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Sommet France/Afrique : Retour sur la dernière messe de Chirac

Publié le lundi 19 février 2007 à 09h20min

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Une curiosité typiquement africaine : à Cannes, ils étaient en effet 48 pays présents sur les 53 que compte le continent. Une participation qui pourrait faire pâlir de jalousie tous ceux qui se démènent pour donner une âme à l’Union africaine (UA).

Mais ils sont ainsi faits, les princes qui nous gouvernent : toujours décidés à traîner les pieds lorsqu’il s’agit de donner de la substance à l’organisation politique continentale, l’UA, mais prompts à se bousculer au portillon lorsque le grand chef blanc sonne le tocsin de la palabre franco-africaine.

Mais comme on s’y attendait plus ou moins, la Guinée, qui s’est mise objectivement au ban de la communauté internationale, du fait de la boucherie humaine qui s’y déroule depuis que les populations ont crié leur ras-le-bol, était absente au sommet de Cannes. Autres absences remarquées, celles des présidents sud-africain, Thabo Mbeki ; ivoirien, Laurent Gbagbo ; et Zimbabwéen, Robert Mugabe. Si l’absence de Mbeki surprend quelque peu les analystes politiques, il n’en est pas autant en ce qui concerne les deux derniers cités.

En effet, c’est peu dire que d’affirmer que le socialiste Gbagbo entretient, depuis presque toujours, des rapports exécrables avec la droite française et particulièrement avec Chirac. L’adversité entre les deux hommes est telle que personne ne s’attendait à ce que Gbagbo honorât de sa présence cette messe franco-africaine. Le président ivoirien, qui ne souhaiterait aucunement voir, même en peinture, Chirac, ne semble demander qu’une chose : le voir quitter les affaires d’Etat au plus vite. Quant à Robert Mugabe, ils n’étaient pas nombreux à parier un dollar zimbabwéen dévalué sur sa probable venue à Cannes.

En effet, depuis l’indépendance de son pays en 1980, cet octogénaire, par sa gestion approximative des affaires de l’Etat et le déficit démocratique qu’il entretient à souhait, a fini par se mettre à dos toute la communauté internationale. Et c’est ainsi que Robert Mugabe a réussi le tour de force d’être l’un des rares hommes d’Etat africains interdits de séjour en Europe, en raison des violations répétées des droits de l’homme dans son pays où, désormais, la suivie de l’immense majorité de la population se conjugue au présent.

Et parmi les dirigeants africains dont la présence à Cannes n’était aucunement acquise d’avance, figure, en bonne place, l’Algérien Abdelazize Bouteflika, dont le pays entretient des relations tumultueuses avec l’ex-métropole, en raison du passé colonial. Hormis Bouteflika, citons le Djiboutien Ismaël Oumar Guèlleh qui, en dépit de ses démêlés avec la justice française, qui souhaite l’entendre dans l’instruction de l’affaire de l’assassinat, en 1995 à Djibouti, du magistrat Bernard Borel, est effectivement venu à Cannes.

Une autre présence et non des moindres, celle du président soudanais, Omar El Bechir, dont le régime est sous pression internationale en raison du conflit dans la province soudanaise du Darfour. C’est dire donc qu’il avait raison d’être heureux, Chirac, tant la participation était conséquente à cette grande foire de Cannes.

Mais jusqu’au bout, le successeur de Mitterrand aura laissé planer un grand suspense sur son éventuelle candidature à la présidentielle française. Passé maître dans l’art de sortir de petits mots à doses homéopathiques dans le but ultime de faire perdurer les supputations, Chirac, lors de son discours de clôture de ce 24e Sommet, confiera : "C’est mon dernier sommet pour cette année". Ce qui laisse croire qu’il pourrait être présent, en tant que président de la République, à la 25e messe franco-africaine, qui aura pour cadre le Caire, en Egypte. Pourrait-il donc être de nouveau candidat et tirer son épingle du jeu à quelques semaines de la tenue de la présidentielle hexagonale ?

