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M. Roch Audacien D. DAMIBA, “Je ne vois pas comment un mariage sérieux peut être fondé sur ces relations qui naissent du net”

Publié le jeudi 8 février 2007 à 07h37min

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L’amour né du net peut- il prospérer ? Pourquoi de plus en plus de femmes se fient-elles au net pour chercher l’âme sœur ? Est-ce un échec des parents dans l’éducation des enfants ? Telles sont entre autres les questions que nous avons posées au spécialiste des couples, le conseiller conjugal Roch Audacien D. DAMIBA. L’homme qui n’est plus à présenter a accepté nous recevoir dans son cabinet où il exerce depuis son retour définitif du Niger. Sans détours, il a apporté des réponses à nos interrogations ; lisez plutôt.

Qu’est ce qui selon vous pousse aujourd’hui des Burkinabé, particulièrement des femmes, à rechercher l’âme sœur sur le net ?

Roch Audacien D. DAMIBA : Je pense, à mon humble avis qu’il y a un constat à faire. Le constat que je fais c’est que, les jeunes filles, tout comme les garçons n’ont plus de repères. J’entends par repères, des personnes auprès desquelles, ils peuvent aller se confier, poser leurs problèmes, trouver des orientations. C’est comme si les jeunes sont laissés à eux-mêmes.

Et puis que avoir un(e), ami(e) est légitime, j’allais dire naturel, si on n’a pas de références ailleurs, si on n’a pas de base ailleurs, et que l’Internet via le tchat semble offrir ce cadre là, eh bien, ça ne sera que la course effrénée vers cette nouvelle donne. Il y a comme un déficit de cadre où effectivement, les jeunes auraient pu se rendre, pour trouver des gens, qui puissent les conseiller, les orienter. C’est comme ça que j’explique cette soudaine course vers le net pour rechercher l’âme sœur.

Existe-t-il une différence entre cette nouvelle donne et les bonnes vieilles habitudes de drague ?

RADD : Les deux systèmes, les deux démarches ont leurs avantages et leurs inconvénients. C’est vrai, les bonnes vieilles habitudes faites de rencontres et d’échanges de lettres ne sont qu’une première étape qui ouvre une perspective de rencontre, de communication avec la personne désirée. Mais je me dis que, que ce soit par les bonnes vieilles habitudes, ou par le net, la décision finale ne peut pas s’arrêter à ce niveau, il faut un jour ou l’autre que les deux se rencontrent face-à-face, et sachent qui est réellement l’autre.

Parce que par l’écrit seul, on peut se faire des illusions. A mon avis, ce sont des démarches qui doivent nécessairement conduire à une rencontre physique. Et ce n’est qu’après cette rencontre sinon après plusieurs rencontres que l’un et l’autre pourront faire la part des choses avant de se décider.

En tant que spécialiste des couples, pensez-vous que l’amour né du virtuel peut prospérer ?

RADD : Je pense que c’est un amour qui est assez superficiel. D’abord, qu’est-ce que aimer et qu’est -ce qu’on aime chez la personne ? Ce n’est pas parce qu’elle m’envoie de très belles phrases ou des mots doux. L’amour en tant que tel doit impliquer la connaissance du caractère de l’autre. Par exemple je sais qu’avec cette personne nous pouvons bâtir une vie commune, qu’elle a des qualités que j’apprécie.

Je me demande comment par le tchat on peut dans un laps de temps connaître les qualités intrinsèques d’une personne. Je me dis que cela est un peu dangereux. En tant que spécialiste des couples, je ne vois pas comment un mariage sérieux peut véritablement être fondé sur ces relations qui naissent du net à moins que ces premiers pas ne conduisent à des contacts physiques et un temps que l’on prendra pour se connaître pour savoir qui est l’autre.

Avant de nouer une relation solide, nous avons besoin de connaître quel est notre arrière plan culturel, social, qu’est-ce qu’on a été dans le temps. Parce que, quand on épouse une personne, on épouse le tout. Je ne pense donc pas qu’avec le net on puisse vraiment arriver à cela. C’est vrai qu’on ne peut jamais connaître totalement l’autre mais il y a tout de même un minimum de paramètres qu’il faut maîtriser avant de dire ; je lie ma vie à telle personne.

Le temps d’observation fait de rencontres physiques est donc primordial dans la consolidation des couples ?

