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Jean-Baptiste Natama, secrétaire permanent du MAEP : « La gouvernance est le fait de tout le monde »

Publié le samedi 3 février 2007 à 08h37min

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Jean-Baptiste Natama

Au sommet de l’Union africaine, les chefs d’Etat et de gouvernement devaient se pencher sur le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) et décortiquer l’exemple Sud-africain. Contre toute attente, cette rencontre n’a pas eu lieu.

Jean-Baptiste Natama le « patron » burkinabè du MAEP, qui était à Addis Abeba, et que nous avons rencontré, donne les raisons de la non-tenue de cette rencontre. Nous avons profité pour davantage comprendre le (MAEP).

Sidwaya : Monsieur le secrétaire permanent du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, pour le Burkina (MAEP) vous êtes à Addis Abéba pour prendre part au sixième forum des chefs d’Etat et de gouvernement des pays participant à ce rendez-vous. Pouvez-vous nous dresser les grandes conclusions issues de cette rencontre ?

Jean-Baptiste Natama (JBN) : Ce forum s’est effectivement tenu hier 28 janvier. Il était prévu initialement que les chefs d’Etat et de gouvernement procèdent à la revue des pairs du rapport d’évaluation de l’Afrique du Sud. Mais il s’est trouvé que le document présenté n’était qu’un projet de rapport. Les chefs d’Etat ont donc estimé qu’il n’était pas opportun qu’ils se penchent sur un projet de rapport. Conséquence, ils ont plutôt décidé de renvoyer l’examen de ce projet de rapport au prochain forum.

Ce serait certainement un rapport définitif qui sera présenté sur la situation de la gouvernance en Afrique du Sud. Par contre, le forum était une occasion pour les trois premiers pays qui ont été évalués, c’est-à-dire le Ghana, le Kenya et le Rwanda de soumettre des rapports d’étape sur la mise en œuvre de leur programme d’actions nationales respectif. De telle sorte que les chefs d’Etat puissent avoir une idée sur les progrès réalisés dans la mise en œuvre de leur programme d’actions nationales.

Mais qu’ils sachent également quels sont les problèmes qui se posent, quelles sont les difficultés que ces trois pays rencontrent dans la mise en œuvre de ce programme national. Grâce à l’examen de ces rapports, les uns et les autres ont une idée assez exhaustive et l’on perçoit les domaines qui peuvent aussi concerner les autres pays qui n’ont même pas encore procédé à leur propre évaluation.

S : Qu’est-ce que le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs ?

JBN : Le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs est une structure qui a été mise en place pour promouvoir la bonne gouvernance à l’échelle du continent. Les chefs d’Etat ont constaté que les problèmes liés au développement du continent, sont des problèmes de gouvernance d’abord. Il y a eu beaucoup d’initiatives qui ont été prises çà et là depuis les indépendances. Mais il se trouve que les initiatives n’ont pas toujours produit les résultats à la hauteur des attentes des peuples africains.

Pour espérer réellement aborder le troisième millénaire, et peut-être traverser le troisième millénaire avec plus de réussite dans toutes nos initiatives, les chefs d’Etat ont estimé qu’il fallait nécessairement régler la question de la gouvernance.

C’est à partir de la bonne gouvernance que sur le plan politique, sur le plan démocratique, sur le plan du développement socioéconomique et sur le plan de la gouvernance des entreprises, que l’Afrique pourra réaliser le bond qui est attendu depuis longtemps par les peuples africains.

S : Quand on sait que la mal gouvernance avait accompagné l’action des gouvernements, parler aujourd’hui d’un mécanisme d’évaluation par les pairs, ne vient-il pas juste comme un effet de mode dans la mesure où sur le continent, l’air du temps est à la bonne gouvernance ?

JBN : Non ! c’est un préjugé. Dans un premier temps, les chefs d’Etat avaient adopté à Durban en Afrique du Sud, une déclaration sur la gouvernance politique, démocratique, économique et des entreprises. Ils se sont rendu compte qu’une déclaration pouvait être classée dans un tiroir. Ils ont alors estimé qu’il fallait trouver un cadre, ou un mécanisme qui permette de résoudre vraiment la question de la gouvernance. C’est ainsi qu’ils ont pensé que ce mécanisme qui définit des normes et des critères, et même des indicateurs de performance serait le plus approprié dans la mesure où lorsqu’un pays adhère, ce pays fait l’objet d’une évaluation initiale. C’est-à-dire qu’on fait l’état des lieux à partir desquels on décèle les bonnes pratiques qui existent.

