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Père René Guirma : Avec quels yeux regarder l’abbé Pierre ?

Publié le jeudi 8 février 2007 à 08h03min

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Le père René B. Guirma analyse, ici, en profondeur, la vie, l’oeuvre et la foi de l’abbé Pierre, qui ont fait son "extraordinaire action et sa réussite humanitaires".

Ceux qui suivent les événements du monde en adultes, qui veulent être quelque peu lucides devant la marche du monde connaissent l’abbé Pierre, qui vient de mourir. Les plus vieux, surtout les prêtres et les religieux, se souviennent de la manière dont ce prêtre capucin, qui fut un résistant sous le régime de Vichy, a aidé des Juifs à échapper à la terreur nazie. Il a secoué la France, justement en 1954, en faveur des pauvres par l’alerte qu’il donna dans ce cri d’angoisse : « Au secours ! Une femme vient de mourir gelée. » La réponse à cet appel à la charité, a été l’origine de l’œuvre d’Emmaüs qui fait l’admiration de tout le monde et la fierté des Français.

Ce prêtre capucin fut pour moi, grand séminariste puis prêtre, ma fierté catholique. Il était à mes yeux l’émule des saints Jean Bosco et des saints Vincent de Paul qui a fondé les Sœurs de la Charité, très connues pour leurs services sociaux dans les hôpitaux. Il a tenu la vedette et fut l’enfant chéri des sondages en France. Personnalité de taille, il a rendu visite à Jean-Paul II, et, dans l’Eglise, osait exprimer ses opinions libres et sa conduite pour le bénéfice, sans doute selon son désir de missionnaire, du plus large public.

Il vient de mourir et l’actualité a braqué ses lumières sur les hommages qu’on lui rendait. L’archevêque de Paris, et le président de la République en tête, le haut monde était autour de son cercueil pour entendre la messe célébrée à Notre-Dame de Paris pour lui et, sans doute aussi, en son honneur. Eh bien ! la question se pose : avec quels yeux regarder tout cela et le sort de ce prêtre dans l’au-delà invisible ?

Avec quels yeux regarder l’abbé Pierre et sa mort ? C’est le sage philosophe qui peut bien poser la question et y répondre le plus profondément. Et c’est le philosophe croyant qui peut apporter la meilleure réponse avec le plus de lumière pour la plus grande satisfaction. La réponse finale reviendra au théologien mystique et, à l’occasion, l’appui d’une personne de charisme confirmera sa réponse. Et les visions et les réponses des uns et des autres ont la plus grande importance, la plus grande utilité de tous dans la vie que nous vivons. Les visions de tous entrent dans la culture, c’est-à-dire les habitudes religieuses et les coutumes, et alors une culture qui devrait être un chemin de salut et non de perdition.

Le biographe de l’abbé Pierre, qui le connaît de très près, profondément et dans les détails, a élaboré sur celui-ci une vision exacte et correcte, selon la mentalité moderne du biographe. Sur RFI, il a évoqué ce que fut l’abbé Pierre, son œuvre humanitaire admirable qui procède d’une grande charité, sa vie religieuse ecclésiale dont l’obéissance et le vœu de chasteté ne furent pas sans faille, sa foi et sa vie chrétienne. Il n’a pas évoqué son opinion favorable pour les prêtres mariés et les femmes prêtresses, la liberté avec laquelle il avait demandé à Jean-Paul II de démissionner parce qu’il était trop vieux. Mais certainement il ne les ignore pas. L’évocation qu’il a faite de l’affection de l’abbé Pierre pour un autre jeune garçon de sa génération, n’est certainement pas pour déplaire aux homosexuels et cela va dans le sens de la naturalisation de cette déviation humaine. Déviation selon la vision judéo-chrétienne biblique.

La mentalité moderne veut naturaliser cette tendance homosexuelle. C’est selon la mentalité moderne que le biographe, en évoquant la confession que l’abbé Pierre a faite de la relation qu’il a eue avec des prostituées, a dit que de ce manquement au vœu de chasteté de la religion « tout le monde s’en fout ». Pour ce moderne triomphaliste, ceux qui n’admettent pas sa vision des choses n’existent pas. Et la conclusion, pour lui, est qu’il faut béatifier l’abbé Pierre. Nul doute qu’à son avis il faudrait introduire sa cause de béatification.

