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Lettre ouverte à Laurent Gbagbo : "Président-historien, ne ratez pas ce rendez-vous historique de Ouaga"

Publié le lundi 12 février 2007 à 07h19min

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Pour la résolution de la crise ivoirienne, aucune voix n’est de trop. Et au moment où se pèsent à Ouagadougou les jalons d’un contact direct entre le président ivoirien et le patron de la rébellion, l’auteur des lignes qui suivent invite Laurent Gbagbo à saisir cette ultime chance de restaurer la paix et une démocratie vraie sur les bords de la lagune Ebrié.

Les séquelles de la crise ivoirienne sont encore là, comme indélébiles dans nos esprits. Il y a eu le sang de centaines de soldats, loyalistes et mutins, qui se sont entre-tués. Il y a eu le sang de victimes innocentes parfois célèbres, comme Marcellin Yacé, musicien-vedette, abattu d’une rafale dans la nuit du 19 septembre 2002. Il y a eu le sang d’un ministre (Emile Boga Doudou) assassiné chez lui aux premières lueurs de l’aube de ce fatidique 19 septembre 2002.

Il y a eu le sang du général, qui fut chef d’Etat massacré avec sa famille par un commando de nervis. Il y a la douleur ressentie encore par ces nombreuses femmes violées et la souffrance de ces pauvres gens qui ont vu brûler leur maison.

Il y a eu ces personnalités que l’on a enlevées et tuées à cause de la consonance de leur nom. Nous n’oublions pas le chef de l’opposition, cloîtré dans une ambassade , alors que la foule, dehors réclamait sa tête... En un mot, les premiers jours de coup à Abidjan furent un véritable calvaire pour bon nombre de personnes.

Comment parler d’ivoirité dans un pays multiple ?

Cela est une tragédie nationale, un drame qui dépasse la politique, les alliances, qui dépassent toutes les banalités. Le pays du vieux Félix Houphouèt-Boigny est brisé ; le territoire est coupé en deux. La République s’est divisée le long de fractures ethniques et religieuses que l’on a laissées s’installer. Aujourd’hui, le sort de la nation se règle ailleurs : à Accra, Paris, Washington, Pretoria, Addis-Abeba, et, aujourd’hui Ouagadougou. Oui, à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso, le "Pays des hommes intègres", hier accusé à tort et à travers, sans réelle preuve à l’appui, de parrainer la rébellion ivoirienne. Qui pouvait croire à cela ?

Revenons un peu dans le cours d’histoire politique ivoirienne. Le président Houphouèt a géré les contradictions ivoiriennes sans vouloir vraiment les résoudre. Pour lui, la Côte-d’Ivoire était ouverte à tous, à condition d’être gouvernée par les siens. Au bout de son destin, il a été incapable d’organiser une vraie succession. Le vieux a échoué, et sa mort a révélé l’étendue de son échec.

Après sa mort, la crise économique s’est installée progressivement. Dévorés par la soif de pouvoir, des hommes politiques ont joué avec le feu de l’ethnicisme et des clans. Comment peut-on parler d’ ivoirité dans un pays multiple, composé de communautés puissantes, où résident des milliers d’étrangers qui ont donné leur vie à la construction de ce pays ? Et où personne, justement, ne sait vraiment qui est Ivoirien.

Qu’est-ce que la nationalité en Afrique, sinon l’appartenance des hommes à un espace commun que l’histoire a délimité, souvent de façon arbitraire ? Des élites sourdes et muettes ont refusé de se parler. Certains ont cru faire de la politique en jouant au plus malin, cherchant à éliminer "les autres Ivoiriens".

Depuis 1990, et sans compter la tragédie actuelle, la Côte-d’Ivoire a connu au moins une mutinerie (1990), une tentative de coup d’Etat (1995), un coup d’Etat (1999), un massacre (pendant les élections d’octobre 2000). Dernier épisode, le désastre que le pays vit (depuis le 19 septembre 2002).

Depuis la disparition d’Houphouèt, aucune élection n’a été complètement juste, permettant de dégager un chef légitime. Laurent Gbagbo, qui fut justement le cauchemar du vieux, a certainement été élu, mais dans des conditions douloureuses, face à un général discrédité, en l’absence d’Alassane Dramane Ouattara, et avec un score minoritaire. Cela n’enlève rien à son destin.

Mais cela impose des contraintes. Porté par le vent de l’histoire, le président ivoirien aurait pu être l’homme d’une grande réconciliation nationale, le fondateur de la Côte-d’Ivoire du XXIe siècle. Oui, je dis bien le fondateur. C’est justement sur ce point que j’en venais.

Après Houphouèt, le déluge ?

Je voudrais interpeller Laurent Gbagbo qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ; en fait lui rappeler qu’il peut se rattraper en acceptant avec responsabilité de corriger ses erreurs du passé. L’erreur étant naturellement humaine. Monsieur le président, historien chevronné que vous êtes, ne laissez pas alors échapper ce rendez-vous historique de Ouagadougou, que vous-mêmes avez voulu.

Montrez-vous en sage Africain et faites savoir à votre peuple et à la communauté internationale que ce que vous teniez comme propos de manquements (excusez-moi du terme) pendant toutes ces années de guerre n’est plus valable au solutionnement de la crise que connaît votre chère nation. Le salut de la Côte-d’Ivoire passe par la bonne volonté des acteurs qui animent la scène politique ivoirienne. Monsieur le président, vous devez œuvrer pour la paix et l’instauration d’une démocratie vraie.

Grâce à la démocratie, on s’apercevra que la rivalité entre le Nord et le Sud est un faux problème. Une fois que cette démocratie sera instaurée avec la création d’une armée au service de la nation ivoirienne et non d’un clan, vous verrez, mon cher président, que cette rivalité entre Nord-Sud disparaîtra d’elle-même. Là, vous serez hissé au sommet de la gloire. Gbagbo et Soro, les Ivoiriens vous regardent. Et l’histoire retiendra de vous Gbagbo , le fondateur de la Côte-d’Ivoire du XXIe siècle.

Dans ce sens, je crois que le jour où un président ivoirien sera élu dans des réelles conditions démocratiques, il sera soutenu par tout le peuple. Et il pourra développer le pays. Une fois, un ami me dit au téléphone. Il vit à Abidjan. Il est Ivoirien. Voici ce qu’il me dit : "C’est terrible, nous ne savons plus qui nous sommes et quel avenir ces hommes politiques réservent à la Côte d’Ivoire...".

Peut-être faut-il encore y croire, lui ai-je dit. Croire que les Ivoiriens, sans exclusive, peuvent de nouveau s’asseoir à la même table, reprendre à zéro le cours interrompu de leur histoire. Sans doute, la rencontre à Ouagadougou des deux principaux belligérants ivoiriens illustre ma pensée. Cela témoigne de leur bonne foi à mettre fin à cette guerre fratricide qui n’a que trop duré.

Aux deux délégations ici présentes, je vous souhaite bon séjour et surtout bon courage. Sachez que toute la Côte d’Ivoire a les yeux rivés sur Ouagadougou dans l’attente d’une vraie et réelle réconciliation. Ne repartez pas chez vous bredouille mais plutôt repartez chez vous en ayant inscrit dans vos valises diplomatiques, ce nom : "Dar-Es-Salam" qui signifie "Terre de paix" pour tous les Ivoiriens, de toutes les ethnies et de toutes les localités du pays. Dar-Es-Salam pour bâtir une Côte-d’Ivoire qui soit la même pour tous.

Adama de R. Ouédraogo,
Etudiant/Ouagadougou

L’Observateur Paalga

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