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L’intégration victime de la gloutonnerie des leaders

Publié le mercredi 24 janvier 2007 à 07h25min

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La fin de la semaine dernière a vu se dérouler à Ouagadougou les sommets de la CEDEAO et de l’UEMOA. Parallèlement, les chefs d’Etat devaient résoudre deux problèmes auxquels le conseil des ministres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) n’avait pu apporter les solutions adéquates.

Il s’agit, comme vous l’aurez deviné, du choix du gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et du président de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD). Ces postes sont devenus vacants du fait de la nomination de Charles Konan Banny de la BCEAO à la tête du gouvernement ivoirien par l’ONU et de l’élection de Yayi Boni de la BOAD à la magistrature suprême de son pays, le Bénin. Mais plus que de simples tractations, du reste normales, dans ce genre de situation, le report de ces choix à mars-avril 2007 traduit des sentiments se trouvant aux antipodes des discours dythirambiques sur les impératifs de l’intégration des pays de la sous-région.

Pour faire dans la langue de bois, les Africains en général et leurs chefs d’Etat en particulier sont des as ; parce qu’imbattables, ils le sont vraiment. Qui n’a jamais fait l’objet ou eu écho d’une promesse non tenue et sans explication ? Qui n’a jamais entendu ou lu les propos du genre ‘’ Mon frère et ami un tel’’, ‘’Nos pays sont liés par l’histoire, la sociologie et la géographie’’, etc. d’un président de la république parlant d’un de ses pairs ? ‘’Or, tout ça, archifaux’’ pour reprendre les mots de l’artiste musicien car personne n’y accorde aucun crédit.

Des propos laudateurs qui n’engagent donc que ceux qui y croient. C’est un mauvais comportement si bien ancré en nous qu’il nous est pratiquement difficile de nous en débarrasser à l’instar d’une vieille chemise. Et nos dirigeants politiques quels qu’ils soient et de quelque bord dont ils se réclament en sont la plus parfaite expression. Pouvait-il en être autrement vu qu’ils sont l’aboutissement du processus sociohistorique de nos sociétés ?

En effet, confrontez les déclarations de nos leaders avec la réalité et vous vous apercevrez du caractère flagrant de la contradiction. Exemple : pour Koudou Laurent Gbagbo, président de la Côte d’Ivoire, Dioula et Bété sont frères et sœurs tout comme le sont Ivoiriens et Burkinabè, mais l’on sait ce qui se passe entre ces deux ethnies au su du président ivoirien ; idem pour ce qui est des relations entre Ivoiriens et Burkinabè au sud de la ligne dite de confiance.

Mais rien n’est fait pour mettre fin à tout cela dans le camp présidentiel. Entre frères ennemis centrafricains, congolais de Brazzaville et de Kinshasa, rwandais, soudanais, c’est "même chose pareille" comme qui dirait. Tant et si bien que les crises sont sinon impossibles du moins difficiles à résoudre à cause de la pratique systématique du double ou du triple langage. En cela, l’Ivoirien K. L. Gbagbo est devenu un maître, même si bien de chefs d’Etat ne sont pas en reste.

Cependant, si on ne peut pas dire qu’entre les gens qui se côtoient tout baigne, il est loisible de constater que la cohabitation pacifique et la cohésion sociale ne sont pas de vains mots. Les conflits et les contradictions entre ethnies, fidèles des différentes religions ou personnes appartenant à des secteurs économiques différents ne dégénèrent généralement pas de façon sérieuse si ces conflits et contradictions ne sont pas exploités par des politiciens en manque de rampe de lancement ou de popularité.

Des pesanteurs certes réelles, mais des atouts non moins réels

Cette inadéquation entre les déclarations et les actes, entre les mots et les faits trouve partiellement son explication dans nos traits culturels et nos intérêts de diverses sortes dans un monde fait de préoccupations utilitaristes, où Mammon est plus adoré que Dieu, où les humains se lancent à bride abattue sur le pouvoir et le prestige quelle que soit la voie par laquelle ils y parviennent.