RAD.D : Ecoutez ! Je reçois dans mon cabinet toutes sortes de personnes avec des expériences diverses et j’en retiens que des gens qui se sont rencontrés et qui n’ont pas pris le temps de poser entre elles certaines questions ; de mûrir ensemble, ... c’est dangereux. J’ai vu des gens qui sont venus me dire, « je ne reconnais plus la personne que j’ai épousée en fait, je m’étais trompé sur son compte ».

Si déjà, avec un minimum de contacts, de découverte on arrive à de telles conclusions, que dire alors si cette affaire est basée sur des échanges virtuels ? Je pense donc que ce sont des relations qui aboutissent difficilement. Mais, je préfère être prudent pour dire qu’on ne sait jamais ; il se peut qu’il y ait des gens, qui par ce biais, ont réussi à fonder un foyer stable, harmonieux. Mais tout de même je pense que ce serait des exceptions qui confirment la règle.

Pensez-vous donc que les parents ont échoué dans l’éducation des enfants ?

RAD.D : C’est clair ! Pour moi, tout le problème est là. Je ne crois pas que c’est de bon cœur que les jeunes courent vers le net. C’est parce qu’à la maison, il ne sont pas encadrés. On ne leur montre pas quelle est l’importance du mariage ; à quoi ils s’engagent,... sinon ils comprendraient que ce n’est pas par le net qu’il faut courir pour chercher l’âme sœur. Je crois que quelque part, les parents ont échoué. Il y a une démission aujourd’hui et là, comme j’aime souvent le dire, "ça va nous entendre tous". Parce que, on va assister de plus en plus à des mariages disloqués et Dieu seul sait ce que ça fait quand un foyer est rompu.

Les dégâts sont inimaginables, pas seulement pour les deux, mais aussi les enfants s’il y’en a eu et même les parents. Un mariage défait a des conséquences sur au moins une dizaine de personnes autour. Ce n’est pas impunément donc qu’on s’engage avec légèreté dans le mariage. Il y a toujours des conséquences. Et pour répondre à votre question, je pense qu’il y a une importante responsabilité des parents et il faut que cela soit dit.

En tant que spécialiste, quels conseils à l’endroit des tchatcheurs et tchatcheuses qui espèrent une rencontre pour fonder un foyer ?

RADD : Encore une fois, je dis que ce n’est pas de leur faute ; c’est parce qu’ils se sentent abandonnés, qu’ils sont obligés de courir vers le net. Mais, connaissant la portée du mariage, je leur dis que ce n’est pas une base solide pour fonder un foyer. Par conséquent, ils feraient mieux de retourner aux bonnes vieilles habitudes et entre autres s’approcher des aînés. Je crois que si les aînés n’ont pas le courage de faire le premier pas vers les jeunes, c’est aux jeunes d’aller vers eux pour poser leurs problèmes. Tout dernièrement j’étais avec un jeune homme marié et avec 17 ans de mariage et il m’a dit quelque chose qui a retenu mon attention ; il a dit : « Je n’appelle plus ça ma femme, mais la mère de mes enfants ».

Je lui ai demandé quelle était la différence, et il m’a dit, qu’il était allé au village, et que les vieux lui ont dit qu’ils ne considéraient pas leurs épouses comme telles mais les mères de leurs enfants. C’est selon eux un lien plus fort, ça veut dire que les femmes ne sont pas n’importe qui, quand elles sont mères. Quand tu dis c’est ma femme, ça veut dire que c’est un autre être que tu peux balancer du jour au lendemain ; quand tu dis la maman de mes enfants, le lien est plus fort ! Vous comprenez ? Alors moi j’ai appris la leçon.

Je pense que les jeunes auront beaucoup à gagner en s’approchant des aînés voire des spécialistes tels que les conseillers matrimoniaux, les conseillers conjugaux... Ce n’est pas pour faire de la pub. En tout cas les jeunes doivent recourir aux avis des gens habilités à les conseiller car je crois que le net ne suffit pas.o

Mon expérience du tchat

Après avoir passé plus de 300 heures sur le tchat au rythme d’environ 4 heures par jour, reçu plus de 80 numéros de téléphone et une cinquantaine d’adresses e-mail de tchatcheuses, après avoir honoré une dizaine de rendez-vous, je puis affirmer sans risque de me tromper que de plus en plus de Burkinabé se fient au net pour trouver l’âme sœur. De Ouagadougou à Bobo en passant par Ouahigouya, etc. partout au Burkina où la connexion est bonne, de nombreuses femmes ou filles s’en donnent à cœur joie. Le plus souvent, les yeux de nos tchatcheuses sont tournés vers l’étranger plus précisément vers les tchatcheurs de l’Occident. Mes recherches ont démontré que pour être sûr de faire de belles rencontres, les messieurs doivent savoir se présenter : avoir un âge compris entre 30 ans et plus, vous donnera plus de chances de « séduire ».

