LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Crise et violences dans l’armée : Un devoir d’ingérence citoyenne

Publié le mardi 16 janvier 2007 à 12h47min

PARTAGER :                          

Maintenant que les armes se sont tues et que la batterie a pris fin, Iterre Somé, auteur des lignes qui suivent, jette un regard critique sur la fronde militaire du 20 décembre dernier. Sa conviction est toute faite ; les Burkinabè, dans leur écrasante majorité, exigent et tiennent à la paix sociale dans le pays comme à la prunelle de leurs yeux. Alors, faute de condamner les soldats frondeurs, par esprit d’apaisement, ordonnons-leur "armes aux pieds".

Joseph Ki-Zerbo s’en est allé. Usé comme tout bon mortel par l’âge et une vie de combat au double plan intellectuel et politique, l’éminent Professeur s’est « couché » à jamais le 04 décembre 2006. Porté en terre à Toma, la bienheureuse localité qui a enfanté et offert à l’Afrique l’historien de renom que l’homme a été et au Burkina Faso un intrépide opposant qui, in fine, en matière politique, aura sacrifié sa carrière à prêcher dans un désert. Il ne reste plus qu’à souhaiter à cette mémoire critique disparue l’unique repos accessible aux intelligences incomprises.

De son vivant, son imagination fertile de vieil homme assis qui voyait plus loin qu’un jeune debout n’aurait sans doute éprouvé aucune peine, ni certainement point manqué d’inspiration pour qualifier les manifestations violentes des forces armées qui, quelques jours après sa mort, ont dangereusement secoué le microcosme national, défrayé la chronique et désemparé la nation entière. Et à l’occasion, il eût probablement gratifié l’opinion d’une des formules ininventables dont, seuls à propos, savaient accoucher son verbe fleuri et sa parole imagée.

Diantre de diantre ! Ainsi, l’espace d’une nuit, brutalement sortis des rangs d’une armée fièrement applaudie par son peuple quelque deux mois seulement auparavant lors d’une imposante parade commémorative de l’anniversaire de sa création, une poignée de « soldats » ont donc réussi, à coups de canonnades intempestives, la « prouesse » de faire trembler la forteresse et tanguer le navire de la république ? On est où là ?

En mettant de la sorte en péril, pour quelque bonne raison que ce puisse être, la quiétude des populations et la paix sociale dans le pays, les « héros » d’un soir ont-ils seulement eu conscience d’avoir gravement et collatéralement terni l’image patriotique qu’une armée a vocation à incarner aux yeux de sa nation ? Cette image, consubstantiellement aux effets civiques bénéfiques du fameux défilé du 1er novembre 2006, semblait pourtant à même de renaître des cendres douloureuses et des tréfonds du fossé creusé (à coups de régimes d’exception) entre la nation burkinabé et son armée.

Ce pays n’appartient pas qu’à vous

Une armée qui, disons-le méchamment, est coupable aux yeux de son peuple (depuis 41 ans et un certain 03 janvier 1966 lorsque, par naïveté juvénile d’une nation qui n’avait que six petites années d’expérience dans l’exercice de la souveraineté, elle appela les militaires pour « sauver » le navire national battant alors pavillon voltaïque, des frasques supposées du capitaine de l’épon équipage) d’avoir pris un goût insatiable aux lustres du pouvoir. Depuis cette date, immémoriale pour la plupart des citoyens actuels, tout se passe comme si la mission première et quasi régalienne de notre armée est de diriger le pays...

Suivant les circonstances de temps et d’histoire, sans pudeur et sans vergogne, sous divers manteaux et tenues de camouflage, l’armée voltaïco-burkinabé semble à jamais avoir jeté, avec art ou hargne, son dévolu sur l’exercice et le contrôle du pouvoir d’Etat. Un bail aux allures de squat, sans contrat, sans loyer, sans terme. Tant pis pour le propriétaire (le peuple) et gare à lui chaque fois qu’il s’avise de broncher...

Dès lors, s’il ne s’en était tenu qu’au « risible » manteau de discrédit dont l’armée burkinabé tout entière en tant qu’institution s’est revêtue dans cette « sale histoire » comme dirait l’artiste, je m’en fus royalement battu les couilles,là où quelques-uns se sont « entêtés » à parler de testicules. Prêter ma plume au débat, malgré une dangerosité aisément mesurable à la facilité des gâchettes en face, relève cependant de ce que j’appelle un devoir d’ingérence citoyenne.

Sans vouloir défier qui que ce soit et laissant à qui de droit le soin de gérer au mieux (nous l’espérons tous) la situation, disons qu’il faut bien, sans louvoiements ni fourvoiements, que quelqu’un, quoi qu’il puisse en coûter, dise dans toute la rigueur de la critique constructive aux éléments de notre « vaillante » armée que ce pays n’appartient pas qu’à ceux de ses fils (ou filles) qui ont la chance de porter des treillis, avec ou sans galons, et ont en dotation les armes et les munitions du peuple, chèrement acquises en vue de la défense et de la sécurité des populations et du territoire (et rien que, faut-il le rappeler ?).

Des calculs politiciens de courte vue Que le « système Compaoré », dont les laudateurs les plus impénitents pensaient et/ou disaient qu’il était militairement, politiquement et diplomatiquement coulé dans de l’acier se retrouvent dans leurs petits souliers n’a certainement pas été l’angle d’analyse le mieux inspiré par lequel l’opposition politique et une certaine « société civile » (si l’on s’en tient aux contenus des différentes déclarations) se sont malheureusement, frileusement et maladroitement empressées de voir les choses.