A propos de ces traits culturels, d’ailleurs, Alain Deschamps, alors ambassadeur de France au Burkina avec résidence à Ouagadougou, disait que les Burkinabè étaient des affabulateurs et que c’est peut-être pour cela qu’ils excellent dans la production cinématographique. Il répondait ainsi à une question relative à des rumeurs jugées à l’époque fantaisistes sur la solidité des liens entre les gouvernements français et burkinabè.

En vérité, ce n’était pas seulement une affaire de Burkinabè, mais surtout d’Africains en ce sens qu’un mensonge, une plaisanterie dont l’auteur laisse sérieusement penser que ça n’en est pas une, une rumeur concernant laquelle quelqu’un se donne du plaisir à confirmer la véracité sans avoir été témoin du fait objet de ladite rumeur... sont des choses courantes sur ce continent.

Ce qui a fait dire à une expatriée excédée, lors de la dernière édition du SIAO, qu’ ‘’ici (entendez en Afrique), quand on vous promet de faire une chose, c’est exactement le contraire qu’il faut comprendre. Autrement dit, rien ne sera fait.’’ Elle réagissait ainsi à la promesse non tenue, pour des raisons techniques, de publication d’un article de presse dans le SIAO News. Après avoir été verbalement lynchée par l’équipe de rédaction, elle a disparu sans laisser de traces. Cependant, elle est revenue le lendemain s’excuser après que le papier a été publié.

Le jour de l’altercation, nous étions de cœur et de corps avec l’équipe, car la conclusion de notre consœur était mal à propos, mais n’empêche, il y a du vrai dans ce qu’elle a dit.

Certes, les Africains n’ont pas le monopole de ce type de comportement dans lequel les énigmes et les devinettes parfois mêlées de ruse et de roublardise sont courantes, mais il nous semble, sans complaisance masochiste aucune, qu’il soit plus présent en Afrique qu’ailleurs.

Quant au fait que les intérêts, dans un monde gouverné par Mammon, peuvent engendrer pareille attitude, point n’est besoin d’exemple pour prouver que la fin justifie les moyens. Enfin, il est clair que dans la mesure où, en Afrique, les princes qui nous gouvernent préfèrent cet état de fait au renoncement à leur volonté princière au profit d’une volonté impériale, il va sans dire que nombre de chefs d’Etat jouent à fond la carte des promesses non tenues, des revirements, des plaisanteries de mauvais goût et des petits mensonges assassins dont la lagune Ebrié est aujourd’hui l’abject théâtre.

Tout cela conduit la plupart de ceux qui président à nos destinées ou qui projettent de le faire à privilégier les gains personnels qu’ils peuvent tirer d’une situation avant de songer à leur pays, à leur sous-région et à leur continent. Une gloutonnerie mal dissimulée aujourd’hui de la part d’une Côte d’Ivoire qui, au nom de son poids économique, entend perpétuer une tradition sans base légale à travers la désignation d’un de ses fils à la tête de la BCEAO, d’un Niger qui s’estime lésé depuis toujours et d’un Burkina Faso qui estime enfin son heure venue avec Damo Justin Barro, déjà intérimaire. Même chose pour le cas de la BOAD où les Etats se battent à qui mieux mieux pour décrocher le fameux poste.

En dépit de ces réalités pour le moins déconcertantes, des atouts existent au nombre desquels la conscience d’appartenir à un seul espace ; l’accumulation des difficultés qui finissent de convaincre même les plus orgueilleux et les plus imbus de leur personne que le sort de chacun dépend de celui des autres, quelle que soit la puissance économique ou diplomatique que l’on possède ; l’inéluctable interpénétration des peuples par-delà les différences voire les contradictions existant entre leurs modèles politiques respectifs ; la circulation plus rapide et plus volumineuse des idées.

Mais en attendant, les deux sommets des chefs d’Etat des pays membres de l’UEMOA et de la BOAD qui n’ont pu désigner les deux responsables de ces institutions bancaires, alors que c’était les plats de résistance de cette rencontre, sonnent à l’évidence comme un échec retentissant et l’expression de l’appétence gargantuesque de nos dirigeants et de nos États.

Zoodnoma Kafando

L’Observateur

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