles à définir ; aucun des acteurs ne sait encore quel rôle il va être appelé à jouer dans les jours, les semaines et les mois à venir. Le légaliste d’hier peut devenir le putschiste de demain.

Une seule certitude : il faudra encore beaucoup de temps pour solutionner la crise ; et bien plus de temps encore pour que le pays retrouve sa stabilité, condition essentielle au retour de la croissance économique. Dont la sous-région a bien besoin.

A Ouagadougou, alors que l’élection présidentielle se profile à l’horizon, un tribunal militaire juge les présumés responsables d’une tentative de coup d’Etat dont les commanditaires, disent certains accusés, seraient d’origine ivoirienne. A Dakar, Wade a bien du mal à s’extraire d’un jeu politique trouble sur fond d’alliances et de mésalliances : on y fait trop de politique politicienne au détriment de l’action politique proprement dite. La fin de règne de Conté à Conakry s’éternise et la situation politique, économique et sociale ne cesse de se détériorer. Le Togo, frappé depuis dix ans par les sanctions internationales, est exangue et Eyadéma vit sur ses souvenirs. A Nouakchott comme à Bamako, c’est du côté de Washington et du Pentagone que les chefs d’Etat et les gouvernements espèrent des solutions à leurs problèmes, tandis qu’à Niamey et à Cotonou, c’est vers Tripoli que continuent de se porter les regards. La Guinée-Bissau, quant à elle, malgré le renversement, à l’automne 2003, de Kumba Yala, ne parvient pas à sortir du gouffre.

Tour d’horizon succint des pays d’Afrique noire qui comptent au nombre des membres les plus concernés par la Francophonie. Qui va tenir son sommet 2004 à Ouagadougou (avec à gérer, également, le dossier haïtien qui ne manque pas d’avoir une dimension africaine). C’est dire que le bilan est largement négatif et que les raisons de désespérer sont bien plus nombreuses que les raisons d’espérer. Avec un ministre des Affaires étrangères qui va s’investir pleinement dans les prochaines échéances européennes et un ministre délégué à la coopération qui "débarque" en Afrique, la question se pose effectivement : quid de l’Afrique au Quai d’Orsay ? Une seule certitude : une première réponse sera apportée, à Ouagadougou, d’ici la fin de l’année !

Jean-Pierre BEJOT
LDD (9/04/04)

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique