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Le cinéma africain, une activité en sursis !

Publié le mardi 6 février 2007 à 07h47min

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Dans moins de trois semaines, l’Afrique a rendez-vous à Ouagadougou pour célébrer le 7e art. Une occasion aussi de se pencher sur un secteur à la santé précaire.

La capitale burkinabè accueille du 24 février au 3 mars 2007 la vingtième édition du Festival panafricain de cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) sous le thème « Cinéma africain et diversité culturelle ». Un rendez-vous idéal pour les cinéphiles de voir les meilleurs films récemment produits sur le continent africain, et pour les professionnels du 7e art et de l’audiovisuel, l’occasion de se retrouver en famille et de réfléchir sur l’avenir de leur métier.

Il y a urgence car l’état des lieux du cinéma africain est loin d’être reluisant et son avenir incertain face aux problèmes tels que la fermeture des salles de cinéma, l’inexistence de circuit de distribution, le développement de la piraterie à l’état industriel, et la quasi absence des films africains dans les grands festivals internationaux.

A bien des égards, le Fespaco est l’arbre qui cache la forêt. Dans de nombreux pays d’Afrique au sud du Sahara, la disparition des salles de cinéma est devenue un phénomène irréversible face auquel pouvoirs publics et professionnels semblent désarmés. Des les années 70, le Cameroun comptait près de 130 salles, il n’en reste que 4 aujourd’hui par ailleurs surdimensionnés et qui ne répondent pas aux attentes du cinéphile en terme de confort d’image et de son.

Au Congo Brazzaville, hors mis le Centre culturel français, aucune salle ne fonctionne encore ; elles ont toutes été vendues aux églises du Réveil, ces sectes qui prospèrent un peu partout sur le continent proportionnellement à l’augmentation de la misère de la population. Au Sénégal, sur 52 salles disponibles en 1980, il n’en restait que 22 en 2002 tandis qu’en Côte d’Ivoire, une quarantaine de salles ont fermé entre 1995 et 2002. Même le Burkina, « terre de cinéma » ne fait pas exception à la règle : entre 1995 et 2002, une dizaine de salles se sont transformées en dépôt de marchandises !

Côté production, il n’y a pas non plus de quoi pavoiser. Le Maroc à lui seul produit par an plus de longs et de courts métrages que l’ensemble des pays subsahariens. Quant aux circuits de distribution, ils ont disparu suite à la privatisation-liquidation aux débuts des années 80, des sociétés nationales de production et de distribution (Sonacib au Burkina, Sidec au Sénégal, Onaci au Congo... ). Il est beaucoup plus facile de voir un film africain sur les écrans européens qu’en Afrique. Que faire ?

Le Consortium interafricain de distribution cinématographique (CIDC) ayant été vite enterré en 1985 seulement 6 ans après sa création, l’alternative pourrait venir du privé d’autant que les pouvoirs publics se sont désengagés de certains secteurs dits « non rentables » dont le cinéma. La mise sur pied d’un réseau de distribution par des investisseurs privés permettrait aux cinéphiles africains d’avoir accès aux films dès leur mise en circulation sur le marché international.

Car, contrairement à une idée reçue, le cinéma est une activité rentable dans les pays où le secteur est bien organisé. L’expérience positive du groupe sud-africain Nu-Metro dirigé par des gestionnaires compétents et qui contrôle toute la chaîne de production et de distribution des films au Nigeria -ce qui a l’avantage de limiter la fraude- en est une parfaite illustration.

L’industrie du cinéma est une affaire assez complexe pour qu’on la confie à des cinéastes qui n’ont, en réalité qu’une vision artistique de la gestion. « Il ne s’agit pas de quémander des subventions aux Etats, mais de leur demander de mettre en place une réglementation qui favorise l’émergence d’un marché formel, notamment le marché des salles de cinéma, de la vidéo, de la télévision et de l’Internet », explique un producteur.

Des statistiques fiables permettraient de canaliser les flux financiers dont une partie, prélevée sous forme de taxes, servirait à financer l’ensemble du secteur. En France, le Centre national du cinéma (CNC) soutient la production, la distribution, la modernisation des salles et des laboratoires grâce à une taxe dite Taxe spéciale additionnelle (TSA) prélevée sur chaque billet d’entrée.

D’où l’urgence pour les professionnels du cinéma africain de parvenir à une transparence dans toute la chaîne de production et de distribution en traquant la fraude. « Il n’est pas rare de voir 200 personnes dans une salle alors que l’exploitant n’a déclaré que la moitié. Or, l’auteur, le producteur, le comédien et le distributeur sont rémunérés sur un pourcentage lié aux recettes », s’indigne un cinéaste.

Une chose est sûre, si dans les années post-indépendances, les Etats africains voyaient dans le cinéma le moyen de passer des messages politiques, aujourd’hui c’est sur la télévision que les gouvernants portent le plus leur attention. Au moment où l’Unesco appelle les Etats à signer la convention sur la diversité culturelle adoptée en octobre 2005, les Africains continueront-ils d’être de simples « consommateurs d’images cinématographiques et télévisuelles conçues et produites par d’autres » ou se donneront-ils les moyens de produire et diffuser leurs propres images, reflets de leur histoire et de leurs traditions ?

Joachim Vokouma,
Lefaso.net

P.-S.

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