Mais aussi les mauvaises pratiques ou les insuffisances auxquelles on essaie d’apporter des correctifs. Cela parce que, quand on évalue, on décèle les insuffisances et on propose des corrections à travers un programme d’action nationale, assorti d’un échéancier. Assorti également d’un budget de réalisation qui lie pratiquement l’Etat qui a été évalué, parce que désormais, on a un tableau de bord qu’on observe pour savoir quels sont les progrès que le pays réalise. Au delà, lorsqu’on évalue également le pays, s’il y a des bonnes pratiques, elles doivent être portées à la connaissance des autres Etats africains, pour faciliter l’échange d’informations.

Quand on prend l’exemple du Burkina, parfois nous n’avons pas d’information sur ce qui se passe en Afrique du Sud, ou au Rwanda, ou au Ghana et pourtant, il s’y mène de bonnes expériences. Comme il y a également de bonnes expériences qui se mènent au Burkina mais qui sont méconnues des autres pays africains. C’est dans ce sens que le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs est une innovation. Il permet une interaction entre les Etats participants, mais il permet également aux acteurs sociaux dans un pays de pouvoir porter un regard croisé sur la situation de la gouvernance dans leur pays.

S : Peut-on dire alors, pour être simple, que vous êtes chargé de juger les actions des gouvernants ?

JBN : Je ne dirai pas que le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs est un outil pour évaluer les gouvernants ou les gouvernements. C’est un outil qui permet à tout un pays de s’autoévaluer. A la lumière des premiers rapports, on peut identifier des problèmes de dysfonctionnement ou des problèmes récurrents dans un pays mais ces problèmes peuvent ne pas être du fait de la responsabilité du gouvernement en place. Ce sont des problèmes qui existent depuis longtemps. Lorsqu’on prend le cas du Ghana et même de l’Afrique du Sud qui ont été évalués, la question foncière est revenue à l’ordre du jour. Or, c’est une question qui ne dépend pas de l’actuel gouvernement ghanéen. Tout comme en Afrique du Sud, la question foncière découle de l’apartheid. Où est donc la responsabilité du gouvernement sud africain ?

Au Ghana, il y’a eu la question de la chefferie traditionnelle. Là également, ce n’est pas le gouvernement actuel qui a créé la chefferie traditionnelle. Ce sont des facteurs sociaux, historiques etc. En fait, c’est un regard qu’on porte sur le pays avec comme interrogation majeure, les mécanismes que possède ce pays depuis qu’il existe en tant qu’entité. Si les problèmes actuels trouvent leur explication dans des causes anciennes ou historiques, il faut porter des corrections.

En résumé, le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, n’évalue pas un gouvernement, mais un pays, dans une méthode participative. C’est-à-dire que l’ensemble des acteurs sociaux sont invités dans la première phase à porter un regard rétrospectif, ou introspectif même pour faire une autoévaluation. Le peuple ou la population et les acteurs sociaux sont invités à regarder dans un même miroir pour voir quels sont les problèmes qui se posent. Cela ne veut pas dire que la gouvernance est du ressort du seul Etat.

La gouvernance est le fait de tout le monde. Lorsqu’aujourd’hui on parle d’éco-citoyenneté, c’est que par le comportement d’un individu peut porter préjudice à l’écosystème ou à l’environnement. Ce qui a des répercussions sur l’ensemble de la communauté. Lorsqu’ ensemble on s’assoit pour regarder, on s’évalue, on regarde dans le miroir et on voit les problèmes qu’il y a. Quand on voit ce qu’il y a de bien, on doit pouvoir ce le dire.

S : Quel bilan faites-vous du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs depuis qu’il est effectivement mis en place ?

JBN : Le mécanisme a été institué en février 2003 à Kigali au Rwanda, après le premier forum des chefs d’Etat. C’est au cours de cette rencontre que nos gouvernants ont adopté les textes définitifs, ont confirmé les personnalités imminentes dans leur mandat et ont établi un calendrier pour évaluer les pays qui y ont adhéré. A l’origine, il y avait seize pays. Aujourd’hui, il y a vingt six pays. Cela veut dire qu’il y a un progrès qui est enregistré au niveau de l’adhésion.

A travers le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, un Etat qui adhère renonce à une partie de sa souveraineté. Il admet qu’un regard extérieur vienne volontairement porter des critiques sur son fonctionnement. Pour donner des chances de réussite au mécanisme, les chefs d’Etat ont dit que l’adhésion est volontaire. Parce qu’il faut une volonté politique pour accepter les règles du jeu qui ont été établis et qu’on n’a pas le droit de modifier.

C’est un mécanisme unique en son genre. Il n’ a existé nulle part. C’est la première fois qu’un ensemble d’Etats décident de renoncer à une partie de leur souveraineté pour procéder à une telle évaluation. Il a fallu d’abord faire l’apprentissage du mécanisme. Il fallait le comprendre, le transformer en réalité. Ce qui a pris un certain temps. Mais en trois ans, il y a trois pays qui ont suivi le processus de bout en bout, qui ont été évalués, qui ont présenté des rapports avec des programmes d’action.

