LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Djibrill Yipènè Bassolé, ministre de la Sécurité, discret et déterminé représentant de Blaise Compaoré dans le "dialogue inter-ivoirien" (1/3)

Publié le mardi 6 février 2007 à 08h48min

PARTAGER :                          

Dacoury-Tablé, Sidiki Konaté et Djibril Bassolé

Dans le "dialogue inter-ivoirien" qui vient d’être instauré entre Abidjan et Ouagadougou, c’est Djibrill Yipènè Bassolé qui va être le représentant du chef de l’Etat burkinabé, Blaise Compaoré. Il aura pour interlocuteur, du côté ivoirien, Désiré Tagro.

Ce magistrat, ancien directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur Emile Boga Doudou (victime, du côté gouvernemental, du coup d’Etat du 18-19 septembre 2002), puis ministre de la Justice, conseiller juridique et porte-parole de Laurent Gbagbo, n’est pas une figure de premier plan de la scène politique ivoirienne ; son profil est bien plus celui d’un haut fonctionnaire que d’un militant ou d’un homme de l’ombre.

Bassolé, lui, est rodé depuis longtemps aux négociations délicates. Il connaît d’ailleurs Tagro de longue date. Selon le témoignage de Lida Kouassi, ministre de la Défense lors du coup d’Etat, Boga Doudou était à Paris le mercredi 18 septembre 2002 où il avait rendez-vous avec Bassolé. Ce n’est qu’à la fin de la journée qu’il sera de retour dans la capitale ivoirienne ; il sera assassiné dans les premières heures du jeudi 19 septembre 2002. Les entretiens entre Bassolé et Boga Doudou avaient porté sur la situation à Abidjan, les rumeurs d’une tentative de coup d’Etat étant plus qu’insistantes depuis l’assassinat à Ouagadougou, à la fin du mois de juillet 2002, d’une personnalité politique majeure : le docteur Balla Keita.

C’est dire que Bassolé n’est pas un nouveau venu dans le jeu politique burkinabé ; pas plus qu’il ne l’est dans les relations entre Ouagadougou et Abidjan. Originaire de Didyr, petite agglomération au-delà de Koudougou, Bassolé a été formé au sein de la Gendarmerie (au Maroc, en Côte d’Ivoire puis en France) ; il va y vivre les années de la "Révolution". Mais il est trop jeune encore pour y occuper une place prépondérante.

En 1987, au moment de la "rectification", il est lieutenant de gendarmerie. Alors que les organisations et les structures dites "révolutionnaires" pullulent dans la capitale, la gendarmerie va jouer un rôle essentiel dans le retour à une situation républicaine aussi normale que possible. Il faut "faire le ménage", sécuriser l’Etat, restaurer la justice et l’ordre qui avaient été confiés à la rue au temps de la "Révolution".

Vingt ans se sont écoulés depuis. Bassolé a fait du chemin, gravissant les échelons de la gendarmérie : officier supérieur (il a le grade de colonel), chef d’état-major de la gendarmerie burkinabé. Il va faire la preuve de son efficacité en contenant sans dommages irrémédiables les incessantes et massives manifestations organisées contre le pouvoir à la fin des années 1990 au lendemain de l’assassinat (13 décembre 1998) du journaliste Norbert Zongo. Il va entrer alors au gouvernement comme ministre délégué à la Sécurité, un portefeuille créé pour l’occasion qui, très rapidement, deviendra un ministère à part entière.

Militaire, gendarme, ministre, Bassolé va se retrouver à la confluence de tous les "services" burkinabé et prendre rapidement conscience de l’urgence qu’il y a, pour le pays, à se doter d’une agence nationale dont l’activité unique soit la recherche et le traitement du renseignement. D’autant plus qu’après "l’affaire Zongo", puis "l’affaire Balla Keita", il va être aussitôt confronté à "l’affaire ivoirienne". On l’a vu, le mercredi 18 septembre 2002, il s’entretenait avec son homologue ivoirien de la situation qui prévalait à Abidjan.

Le diagnostic de Blaise Compaoré est alors clair et net : "Ce conflit est purement politique. Il couve depuis deux ans sur fond de crise économique. En 2000, Laurent Gbagbo a rempoté les élections en excluant de la compétition ses principaux concurrents, qui représentaient 80 % de la population [...] Pour conserver le pouvoir, Laurent Gbagbo joue la déstabilisation interne et tente d’exporter ses problèmes, quitte à torpiller l’unité ouest-africaine" (Figaro Magazine du samedi 16 novembre 2001).