La notion et le sens de la sainteté

Cette vision des choses et cette attitude procèdent d’une mentalité qui veut, de l’intérieur, puisqu’ils se disent chrétiens, changer, dans la religion catholique, la notion et le sens de la sainteté et de la réalité du monde contre ceux de la mentalité dite traditionnelle de la religion et de la philosophie. Pourquoi tout le monde, l’archevêque et le président de la République en tête, s’est retrouvé autour du cercueil de l’abbé Pierre, croyants et athées tous ensemble ? C’est qu’une valeur fondamentale les a tous rassemblés : l’Homme en son humanitarisme !

L’extraordinaire action et la réussite humanitaires de l’abbé Pierre, cette victoire sur la pauvreté que veut combattre les idéologies de gauche. Ce qui constitue le point central de la réflexion et de l’enseignement social de Jean-Paul II auquel a succédé Benoît XVI, c’est bien l’homme. Aussi la base philosophique de Jean-Paul II est-elle personnaliste, existentielle. La doctrine évangélique ne met-elle pas en tête la charité ?

Aussi bien ce qui valorise l’action politique et sociale du chrétien laïc ou ecclésiastique, est-ce le combat contre la pauvreté par les œuvres humanitaires, le développement économique et une bonne action ou politique de répartition des biens. Si nous voulons exceller dans la mentalité moderne et mériter ses louanges, nous n’avons qu’à exceller en ces valeurs humaines.

Mais cette vision des choses, avec l’homme au centre, peut manquer de relief pour être borgne, si elle ne considère que l’homme en sa vie sur cette terre et ses droits économiques et humanitaires.

La raison uniquement en ses sagesses les plus hautes que sont les philosophies les plus profondes aboutit à ne trouver qu’absurdité dans la vie et le monde. La vision humanitariste du biographe de l’abbé Pierre demande la béatification de celui-ci. Le croyant catholique orthodoxe voit autrement les choses. Oui, on a pu entendre la messe solennelle célébrée à Notre-Dame de Paris en présence des plus hautes personnalités ecclésiastiques et civiles.

A mes yeux, il y a une dissonance alarmante dans tout cela. J’eus voulu, en effet, que l’abbé Pierre, au lieu d’être récupéré par des gens comme les Bernard Kouchner, soit comme les Mère Teresa, fondatrice de famille religieuse dans la ligne de son charisme, un véritable triomphe de l’Eglise rayonnant de la sainteté des saint Vincent de Paul, saint Jean Bosco et, donc, susceptible d’être présenté comme un modèle de tout chrétien.

S’il a péché et que cela soit confessé en public, qu’on voie en lui le modèle du pécheur profondément repentant devant l’Eglise et Dieu. Qu’il soit un fils soumis de l’Eglise, Corps du Christ. Le Christ qu’il respecte en sa haute hiérarchie qu’est le pape et ses positions dogmatiques. Au lieu de se présenter comme un frondeur avec son franc-parler sur la question du sacerdoce et de la morale.

Et, sans modestie, oser demander au pape pourquoi, tout vieux qu’il est, il ne démissionne pas. Il rejoignait par là les menées peu orthodoxes de certains cardinaux et évêques. En voyant cette admiration universelle et en entendant cette proposition de canonisation, comme pour Mère Teresa, il est clair que si l’Eglise profonde et en sa tête acceptait cela, ce serait le changement du sens de la sainteté et donc de la morale.

Et cela est bien dans le sens de ceux qui travaillent à laïciser l’Eglise de l’intérieur par la valeur de l’humanitaire qui rejoint la charité prônée par l’Evangile, mais d’une façon ambiguë parce qu’ils amputent cette charité de la foi religieuse qui nous lie avec la transcendance, l’invisible. Ces considérations doivent nous donner des inquiétudes sur la perfection de l’abbé Pierre et nous pousser davantage à prier pour lui.

J’en étais à ces réflexions lorsque je reçus, de France, un coup de téléphone. Une personne m’informa de ce qu’elle avait appris. Il y a, en Allemagne, une voyante dont le charisme la met en relation avec les âmes du purgatoire. Elle est en règle avec son évêque et ses prêtres. Cette voyante a reçu la visite de l’abbé Pierre, qui est en un bien mauvais endroit au purgatoire, parce que, durant sa vie, il a fait des choses qui ne convenaient pas, et il demande des messes pour sa délivrance.