Le quatrième pays, c’était l’Afrique du Sud qui aurait dû être évaluée au cours de cette rencontre, mais qui le serait certainement en juillet à Accra, lorsque les chefs d’Etat se retrouveront pour le septième forum, si entre temps, on ne convoque pas un forum extraordinaire qui les réunisse. Par la publication des trois premiers rapports, les partenaires de l’Afrique et les Africains eux-mêmes ont commencé à prendre au sérieux le mécanisme. C’est la première fois qu’une idée produit des résultats aussi concrets que visibles. Les différents pays participants sont à divers niveaux. Mais chaque pays plus ou moins a enregistré des progrès.

L’exemple du Burkina en est une illustration. Après avoir adhéré, nous disposons maintenant d’un secrétaire permanent qui fait office de point focal. Nous disposons d’un conseil national qui est chargé d’assurer la participation du Burkina au processus. Nous avons identifié des institutions de recherche qui vont procéder à l’autoévaluation au côté du conseil national. Nous avons déjà préparé le questionnaire pour l’autoévaluation du Burkina. Chaque pays a fait des progrès. Je reste convaincu que d’ici à la fin de l’année, il y aura des nouveaux rapports qui seront déposés.

S : Y a-t-il un lien entre le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs et le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique ?

JBN : Oui, il y a un lien. Les chefs d’Etat africains à la fin du deuxième millénaire ont voulu entrer dans le troisième millénaire avec une initiative hardie qui puisse vraiment permettre à l’Afrique de faire face au défi de la pauvreté. Mais aussi, d’enregistrer une croissance durable et accélérée. Mais ils se sont rendus compte que ce ne sont pas les projets ou les programmes qui ont manqué à l’Afrique depuis que l’Afrique existe et que les Etats africains sont indépendants. C’est plutôt la question de la gouvernance.

Si vous faites une lecture des conflits qui existent en Afrique aujourd’hui, vous vous rendrez compte que ce sont des conflits qui n’opposent pas les Etats, mais qui se déroulent à l’intérieur des Etats. Cela est lié à des problèmes de gouvernance. Soit politique, soit démocratique et même économique. Il y a des luttes de survie. Dans les pays les processus sont mal conduits et les peuples finissent par s’affronter et donc, voilà un exemple qui préoccupe l’Afrique et qui constitue un frein au développement de l’Afrique. Sans sécurité, sans stabilité et sans paix, il ne peut pas y avoir de développement.

Vous ne pouvez pas espérer appeler des investisseurs étrangers, même des investisseurs nationaux, s’ils ne sont pas sûrs que les conditions de stabilité sont là. C’est un exemple qui montre qu’aujourd’hui, les problèmes de conflits en Afrique sont liés à des questions de gouvernance et au-delà, la pauvreté que l’on tend à prendre pour une fatalité, mais qui n’en est pas une. C’est tout simplement une question de gouvernance. Il faut mieux choisir les programmes, mieux les orienter, mieux les définir, mieux les réaliser etc. et nous allons pouvoir réussir le pari du développement.

C’est pour cela, à mon humble avis, que les chefs d’Etat ont estimé que pour que le NEPAD réussisse en tant que mission, (parce le NEPAD ce n’est pas un projet, c’est une vision qui veut que l’Afrique avance maintenant par objectifs) il faut que l’Afrique compte sur ses forces intrinsèques. Que l’Afrique envisage son développement sur la base du partenariat qui est toute une philosophie. Partenariat veut dire que celui qui appelle pour le partenariat, qui appelle au partenariat est d’accord qu’il sait quelles sont ses responsabilités et il invite les autres à venir l’accompagner.

Alors qu’en fait, ce n’est pas un partenariat, c’est une relation de dépendance où on vous dicte les choses. Et l’Afrique veut elle même concevoir son programme de développement et maintenant indiquer à ses partenaires, voilà notre tableau de bord, nous voulons aller dans telle direction. Ce que vous pouvez apporter comme appui, vous l’apportez.

Mais en tant que partenaire, on a l’obligation de rendre compte, de discuter entre nous pour dire voilà ce que nous avons fait, voilà ce que nous n’avons pas fait. Pour réaliser cela, il faut la bonne gouvernance. Et pour la bonne gouvernance, ils ont trouvé que le mécanisme était le mieux approprié pour réaliser ce qu’on pourrait appeler les pré requis pour que les pays puissent relever les défis du développement.

Entretien réalisé à Addis Abeba par Jean Philippe TOUGOUMA
Photos Léonard Bazié presse présidentielle

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