Quelques semaines plus tard, le jeudi 5 décembre 2002, j’ai, à Paris, un entretien avec Bassolé (cf. LDD Burkina Faso 06 et 07/Mardi 17 et Mercredi 18 décembre 2002). Il m’exprime pleinement, alors, son inquiétude. "Les uns et les autres, me disait-il alors, ont été trop loin pour s’arrêter en chemin". Il n’entendait pas choisir entre Gbagbo et les "rebelles" (on disait alors les "mutins"). Selon lui, le chef de l’Etat ivoirien voulait se maintenir au pouvoir "sans pour autant tirer les leçons des événements qui viennent de se dérouler". Or, soulignait-il, la victoire de Gbagbo, dans ces conditions, serait "la victoire de l’ivoirité". Inacceptable pour Ouaga. "La Côte d’Ivoire, me précisait Bassolé, est ce qu’elle est grâce au Burkina Faso. C’est un pays qui s’est formé par le peuplement extérieur et dont la mise en valeur des richesses a été assurée par les Burkinabé. Qui n ’est pas Burkinabé, en Côte d’Ivoire, dès lors que l’on visite les plantations de café ou de cacao ".

Il estimait, par ailleurs, que la victoire des "rebelles" serait porteuse d’incertitudes. "Qu ’en serait-il de la nécessaire période de transition permettant la réinstauration d’un régime réellement démocratique ?". Soulignant que "tout est possible maintenant", Bassolé appelait de ses voeux un "homme nouveau avec des espoirs nouveaux, bannissant l’ivoirité, instaurant un régime de stabilisation du pays, de pacification dans la concorde nationale ". Or, soulignait-il de manière particulièrement prémonitoire, la Côte d’Ivoire risque fort de sombrer dans le "ni guerre-ni paix", une "situation de méfiance" au cours de laquelle "aucun investissement et aucune action de développement ne pourraient être entrepris".

M’ayant rappelé que l’intégration Côte d’Ivoire-Burkina Faso était essentielle à la sous-région, il soulignera que c’est dans cette voie qu’il faut avancer : "// faut arrêter le processus de désintégration de l’axe Abidjan-Ouagadougou. C’est cela qui est, fondamentalement, notre préoccupation. Ce n’est pas un problème de personne. Le débat qui doit être engagé, c ’est celui qui porte sur l’intégration entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Et il se situe bien au-delà du dossier Alassane Ouattara dont Gbagbo a fait une pomme de discorde ".

Bassolé ne manquera pas de souligner le bon comportement de l’opposition burkinabé à cette époque (non pas que les choses aient changé depuis, bien au contraire, mais je rappelle que, par la suite, Bassolé sera aux prises avec "l’affaire Yaméogo ", Hermann Yaméogo ayant cherché du côté d’Abidjan une crédibilité politique dont il ne jouissait plus chez lui - cf. LDD Burkina Faso 044 à 048/Lundi 11 à Vendredi 15 octobre 2004). "Lucidement, me disait-il, l’opposition n’exploite pas la question ivoirienne pour mettre en cause la politique gouvernementale. Il y a une quasi unanimité en la matière. La crise ivoirienne consolide la cohésion nationale. Mais si le président Compaoré, qui s’efforce de temporiser, se décidait à être plus agressif, il serait applaudi par les Burkinabé. C’est que la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo en fait un peu trop contre le Burkina Faso. Mais le chef de l’Etat a choisi d’avoir une gestion rationnelle de la crise ivoirienne et d’agir de façon graduée".

Ce qui préoccupait alors Bassolé, c’étaient les actions de déstabilisation qui pouvaient se multiplier dans le sillage de la crise ivoirienne. Certes, en la matière, il ne confiait pas totalement le fond de sa pensée. Mais, Gbagbo n’ayant plus "aucune autorité", toutes les aventures (y compris les pires) étaient possibles. Il craignait moins "les Etats" que les "groupes d’intérêt" (c’était le temps du recrutement des "Patriotes" tandis que les "escadrons de la mort" sévissaient à Abidjan contre les "opposants") qui pouvaient trouver dans la déstabilisation profonde de l’Afrique de l’Ouest de nouveaux gisements d’enrichissement frauduleux. Cet entretien a eu lieu, je le rappelle, le jeudi 5 décembre 2002. Tout était encore possible en Côte d’Ivoire. Le meilleur comme le pire. Ce sera le pire.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Tidjane Thiam en successeur de Henri Konan Bédié. Jusqu’où ?
Côte d’Ivoire : Robert Beugré Mambé nommé Premier ministre
Côte d’Ivoire : L’étrange destin de Marcel Amon Tanoh