Cela me rappelle cette autre voyante qui a reçu la visite de Teilhard de Chardin, venu lui demander qu’on célèbre pour lui les Six Saintes Messes pour le délivrer du purgatoire. Ce jésuite célèbre fut un penseur très admiré, même aujourd’hui, par beaucoup. Il fut un de ceux que Pie XII avait frappés dans les années 1954 pour ses idées sur l’Eglise. Et sa théorie philosophique, en fait, a un grave défaut, mais elle est géniale. C’est un peu comme un Hegel, le grand génie philosophique dont le système est parfait, mais a seulement le défaut de donner subrepticement à la raison humaine la puissance divine qu’elle ne saurait avoir. En fait, c’est le dogme de la Trinité qui l’a inspiré, seulement la profondeur divine ne peut pas être mise en système par la raison humaine.

Eviter le purgatoire

Ces événements rappellent quelque peu l’histoire qui valut à l’Eglise Saint-Bruno et son Ordre des Chartreux. C’est l’histoire d’un nommé Raymond Diocrès, grand professeur renommé et admiré de la Sorbonne, mort il y a 975 ans, en 1082, à Paris et dont on célébrait les funérailles à Notre-Dame (cette cathédrale ne date pas d’aujourd’hui). Durant les cérémonies, lorsque les paroles rituelles du psaume furent prononcées : « Répondez-moi, de combien de péchés et d’iniquités ne suis-je pas chargé... » Une voix sépulcrale se fit entendre au-dessous du drap mortuaire, disant : « Par un juste jugement de Dieu j’ai été accusé. » On souleva immédiatement le drap mortuaire pour trouver le cadavre immobile et froid.

Avec une certaine inquiétude la cérémonie interrompue reprit. Quand on arriva encore au même verset, le cadavre se dressa devant tout le monde et s’écria d’une voix plus forte : « Par un juste jugement de Dieu j’ai été jugé. » Devant l’épouvante de tous, quelques médecins s’approchèrent du défunt retombé dans son inertie et constatèrent qu’il était bien mort. Cependant, on n’eut pas le courage de continuer la cérémonie ce jour-là, on la remit au lendemain.

Les autorités ecclésiastiques ne savaient trop quelles mesures prendre pour sortir d’une telle impasse. Les uns disaient : « Il est damné, il n’est pas digne des prières de l’Eglise. » D’autres alléguaient qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour conclure que le professeur était damné. Il avait dit seulement qu’il avait été accusé et jugé. L’évêque lui-même se rangea à cette dernière opinion et la cérémonie reprit le lendemain.

Au même verset : « Répondez-moi... » De nouveau, le cadavre se dressa et s’écria : « Par un juste jugement de Dieu j’ai été condamné à l’enfer pour toujours ! » Devant cet aveu, la cérémonie s’arrêta et l’on ôta le cadavre pour aller l’ensevelir en dehors du cimetière commun. Saint Bruno, très impressionné devant cette histoire de son ancien professeur, très admiré, tombé en enfer, partit vivre en ermite, fondant ainsi les Chartreux.

Les trois histoires de nos prêtres modernes sont bien moins tragiques, bien qu’elles doivent nous faire frissonner. Si le purgatoire nous laisse l’espoir certain de déboucher dans le paradis, il n’en est pas moins terriblement douloureux, donc à éviter, autant que possible. Et la leçon est que nous avons besoin de l’œil de la foi, des mystiques et des voyants, pour voir exactement la réalité de la vie actuelle et future que les lunettes déformantes de notre raison pécheresse tendent à nous montrer autrement. Nous avons vu des chefs d’Etat puissants et riches qui ont vécu des dizaines d’années devant l’œil envieux de leurs concitoyens et du monde.

Cette longévité heureuse peut même être une centaine d’années, que vaut cela, surtout une fois passé, devant les milliards d’années lumières de l’Eternité ? Et ce sont des grâces que Dieu fait aux hommes par ces révélations auxquelles bien des gens préfèrent les fables des journaux et des bandes dessinées. En conclusion, le croyant catholique demandera de redoubler de prières pour l’abbé Pierre, pour l’Eglise et le monde.

Père René B. GUIRMA OP

Le Pays

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