Le doute est permis, car, à moins de vouloir subir une humiliation et sortir de la scène politique par la petite porte, on ne voit pas comment Chirac peut, de nouveau, se positionner, surtout lorsqu’on sait que hormis Dominique de Villepin et Jean-Louis Debré qui font de la résistance, ses principaux lieutenants ont depuis longtemps pris fait et cause pour son "ennemi intime", Nicolas Sarkhozy. Cette volonté de Chirac d’entretenir jusqu’au bout le suspense n’aura donc été autre chose qu’une boutade, que Sarkho aurait prise certainement pour une plaisanterie de mauvais goût. D’ailleurs, aucun homme d’Etat africain ne mise encore un seul franc CFA sur la reconduction du président Chirac à la magistrature suprême de son pays.

En tout cas, à entendre certains dirigeants africains bien au fait de la politique française, la retraite de Chirac ne fait plus l’ombre d’un doute. C’est dans cette logique que les présidents Blaise Compaoré et Amadou Toumani Touré diront qu’ils vont "regretter" la touche personnelle, faite de chaleur humaine, de Jacques Chirac.

C’est certainement en raison de son départ de l’Elysée que celui-ci a tenu, malgré les critiques acerbes, à défendre son bilan africain à l’ouverture du 24e sommet France/Afrique. Pour lui, "le continent noir ne sera jamais un partenaire comme un autre, et c’est pour cela que, depuis 12 ans, j’ai tenu à ce que la France accompagne les évolutions du continent dans un esprit nouveau". Mieux, Chirac revendiquera "ses liens personnels, tissés de longue date avec nombre de chefs d’Etat africains" et dira que "la France continuera de respecter les accords de défense qui la lient à plusieurs pays africains et, mieux, prendra ses responsabilités vis-à-vis de l’Afrique". Mais pourra-t-il en être toujours ainsi après son départ ?

Ici aussi, le doute est permis lorsqu’on sait que déjà, Segolène Royal, l’une des deux personnalités en bonne position pour lui succéder, s’est prononcée pour "une clarification" et, si besoin, "une renégociation" de certains des accords qui lient la France à l’Afrique. Et à quelques nuances près, la position de l’autre poids lourd de la présidentielle, Nicolas Sarkhozy, serait identique. C’est dire que le départ de Chirac tournera sans nul doute cette page jaunie des relations franco-africaines.

En attendant, Cannes aura permis, au moins, de parler de l’inextricable crise du Darfour, sur lequel un accord aura été signé, presque au forceps, entre le Soudan, le Tchad et la Centrafrique ; ces deux derniers accusent Khartoum d’aider les rébellions hostiles à leur régime ; et on sait que, de son côté, le Soudan accuse le Tchad d’attiser les braises au Darfour. A Cannes, les trois protagonistes ont donc signé un accord, même si aucun observateur ne se fait guère d’illusion sur la vraie portée de cet "arrangement amiable". Bref, à Cannes, on a dit la messe franco-africaine, tout en pointant du doigt "l’intérêt croissant des puissances émergentes (Chine, Inde, Brésil,) pour les matières premières africaines".

Comme on le voit, ce n’est pas seulement le départ de Chirac qui pourrait bouleverser l’ancestrale donne franco-africaine. Il y a aussi et surtout l’intérêt renouvelé pour le continent noir de la part de ces "puissances émergentes", dont la Chine reste, sans nul doute, la plus tenace adversaire de la France. Mais il était dit, depuis, que lorsque la Chine se réveillerait, le monde tremblerait.

C’est ainsi que face à la percée de l’Empire du milieu sur le continent noir, la vieille France tremble de toute sa carcasse. Et les Africains restent dans l’expectative, car la Chine, c’est tout de même une équation à plusieurs inconnues.

L’Observateur Paalga

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