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Dr Moussa Sié, chercheur à l’ADRAO : "Un pays où la recherche n’évolue pas, n’avance pas"

Publié le mercredi 21 février 2007 à 07h26min

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Moussa Sié est un chercheur de l’INERA en détachement auprès de l’association pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest (ADRAO) basée (ADRAO) à Cotonou au Bénin.

Phytogénéticien de formation, il a, avec ses collaborateurs, obtenu le prix du président du Faso au VIIe Forum national pour la recherche scientifique des inventions et innovations technologiques (FRSIT). Il nous parle de son prix et des difficultés liées à la recherche au Burkina Faso.

Sidwaya (S.) : Vous avez obtenu le prix du président du Faso, présentez-nous le produit qui vous a valu cette distinction.

Moussa Sié (M.S.) : Nous avons présenté le Nerika, c’est le nouveau riz pour l’Afrique. Ce riz aujourd’hui a traversé les frontières africaines et se rencontre en Asie et en Amérique. Ce riz est le produit de la recherche d’un Sierra léonais, mais sur le côté fluvial. Mais nous, nous avons travaillé sur le côté bas-fond et irrigué car c’est la partie la plus importante pour notre pays. Le Nerika est la synthèse entre le riz africain (riz rouge) que nous avons croisé avec des variétés asiatiques pour retirer la qualité des deux variétés dans un nouveau produit.

Le riz africain est adapté à nos conditions de culture et à nos goûts ; le riz asiatique donne beaucoup mais n’est pas adapté à nos conditions de culture. Nous avons essayé de capitaliser les variétés que nous avons développées. Sur les neuf variétés, sept sont du Nerika. Comme le thème du FRSIT portait sur le transfert des technologies, ces produits nous ont valu de bénéficier de cet important prix du FRSIT.

S. : Quelle appréciation faites-vous de ce prix ?

M.S. : Comme tout prix, on est toujours fier de le brandir. Nous avons eu la chance de participer à une équipe multidisciplinaire et nous sommes une équipe qui gagne. Nous avons commencé dans les années 80 avec de grands financements du PNUD, de la FAO avec le centre d’expérimentation du riz et des cultures irriguées. A l’époque, on nous empêchait de travailler sur les variétés traditionnelles. Après ces financements, nous nous sommes battus et nous avons accumulé d’autres prix.

C’est d’ailleurs la deuxième fois que l’équipe a eu le prix du président du Faso. Au plan international, le prix de la meilleure publication scientifique avec les travaux du professeur Dona Dakuo. Ensuite un autre membre de l’équipe a reçu un prix au congrès africain du riz en Tanzanie. Récemment en Inde, on m’a décerné un prix pour le même projet et encore un autre nous a été remis par le FIDA à Rome. En avril dernier, nous avons obtenu un prix japonais.
Toutes ces reconnaissances constituent pour nous des défis plus importants à relever.

S. : Quelles sont les vertus du Nerika ?

M.S. : Le Nerika est le produit d’une recherche de 25 ans. Au départ, personne n’y croyait. Il existe d’ailleurs des publications scientifiques des années 60 qui disent qu’il faut accélérer la disparition de l’espèce africaine. En 1982 quand nous nous sommes lancés dans la prospection, personne n’y croyait. Nous avons rencontré des paysans qui tenaient à leur riz donc, le produisaient.

Ces derniers trouvent que le riz blanc se digère très vite alors que le rouge reste longtemps dans le ventre. Nous nous sommes rendus compte que les paysans cultivaient ce riz là où le riz asiatique ne poussait pas. Nous nous sommes alors demandé pourquoi ne pas continuer les deux variétés. C’est en quelque sorte, les paysans qui nous ont montré le chemin. Alors, nous avons décidé de les associer et d’exploiter leur connaissance en la matière.

S. : Qu’est-ce qui peut motiver les paysans à choisir le Nerika comme variété culturale ?

M.S. : Dans notre demande participative, nous avons intégré le genre. Dans les villages, ce sont les femmes qui sèment. Elles préfèrent les variétés qui poussent très vite et qui étouffent les herbes rapidement. En plus, nous avons effectué des tests de pilonnage et de dégustation.
Il nous faut produire un riz compétitif qui a de la qualité nutritionnelle.

S. : Quelle est l’issue réservée au Nerika ?

M.S. : En 2006, nous avons bénéficié d’appuis divers pour la diffusion. Il s’agit du projet plan d’action filière riz dans la diffusion du Nerika, le projet riz pluvial financé par la Chine et l’Association pour le développement de la riziculture en Afrique de l’Ouest (ADRAO).
Grâce à ces trois appuis, nous avons pu couvrir l’ensemble du pays. Les paysans ont semé les différentes variétés dans leurs propres champs. A la fin de cette campagne, nous allons voir quels sont les meilleurs qu’ils vont retenir. Nous allons ensuite procéder à la production de semences.

S. : Peut-on dire que vous n’avez pas rencontré de difficultés majeures dans le cadre de la vulgarisation du Nerika ?

M.S. : Notre force, c’est que nous travaillons avec les structures de vulgarisation et avec les producteurs. Nous avons associé les projets de développement et les treize directions régionales de l’agriculture. C’est grâce à ce partenariat que nous arrivons à travailler aisément. Au niveau international, nous essayons à travers l’ADRAO de mettre l’accent sur la communication.

S. : Ce prix vous a-t-il ouvert des portes ?

M.S. : Pour le moment non. Mais je pense plutôt que les prix obtenus précédemment nous ont permis de nous faire apprécier chez nous.

S. : De façon générale, qu’est-ce qui constitue l’obstacle majeur à la vulgarisation des produits de la recherche ?

M.S. : Le problème se pose en fonction des produits. Il faut que les utilisateurs y trouvent leur compte. Dans le domaine de la recherche, on part parfois de nos propres considérations. On choisit à la place des bénéficiaires au lieu de les associer. Si l’usage de votre produit lui demande un travail et des dépenses supplémentaires, il ne s’embarrassera pas.

S. : Quelle appréciation faites-vous du financement de la recherche au Burkina Faso ?

M.S. : Depuis pratiquement 2004, nous traversons le désert, les partenaires au développement interviennent dans le transfert de technologie. En quelques années, les résultats sont perceptibles ; mais si vous leur demandez de vous aider à développer une variété qui va demander 6 à 8 ans, ils ne sont pas prêts.

S. : Et l’Etat ?

M.S. : L’Etat finance le fonctionnement des structures de recherche, mais pas la recherche. Par contre, il s’engage auprès des bailleurs pour l’acquisition des fonds. Nous souhaitons que le législateur arrive à percevoir la nécessité de développer la recherche. Si cela s’avère, il votera des budgets conséquents pour la recherche. Il faut aussi que les bénéficiaires y contribuent.
La recherche cotonnière par exemple est financée à 100% par les producteurs. Sur chaque kilogramme de coton vendu, un pourcentage est réservé à la recherche.
Le Burkina importe environ 150 mille tonnes de riz par an, ce qui fait près de 25 milliards.
Si on pouvait prélever quelque chose sur chaque kilogramme de riz importé, cela nous aurait permis de nous autofinancer et de répondre aux besoins des populations.
Nous avons un retard à rattraper et il nous faut accorder plus d’intérêt à la recherche. Un pays qui ne cherche pas, n’évolue pas.

Interview réalisée par Assétou BADOH

Sidwaya

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