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Manu Dibango, président d’honneur du FESPACO 2007 : « La charge est lourde mais je la porterai »

Publié le mercredi 31 janvier 2007 à 07h53min

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Manu Dibango

La 20ème édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) qui se déroulera du 24 février au 3 mars 2007,
a pour président d’honneur, l’artiste-musicien, Manu Dibango.

A Ouagadougou, le roi du Makossa, également auteur de plusieurs musiques de films, profitera de cet évènement culturel qu’est le FESPACO, pour convoler en justes noces avec ses 50 ans de carrière musicale. C’est un bonhomme qui a bien les pieds sur terre que nous avons rencontré à l’ambassade du Burkina Faso à Paris, lundi 22 janvier 2007.

Sidwaya (S). : Quelle touche particulière en tant que président d’honneur du FESPACO apporterez-vous à cette manifestation ?

Manu Dibango (M.D) . : Ma touche particulière, c’est moi-même. Ma présence. C’est la première fois que je suis invité à un événement en soi. La touche du FESPACO, c’est d’avoir invité un des doyens de la musique en Afrique. Ça veut dire qu’à cette manifestation, on parlera beaucoup de musique et surtout de musique de films, de

dialogue, de fond sonore qui habillent généralement l’action. C’est la première fois qu’on me confie cette charge et je pense pouvoir être en mesure de la porter. La charge est lourde...mais je la porterai.

S. : Quel lien établirez-vous désormais entre vous et le FESPACO ?

M.D. : C’est le lien naturel du son et de l’image. Le fait qu’une fois dans ma vie, j’aurais été président d’honneur du FESPACO. Ça n’arrive pas tout le temps. Et cela revêt pour moi une importance capitale. C’est d’autant plus important que cette année précisément, je célèbre le 50e anniversaire de ma carrière musicale. Commencer à célébrer et à fêter cet évènement au FESPACO, un rendez-vous du donner et du recevoir, pour moi c’est formidable.

S. : Composerez-vous une chanson en l’honneur du FESPACO ?

M.D. : On ne sait jamais ! Les compositions, elles sont comme les dames. On ne sait jamais ! Ça peut arriver tout de suite, tout comme ça peut arriver plus tard. L’inspiration, c’est de ça que je parle...on ne sait jamais ! Peut-être ça va arriver tout de suite ou plus tard. En général, la meilleure inspiration, c’est quand on n’y pense pas.

S. : 50 ans de carrière ! Dans le rétroviseur de l’histoire, comment jugez-vous votre action ?

M.D. : Ah non, je ne peux pas me juger. C’est aux autres de me juger. Une chose est certaine, je suis content d’être en vie et d’être toujours passionné par ce que le Bon Dieu m’a donné : l’amour de la musique. Ma chance à moi, c’est qu’à 73 ans d’âge, j’ai toujours autant de passion de ce métier qu’à vingt ans. Jusqu’au jour où je ne serai plus là, je vais l’exercer avec cette même passion. Je pense que c’est la plus grande chance que j’ai pu avoir.

S. : A 73 ans, vous êtes toujours plein de vigueur. Quel est votre secret ?

M.D. : Ah ! si j’avais un secret, j’allais vendre le brevet. Je suis moi-même le premier étonné. C’est bien d’être étonné en étant vivant. Parce qu’à titre posthume, ce n’est pas évident. En tous les cas, je ne sais pas comment ça se passe là-bas, de l’autre côté.

S. : Président d’honneur du FESPACO qu’est-ce que ça vous fait comme impressions et sentiments ?

M.D. : Mes sentiments, c’est qu’au Burkina Faso, à travers le FESPACO, le message de la culture panafricaine est bien passé. Le message des Africains qui reconnaissent en un des leurs le mérite, à travers ce qu’il a pu faire le mieux : la musique. Un pays africain qui décide de montrer au monde entier un de ses enfants, ça c’est très important. Je tâcherai d’être à la hauteur des attentes.

S. : Cinéma et diversité culturelle est le thème du FESPACO 2007. Qu’est-ce que ça vous inspire comme commentaire ?

M.D. : Ça m’inspire tout le travail qu’il y a à faire dedans. D’abord, de savoir ce que ça veut dire. Ensuite, d’expliquer aux gens (musiciens et comédiens) la nécessité d’une prise de conscience. Celle de savoir qu’en dehors de la pratique de leur métier, il importe d’en connaître l’histoire, de voir les synergies qui existent entre les uns et les autres. C’est le côté pratique qu’il faut mettre en exergue. Outre cela, il y a la nécessité de créer ou d’intensifier certains métiers comme les éclairagistes, les cadreurs, les techniciens, les maintenanciers...Tout ça fait partie de cette diversité culturelle. Surtout le côté pratique. Une chose est de parler, une autre est de montrer aux gens qu’il y a le côté pratique des choses. C’est ma contribution à ce vaste débat de la culture.

S. : 50 ans de carrière. Et pourtant vous ne vous considérez pas comme l’Africain le plus doué de la musique !

M.D. : J’ai la chance de parler à votre génération. C’est également une chance pour vous aussi de connaître cet homme que je suis. Plutôt que de lire dans les bouquins qui il était. Si je suis là, c’est qu’il y a eu la santé quelque part. On ne sait pas à quel moment la mayonnaise prend. Il faut beaucoup d’ingrédients pour que ça prenne. On a sa part de don. C’est tout ça qui fait la musique aujourd’hui.