« Légitimement » pressées, de toute évidence en ce qui concerne la première tout au moins, qu’elles sont, en droit, d’attendre que sonne enfin l’hallali d’un régime dont la longévité, musclée et arrogante à certains égards, il est vrai, semblait jusqu’alors barrer désespérément la voie à une alternance.

Ne nous y méprenons guère ! Là où Blaise Compaoré aura pu trébucher sur les faits d’armes antidémocratiques et antirépublicains de ses « compagnons » de l’armée, quiconque (pire encore s’il s’agit d’un civil et quelle que puisse être l’onction populaire dont il se prévaudra) viendra à être calife à la place du calife dans ce pays peut avoir la certitude presque cartésienne de se casser les dents, en moins de temps qu’il faut pour le dire, sur cette même soldatesque, aujourd’hui doctement, perfidement et par calculs politiciens de courte vue, encouragée et sournoisement légitimée entre les lignes de certaines déclarations à faire feu nourri et à volonté de munitions de guerre en pleine capitale et villes du pays, à détruire délibérément des biens et équipements publics, au prétexte de venger la mort (cruelle et regrettable certes) d’un des siens, laver un affront de la part des forces de sécurité, revendiquer des améliorations de carrières et de quotidiens ou régler quelques malaises réels ou supposés en son sein. Savoir raison garder.

Tout au long de cette folle et désormais fameuse nuit du 20 au 21 décembre 2006, nombre de citoyens ordinaires, recroquevillés au fond de leurs masures, tenus éveillés par un concert inédit d’armes de tous calibres, n’ont point fermé l’œil. Tiraillés par toutes sortes d’interrogations, sans aucune annonce officielle rassurante autre que ce communiqué conjoint laconiquement injurieux des ministres de la défense et de la sécurité appelant leurs ouailles déchaînées à faire preuve de « mesure et de retenue ».

Au nom de tous ces citoyens gratuitement brimés et terrorisés, sans nécessairement devoir se poser en défenseur ou pourfendeur de quiconque, ni être naïf au point de ne pas douter que les causes et les raisons de cette brutale et contagieuse poussée d’adrénaline au sein de la troupe se trouvent très probablement enserrées dans un sac d’inextricables nœuds aux confins de l’art militaro-politique (dont il faut à jamais se convaincre que les mises en scène s’opèrent dans un secret d’ombres opaques et que, par conséquent, les tenants et les aboutissants sont inexplicables et inintelligibles au tout venant), l’on peut et l’on doit s’arroger le droit de dire aux acteurs et protagonistes de ce théâtre lugubre que plus que tout, les Burkinabé, dans une écrasante majorité, exigent et tiennent à la paix sociale dans le pays comme à la prunelle de leurs yeux.

Celle-ci leur est chère et indispensable, dans la galère (conjoncturelle ?) quotidienne qu’ils partagent, pour pouvoir continuer librement, tranquillement et laborieusement à chercher chaque jour, chacun, « la nourriture de sa bouche », comme disent les Mossi ; faute d’aucun « préfranc » à revendiquer nulle part, même à coups de canons s’ils en disposaient. En toute chose, braves gens, il faut savoir raison et proportion garder, sous peine de briser les testicules (décidément...) du pauvre Zèdess en voulant tuer le moustique qui est dessus. Soldats, armes aux pieds !

Là où les sorties médiatiques, depuis la survenue de ces événements, ont eu tendance à illustrer, mécaniquement et lamentablement, un certain manichéisme politique qui fait froid dans le dos (tant il est aux antipodes de la construction d’un Etat de droit républicain dans lequel certaines valeurs sacrées, clairement identifiées, fondent le socle de la nation) et sans absoudre le pouvoir des erreurs ou des fautes qui ont pu être et qui sont les siennes dans la gestion quotidienne des affaires de l’Etat, osons dénoncer la propension à l’amalgame qui consiste, pernicieusement, à rechercher dans une certaine (mal) gouvernance du pays les racines d’un mal qui, faute de le justifier, expliquerait (et excuserait du même coup) les actes graves, dangereux et ouvertement antirépublicains qui ont été posés par ces soldats dits « incontrôlés ».

Faute de les condamner (par esprit d’apaisement), ordonnons-leur « armes aux pieds » ! L’avertissement donné vaut son pesant d’or. Le pouvoir, semble-t-il, rend fou, mais sûrement pas au point, pour ses détenteurs, de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Dans le calme, la mesure du possible et du faisable, nul doute que les revendications les plus réalistes et les plus objectives des militaires révoltés trouveront solutions.

Aux champions du situationnisme politique, il faut rappeler le sens de l’essentiel qui est, ne nous y trompons pas, la construction (ô combien pénible, n’est-ce pas ?) d’une démocratie véritable et durable dans et pour notre pays.

Construction néanmoins à laquelle tous et toutes, citoyens ordinaires, civils et militaires, hommes politiques ou leaders et acteurs de la scène nationale souhaitant mériter du peuple et de la nation, à quelque niveau ou distance du pouvoir que nous nous trouvions, devraient inlassablement apporter chacun leur pierre plutôt que, bernés par les trompettes qui, incidemment ou insidieusement, résonnent dans les casernes, de nous laisser aguicher par les sirènes pour les uns et nourrir de chimères pour les autres.

Iterre Somé

Homme de Lettres et de Culture

Ouagadougou

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?