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Abbé Apollinaire Malumalu "Réformer l’armée et la justice pour que les choses avancent"

Publié le mercredi 31 janvier 2007 à 07h35min

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Abbé Apollinaire Malumalu

Il a 46 ans et est diplômé en sciences politiques. Signe particulier : prêtre et président de la Commission électorale indépendante (CEI) de RD Congo. Lui, c’est Appolinaire Muholongu Malumalu.

De passage à Ouagadougou où il a pris part à un séminaire de la CENI (Commission électorale nationale indépendante), il nous parle dans cet entretien de la structure qui a supervisé les scrutins dans ce pays-continent, des différentes réformes pour que le Congo décolle, de Kabila, Bemba...

Abbé Apollinaire Malumalu, Kinshassa est loin de Ouagadougou. Qu’êtes-vous venu faire au Burkina ?

• Je suis venu au Burkina pour échanger les expériences avec la CENI burkinabè. Et le plus grand de ces échanges est de rechercher les voies et moyens de construire un processus électoral crédible. On a ainsi échangé sur l’Administration électorale, sa crédibilité, les dangers, les défis préélectoraux, électoraux et postélectoraux.

La CEI dont vous êtes le président a supervisé la présidentielle, les législatives et bientôt les provinciales. Dans ce pays-continent qu’est la RDCongo, on imagine que ce ne sont pas les difficultés qui manquent. Quelles ont été les plus dures à surmonter ?

• Nous avons eu effectivement à faire face à de multiplies problèmes : le premier était déjà la gestion du temps ; pouvoir organiser plusieurs élections dans un temps court ; on avait l’enregistrement des électeurs, le référendum constitutionnel, la présidentielle et les législatives ; on n’a pas encore organisé les provinciales et les municipales ; nous avons mis 6 mois pour l’enregistrement des électeurs, là on devait prendre 2 ans ; le référendum constitutionnel a été fait avant l’enregistrement des électeurs pour éviter qu’on tombe dans un vide juridique, c’était aussi une grande difficulté ;

la deuxième difficulté est d’ordre logistique ; la RDCongo n’a pas d’infrastructures de base : pas de routes, ni de chemin de fer, même la voie navigable connaît quelques difficultés, donc le transport du matériel électoral posait problème ; ensuite, il y avait une difficulté d’ordre politique ; le pays ne connaissait pas de culture électorale ; il fallait donc commencer tout le processus à partir du néant ; on ne disposait pas de données socio-démographiques fiables ;

comment faire avec des acteurs politiques qui étaient habitués à la cooptation, voire à l’usage de la force comme mode d’accès au pouvoir, pour qu’ils acceptent de passer par la voie démocratique, par l’élection ? ; en plus, chacun avait sa propre culture des élections et il fallait se réunir pour discuter de tout cela avec tout le monde ;

enfin il y a une contrainte et pas des moindres qui concernait la commission électorale elle-même : la CEI que je dirige est pionnière, elle devait apprendre sur le tas et, de ce fait, elle a été confrontée à un problème de recrutement d’un grand nombre de personnes en peu de temps ; il y avait 250 mille personnes à recruter en un mois ; sans oublier qu’il fallait faire comprendre aux populations comment construire les résultats d’une élection.

A un certain moment, des Congolais vous ont accusé de partialité. Pourquoi ?

• En fait, beaucoup croyaient, et c’est une illusion, que c’est la CEI qui construit les résultats d’une élection. C’est faux ! Les résultats se construisent d’abord dans les bureaux de votes. On dépouille sur place et chaque bureau affiche ses résultats devant témoins. Ensuite, on oublie souvent que la CEI avait 8 personnes qui décidaient de commun accord. Chacune de ces personnes venait d’une des parties présentes aux négociations intercongolais.

Mais, la personnalisation au niveau de la présidence de la CEI a fait croire que seul le président prend les décisions. Dans la réalité, il n’est que le porte-parole. Il nous fallait rappeler à tout les Congolais comment se construisent les résultats. Donc, à partir du moment où chaque bureau de vote a affiché ses résultats, tout le reste n’est qu’une question de calcul. Et quiconque estime qu’il y a une erreur matérielle peut, selon la loi congolaise, la dénoncer pour que la CEI rectifie cette erreur, et si cette personne pense qu’elle est lésée, elle va en justice. C’est ce qu’on appelle en anglais ow comptability, c’est-à-dire que tout est contrôlable. Dans un tel système, la rumeur n’a pas sa place.

Au fait, étant prêtre comment avez-vous été porté à la tête de cette structure ?

• Je suis arrivé à la présidence de la CEI à partir d’un engagement social. Comme prêtre, je dirigeais l’université catholique du diocèse de Bouteboubeni au nord-est de la RDCongo. J’enseignais les sciences politiques dans cette université. En fait, j’ai créé un Centre de formation et d’animation pour un développement solidaire (CEFADES), qui œuvre à la promotion des droits de l’homme et du milieu paysan ; le centre concerne plus de 5 000 personnes. C’est à partir de cet engagement que mon évêque m’avait demandé de représenter le diocèse dans l’organisation de la société civile de la ville où j’étais.