S. : C’est quoi le plus beau souvenir de Manu Dibango ?

M.D. : Oh ! Il y a beaucoup. Le plus beau, je ne sais pas ! Si...peut-être quand je suis rentré au Cameroun et puis mes parents ont pu se rendre compte que je n’ai pas gâté leur nom. Mon père, un fonctionnaire m’a envoyé faire des études en France. Mais pas pour devenir musicien. En Afrique, la musique était considérée comme rien du tout. J’étais un renégat quoi ! Mon père ne comprenait pas qu’il ait fait des sacrifices afin que je poursuive mes études en France et que je choisisse de faire du bruit (il appelait la musique du bruit).

Jusqu’au moment où le bruit est devenu quelque chose de mondial. Et du coup, il a réalisé qu’une autre époque était là. Dès lors, il a compris qu’il y a d’autres passions que celles d’être prêtre, imam, curé ou pasteur. La passion, c’est aussi de pouvoir être sportif, musicien ou artiste. Mais pour la génération de mon père, la musique n’est pas une affaire de passion. Il a fallu donc que par mon travail, je lui inculque tout ça. En fin de compte, mes parents sont partis fiers de ce que je n’ai pas spolié leur nom.

S. : Si Manu Dibango disposait d’un bâton magique, qu’est-ce qu’il changerait dans ce monde ?

M.D. : La magie ! je me méfie de la magie. Je suis un bonhomme qui rêve beaucoup tout en ayant les pieds sur terre. Je suis comme un croco (crocodile), je rêve avec un œil ouvert. Je ne crois pas tellement à la baguette magique. Si baguette magique il y a, c’est que les Africains mettent le mot amour dans leur vocabulaire de tous les jours. Qu’ils se supportent les uns les autres. C’est ça la magie.

S. : Quels conseils le père, le grand-père ou le grand frère Manu Dibango a-t-il à l’intention de la jeunesse africaine ? Notamment les jeunes artistes.

M.D. : Bien ! C’est pas parce qu’on est âgé qu’on a forcément la baguette magique, qu’on est sage. Comme conseils, il faut que les gens sachent au départ qu’il y a énormément de travail à accomplir avant de pouvoir procurer aux uns et aux autres le sourire sur scène. Il faut pour réussir, être amoureux du travail, être esclave du travail. Parce que quand vous avez une passion, les heures de travail ne comptent plus. C’est comme pour un sportif, s’il ne s’entraîne pas au quotidien, il ne peut pas aller dans la vie, il faut être un bosseur. Et puis être très humble et d’une certaine humilité. Sans être timide ou réservé. Il faut être conscient que, plus vous avancez, moins vous connaissez.

S. : Ces qualités ci-énoncées, les avez-vous ?

M.D : J’en sais rien moi ! Je dois avoir des qualités et des défauts comme tout un chacun. Il faut constamment pour faire la balance, savoir si c’est le positif ou le négatif qui l’emporte. Il y a toujours l’interface.

S. : Quel est votre plus grand défaut ?

M.D. : Je suis trop pressé

S. : Si vous avez à matérialiser la vie à travers un arbre ou une fleur, qu’est-ce que vous choisirez ?

M.D. : Le paysage. Toutes les périodes de l’année ont quelque chose de beau, de joli. Et moi si je n’avais pas été musicien, je pense que j’aurai aimé être paysagiste.

S. : Quelle appréciation faites-vous de la musique africaine ?

M.D. : Aujourd’hui, il y a beaucoup de musiques. La quantité y est. Mais le problème c’est la qualité. Quand ma génération a commencé dans la musique, il n’y avait même pas la quantité. On n’était pas nombreux. Mais la vocation y était. Si tu choisis de faire la musique, il faut l’assumer. C’est pas toujours facile. C’est Françis Bebey (paix à son âme, il a épousé ma cousine) qui m’a ouvert les yeux sur la grande musique. Concernant mon appréciation, il faut savoir qu’il y a des musiques de mode et il y a des musiques qui traversent les modes. Ce faisant, vous pouvez choisir de faire l’une ou l’autre. C’est la démocratie, le libre choix.

Il n’y a aucune obligation. L’essentiel, c’est que si vous avez le don de la musique, il devient talent par le travail. Le travail, ça implique de connaître l’histoire des musiques et de savoir qu’avant vous, il y a eu beaucoup de génies en la matière, et qu’après vous il y en aura aussi. Qui que vous soyez, vous faites partie du maillon d’une chaîne. Il faut toutefois avoir de l’humilité, surtout si les gens vous aiment. C’est ainsi qu’on entretient la flamme.

S. : Quel est votre cinéaste africain préféré et le film qui vous a le plus marqué ?

M.D. : Il y a Henri Duparc qui vient de partir, Sembène Ousmane, Daniel Kamoi...Je connais beaucoup plus les anciens cinéastes que les nouveaux. Malheureusement, je ne suis pas toujours au contact du cinéma africain. Aujourd’hui, il y a beaucoup de feuilletons, de DVD, de sitcoms. Le problème en Afrique, c’est qu’on ne connaît pas toujours les acteurs ou actrices. On connaît beaucoup plus les réalisateurs. Si bien qu’on n’arrive pas toujours à mettre un film sur la tête de quelqu’un. Or le cinéma, c’est d’abord les acteurs et actrices. Ensuite, le réalisateur. Ce sont eux qui portent le film sur les épaules. Des cinéastes comme le Malien Abderahmane Sissoko abordent des sujets qui nous interpellent. C’est le cas de son film « Bamako ».

S. : Au soir de votre vie, qu’aimerez-vous que l’on retienne de Manu Dibango ?

M.D. : Tout ce qu’on veut (éclats de rires...) ! Parce que je ne serai plus là...

Interview réalisé à Paris par Sita TARBAGDO et Habi OUATTARA(DCPM/ministère de la Culture)

Sidwaya

P.-S.

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