En plus, si vous avez une situation stable, (puisqu’en général la première question que les dames posent, c’est qu’est que tu fais dans la vie) vous êtes sûr de décrocher une adresse téléphonique ou un e-mail. Avec une telle présentation, les femmes vous prennent plus au sérieux. J’ai remarqué également que bon nombre de femmes du net (pour celles qui cherchent à établir une relation sérieuse) préfèrent d’abord, sécurité oblige, échanger par mail ou par téléphone avant d’envisager toute rencontre. C’est dire donc que pour les messieurs la présentation reste très importante si vous voulez vous faire des amies et pourquoi pas des amours.

Sur le tchat, on trouve du tout. Autant les hétéros cherchent des partenaires, autant les homosexuels essaient de faire des rencontres. A côté de tout ce beau monde se bousculent aussi, les e-prostituées. Les "e-prostituées" sont des professionnelles du sexe qui ont trouvé « l’ingénieuse » idée de proposer leurs charmes aux hommes sur le net. Pour elles, le tchat est un espace sûr et discret pour tout le monde mais plus encore pour elles. « Avec le client je discute de tout avant qu’on ne se rencontre.

Il arrive même que certains me demandent de me décrire pour qu’ils sachent si je réponds à leur goût, d’autres précisent les postures qu’ils veulent, que nous adoptions une fois au lit ; nous discutons éventuellement du prix, et bien d’autres choses avant de nous rencontrer. C’est dire qu’on arrive à mieux appréhender les désirs des clients pour mieux les satisfaire », nous a confié D.M.

Dans ce fourre tout où il est difficile sinon impossible de savoir qui est qui et quelles sont les intentions des uns et des autres, la prudence s’impose pour celles qui cherchent avec sérieux l’âme sœur. A dire vrai, le tchat, c’est comme de la drogue. Plus on en « prend », plus on devient accroc et plus il est difficile de se déconnecter. Le tchat, c’est à « consommer » avec modération si on veut éviter de tomber dans le piège des relations faciles et simplistes.

Frédéric ILBOUDO


Athanase NIKIEMA : Psychologue consultant indépendant
“Goût de la facilité... manque d’affection sont entre autres ce qui pousse les femmes sur le net

Qu’en pensent les spécialistes du comportement des rencontres sur Internet ? Effet de mode ou réel besoin de rechercher l’âme sœur ? L’amour du virtuel a-t-il des chances de prospérer dans notre société ? Nous avons essayé d’avoir des éclaircissements avec M. Athanase NIKIEMA psychologue et spécialiste de comportement humain.

Nombreux sont ceux qui pensent que les problèmes du continentafricain proviennent « des singeries » que sans cesse ses fils imitent de l’occident. Des imitations en total déphasage le plus souvent avec nos réalités, nos vécues, nos us et coutumes. On ne prend pas assez le temps d’adapter les choses à nos réalités. Les TIC ne dérogent pas à cette vérité. Les rencontres sur Internet via le tchat sont l’expression concrète de cette assertion. Pour le spécialiste du comportement cette course effrénée pour les rencontres peut être analysé sous plusieurs angles. Il y a la recherche de la facilité. Une situation qui s’explique par la peur. La peur d’être rejeté par l’autre. Sur le tchat, la barrière du virtuel, permet à chacun de se préparer à dominer cette peur avant de décider d’une quelconque rencontre qu’on pourra toujours annuler. En somme, le tchatcheur détient les cartes en mains.

Qu’en est-il du cas spécifique des femmes ?« Pour ce qui concerne la présence des femmes sur le tchat à la recherche de l’âme sœur, il faut le placer sous l’angle de la déception. Certes la déception est commune, parce que présente également chez les homme. Mais, chez la femme, cela s’explique surtout par des cas de déception qui se dissimule dans la méfiance vis-à-vis des hommes. L’Internet donne alors une possibilité à ces femmes de poser des préalables qui sont ceux de la découverte de l’autre pendant un certain temps pour au moins rechercher des points d’affinités avant d’envisager toute rencontre », a soutenu M Athanase NILKIEMA.