Ce sont donc, après, l’ensemble des associations de la société civile qui m’ont choisi pour les représenter aux négociations politiques intercongolaises. Et ce sont donc mes collègues au sein de cette société civile qui m’ont finalement choisi comme président de la CEI. Je précise aussi que ce choix, je l’ai fait valider par l’Eglise. D’abord, par mon évêque, qui l’a accepté, et qui, à son tour, a posé le problème aux évêques de la RDCongo, qui ont également donné leur accord, à condition, ont-ils précisé, que ce soit un engagement pour uniquement la transition. Ce que j’ai accepté aussi.

Prenez-vous souvent des conseils avec Mgr Monsingo qui dirigea jadis la conférence nationale ?

Bien sûr ! Je le rencontre souvent, il est d’une grande expérience. C’est notre père spirituel. Il m’a souvent appelé, lorsqu’il y avait de grandes questions qui se posaient.

Voilà donc l’ex-Zaïre doté d’un président élu, Joseph Kabila, et de 500 députés. Ayant suivi les choses de près, pensez-vous que le pays a véritablement pris le chemin de la paix ?

• Le Congo est devant une chance historique et tout pays doit accepter de saisir sa chance, car dans le cas contraire, il se marginalise et n’avance pas. Nous avons une chance : pour la première fois depuis 40 ans, le peuple congolais a pu se prononcer. Ce pays a choisi ses dirigeants et a le droit de demander des comptes à ces derniers. Cela est déjà un grand pas, car avant, ce sont les dirigeants qui choisissaient la population. Ils s’imposaient au peuple.

Pour la première fois aussi après la conférence nationale souveraine, qui a été un grand moment d’analyses, le peuple a la possibilité de réaliser des programmes. On a aujourd’hui des institutions républicaines, qui doivent prendre leurs responsabilités. J’estime que pour le faire, il faut respecter la Constitution, c’est-à-dire accepter la séparation des pouvoirs. Il faut réformer le pouvoir judiciaire, car sans cette réforme, il y aurait l’arbitraire et l’impunité.

Le pays doit tirer leçons du désordre que nous avons eu, et accepter également la réforme de l’armée et de la sécurité, une réforme qui doit être radicale, car cette armée est pour beaucoup dans le désordre que nous avons vécu. Il faut ouvrir ce chantier aussi. La lutte contre la corruption et le combat pour la bonne gouvernance à tous les niveaux sont aussi d’autres chantiers, concernant non pas exclusivement les dirigeants, mais aussi les autres acteurs politiques et sociaux. Je suis de ceux qui pensent qu’au Congo, pendant longtemps on a privilégié le dialogue, la politique occupait tout le terrain. Maintenant, place aux actes, il faut remettre les pendules à l’heure, les discours ne se mangent pas et n’améliorent pas les conditions de vie des gens.

Il faut des actions concrètes, car on ne développe pas une personne, elle se développe. Au Congo, tout est à reconstruire, il faut une refondation de l’Etat. L’accent doit être mis de nos jours sur l’investissement humain.

Vous minimisez donc la fracture Est-Ouest du Congo, qui s’est faite jour lors de la présidentielle ?

• Une fracture électorale n’est pas toujours sociale. La compétition électorale a eu lieu. Les acteurs politiques sont devant un défi : soit ils exploitent cette fracture électorale pour en faire des fractures sociales, et donc ils s’engageront sur des luttes identitaires, ce qui est dangereux, soit ils prennent le chemin des chantiers sociaux et économiques. Dans ce cas, cette fracture imaginaire ne sera pas réelle. Car, souvent des fractures identitaires deviennent plus tard réelles, on a vu des pays qui ont sombré dans la violence, dans le génocide. Je ne souhaite pas cela pour mon pays.

J’espère que tout le monde sera bon joueur. Kabila a gagné la présidentielle, mais Bemba a beaucoup de députés à l’AN et de nombreux sénateurs, il à sa partition à jouer. Chacun n’a qu’à jouer son rôle. Je ne crois pas à cette fracture et je suis bien placé pour le dire puisque je suis passé partout dans les recoins du pays. Je n’ai constaté qu’une chose : les Congolais cherchent à bien vivre dans la paix. Je crois plus en cela qu’à des histoires qui tournent autour des personnes.

Selon vous, le tandem Kabila-Gisenga (premier ministre de 81 ans) peut-il tenir ?

• Ce n’est pas à moi de le dire. C’est à eux de le prouver. Je n’ai rien à prophétiser. Mais ce sont les Congolais qui doivent construire le Congo, au lieu d’attendre une solution magique venant de quelques personnes.

Interview réalisée par Z. Dieudonné Zoungrana
L’Observateur

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