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Etat de siège en Guinée : Derniers spasmes d’un régime à l’agonie ?

Publié le mercredi 14 février 2007 à 08h33min

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Ah, la Guinée !
Quel désastre économique et humain ! En 1958, lorsque Sékou Touré accéda au pouvoir d’Etat dans cette Afrique à l’aube des indépendances, nombreux étaient ceux qui avaient applaudi à tout rompre, tant le courage, la ferme volonté de cet homme et de son peuple de s’affranchir de toute tutelle avaient suscité beaucoup d’admiration.

Ainsi, les Africains étaient heureux, les africanistes aussi. Mais passé les euphories des indépendances, bien de Guinéens regrettaient déjà la période coloniale, tant le régime de Sékou Touré, l’une des dictatures les plus féroces de la sous-région à l’époque, sévissait et sur les corps et sur les esprits. Ainsi, de septembre 1958 à avril 1984, sous le règne de Sékou Touré, ce fut la terreur qui s’abattit sur le peuple guinéen, ce qui conduisit à un exil en masse des intellectuels qui, privés de parole, n’avaient qu’un choix : partir.

Au lendemain d’avril 1984, lorsqu’un obscur officier qui maniait approximativement la langue de Molière usurpa le pouvoir d’Etat des mains de Lansana Béavogui, tout le monde était resté dans l’expectative. Connaissant assez mal le nouvel homme fort de la Guinée, en la personne de Lansana Conté, il fallait attendre de le voir à l’œuvre. Et ses premières sorties allaient confirmer notre sceptisme, ce, d’autant plus que l’homme, qui était resté longtemps à ourdir les vrais ou faux complots, à faire les sales besognes de Sékou Touré, semblait en être la copie conforme. Avec le charisme et l’intelligence politique en moins...

Tel nous a paru Lansana Conté à sa prise du pouvoir, et c’est ainsi que nous le percevons de nos jours.

Tel un officier de la coloniale, l’homme d’Etat guinéen, bien que perclus de diabète, n’entend aucunement lâcher du lest en cédant une partie de son pouvoir, et, pis, il réprime à tout vent.

En effet, depuis le début des revendications syndicales et la chape de plomb qui s’en est suivie, environ une centaine de Guinéens ont perdu la vie. Les dégâts matériels, eux, sont évalués en dizaines de millions de dollars.

Acculé par les syndicats et la rue, le grabataire de Wawa s’était résolu à dénicher un Premier ministre. Et le malheureux élu ne fut autre qu’un homme de confiance à lui : Eugène Camara. A peine a-t-il été nommé que les manifestants redescendaient dans la rue, pour marquer leur totale désapprobation. La rue considérait cette nomination comme une insulte, ce, d’autant plus que lors des accords du 26 janvier dernier entre pouvoir et syndicats, Conté s’était engagé, entre autres, à désigner une personnalité de consensus pour diriger le cabinet.

Le nouvel appelé à la Primature était à mille lieues d’être consensuel, car jugé très proche du président Conté. Bref, les syndicats et surtout la rue n’entendaient aucunement s’accommoder de nouveau d’un autre Lansana Conté.

Et ainsi, la Guinée est à feu et à sang depuis les premières lueurs de janvier 2007. Pour mieux bâillonner ce peuple qui réclame justice, le président guinéen, à l’ombre de son manguier de Wawa, est de nouveau monté au créneau pour décréter l’Etat de siège. Habillé d’un boubou blanc avec des lunettes à grosses montures, la tête penchée sur son texte, l’homme d’Etat guinéen a difficilement débité son laïus, qui instaurait ainsi, depuis lundi dernier, un couvre-feu de 20 heures sur 24 sur l’ensemble du territoire.

"Ainsi, la circulation des personnes, des véhicules ou des biens dans les localités habitées, sur l’ensemble du territoire national, est interdite de 6h 00 du matin à 16h 00 et de 20h 00 à 6h 00 du matin", précise ce décret présidentiel. Cet état de siège prévoit également le transfert des pouvoirs normalement confiés à l’autorité civile pour le maintien de l’ordre (...) à l’autorité militaire. Par ailleurs, des perquisitions, de jour comme de nuit, sont désormais autorisées, et de sévères restrictions sur la presse sont instaurées.

C’est donc clair, en sus du diabète qui l’a cloué au lit, Conté doit être atteint aussi mentalement. Avec son diabète, il disait à qui voulait l’entendre qu’il avait mal aux pieds, mais pas à la tête. Ce qui, pour lui, signifiait qu’il jouissait de toutes ses facultés mentales.

Pourtant, après sa dernière sortie, on se rend compte que non seulement cet homme de 72 ans a mal aux pieds, mais aussi et, surtout, à la tête ; ce qui devrait le mettre à la touche de la gestion de la chose publique. Car un Etat, c’est tout de même du sérieux pour se faire diriger par quelqu’un qui ne serait pas en possession de toutes ses facultés physiques et mentales !

Véritablement, ce serait une œuvre de salubrité publique que ce grand malade de Wawa débarrasse le plancher ; ce, d’autant plus que, hormis ceux qui mangent à sa table, l’unanimité est faite depuis longtemps sur l’impératif de son départ du pouvoir d’Etat.

Chose rare, les opposants à son régime, malgré la terreur qui s’abat sur eux, n’en démordent aucunement et ont fait monter leur revendication d’un cran : ainsi, désormais, pour eux, il ne s’agit plus d’obtenir la nomination d’un PM consensuel, mais le départ pur et simple du grabataire président.

Comme nous l’avons vu ailleurs, on était en droit d’attendre qu’en Guinée aussi, pour une fois, la grande muette roule pour la démocratie et exauce les vœux exprimés par l’immense majorité de la population, en facilitant le départ, en douceur, de Conté.

Mais au lieu de cela, les hommes en armes à Conakry semblent réfléchir sur comment mieux mater les manifestants, museler la presse plutôt que de se préoccuper d’accompagner Conté vers la sortie. Et c’est ainsi qu’ils s’amusent à trouer de balles les corps des jeunes manifestants, qui ne demandent rien d’autre qu’un peu plus de liberté et de bonne gouvernance pour ce pays qui, s’il était bien dirigé, pouvait être un dragon à notre petite échelle sous-régionale.

En Guinée, c’est peu dire, la liberté de presse, la démocratie sont en péril. C’est ainsi que depuis lundi, la répression s’est accrue sur les radios FM privées qui, une à une, se sont presque tues, les plus "récalcitrantes" étant proprement saccagées, et les journalistes, amenés vers des destinations inconnues par des soldats en colère, le doigt sur la détente. Aussi, les cauchemars de la presse unique sous le règne du tyran Sékou Touré reviennent à l’esprit au galop.

Ce qui explique le black-out observé par la presse guinéenne sur ces tristes événements, car, désormais, les soldats entendent mettre à mort les manifestants. Mais à Conakry, la démesure a été atteinte et aucune reculade n’est plus possible. Avec autant de macchabées au compteur, le seul consensus qui vaille serait la mise à la touche de Conté. Car seul son départ pourrait désormais ramener la situation à la normale.

Véritablement, les puissants de ce monde, au-delà des discours de circonstance, se devaient de prendre position et d’aider Conté à sortir en douceur. Autant que sur bien d’autres théâtres du genre, la communauté internationale a un devoir d’ingérence humanitaire en Guinée. Et si on reste longtemps à tergiverser dans les salons feutrés, ce pays risque de vivre les affres de la guerre civile. C’est pour cela qu’il faut aider Conté à partir, et sauver la Guinée.

Boureima Diallo

L’Observateur

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