Pour le spécialiste, d’autres femmes y vont au tchat parce qu’elles jugent que dans les bonnes vieilles méthodes de dragues elles ne trouvent pas satisfaction. « Soit parce qu’elles trouvent que les hommes viennent peu vers elles, ou bien elles considèrent que ceux qui viennent vers elles ne les satisfont pas. Par conséquent, elles s’en vont chercher ailleurs. J’ai fais une prospection sur le tchat et je me suis rendu compte que la plupart des personnes de sexe féminin qui y vont sont des sujets qui disent n’avoir pas été abordés pendant un certain temps par un homme. Ce sont des personnes qui trouvent que les hommes ne viennent pas régulièrement vers elles. Elles sont en manquent d’affection côté homme et le tchat est un moyen de pouvoir combler ce vide affectif ».

Cela peut s’expliquer aussi par une approche de la personnalité de la tchatcheuse. Ce que le psychologue appelle le déterminisme de la personnalité. « Ce déterminisme s’appuie sur l’environnement dans lequel il évolue et le milieu familial où elle se trouve joue un rôle et à sa part d’influence sur le psychisme et détermine déjà un profile psychologique en attendant que l’environnement extérieur par achève cette personnalité. C’est dire donc que les parents n’obtiennent pas de leurs enfants la personnalité qu’ils veulent d’eux. Une personnalité s’acquière à partir d’un certain nombre d’expériences vécues ».

Un amour bâti sur du sable ?

L’étude du comportement de l’individu débouche sans conteste sur la société dans laquelle il évolue. De ce fait la psychologie qui étudie le comportement de l’individu prend en compte son milieu. Le contexte socioculturel est donc un facteur déterminant dans la consolidation des relations d’amitié et d’amour des individus évoluant dans une même société.
De l’avis du spécialiste, il sera difficile pour ce genre de couple de prospérer dans leur amour au regard du contexte dans lequel ils évoluent.
Et d’affirmé : « Je vois mal des gens qui se sont rencontrés sur Internet aller dire à leurs parents l’origine de leur rencontre, ils seront gênés.

De la même manière qu’une fille n’aimera pas qu’on dise le jour de son mariage qu’on la rencontre sur la route, de cette même manière, elle n’aimera pas qu’on dise que la rencontre s’est faite sur Internet. Et je ne vois pas comment leurs parents de cette fille pourront comprendre et même tolérer cela. C’est dire donc que c’est un couple qui va s’engager en se voilant la face en évitant de dire la vérité sur leur rencontre. Et comme vous le savez, tout ce qui se construit dans le mensonge a peu de chance de prospérer »

Un danger pour notre société

Le mariage en Afrique de façon générale et au Burkina en particulier est une affaire de famille. Il va au delà des deux individus qui se sont vus, qui se sont aimés et qui ont décidé d’unir leur destin. C’est dire donc que c’est un évènement à prendre avec le plus grand sérieux.

Au-delà du danger que constitue l’Internet avec les prédateurs que sont les maniaques sexuels et autres proxénètes à l’affût avec des propositions alléchantes, pour le spécialiste, le danger va plus loin que cela : « Les rencontres sur le net, si elles prennent de l’ampleur pourraient à terme provoquer une grave fracture sociale. Au niveau des individus, l’incompréhension et le déphasage avec nos réalités sociales feront qu’en eux-mêmes ils ne pourront pas construire vraiment quelque chose de consistant à partir de leur union ce qui va causer une rupture sociale à partir du moment donc où ce phénomène prendra de l’ampleur, ce sera la déchéance de la société ».

Savoir raison garder, mûrir sa réflexion, se projeter dans le futur et se questionner sur l’avenir d’un couple fonder à partir des rencontres faites sur le net, telle est la réflexion que lance M. NIKIEMA à toutes celles et à tous ceux qui pensent que leur bonheur se trouve sur le net. A chacun donc de se faire sa propre opinion et savoir quel genre de foyer il veut bâtir pour lui-même et pour sa progéniture. Ce foyer sera-t-il en phase avec nos valeurs sociales et culturelles ?

Par Frédéric ILBOUDO

L’Opinion

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