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Affaire Norbert Zongo : "Tout le monde est fâché"

Publié le mardi 16 janvier 2007 à 08h44min

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Depuis le non-lieu sur l’affaire Norbert Zongo, les gens ne se lassent pas d’exprimer leur point de vue. Est de ceux-là Jonas, selon qui, à travers l’écrit ci-après, ce dossier fâche des journalistes, des juges, le pouvoir et le peuple ; chacune de ces composantes ayant ses raisons d’être frustrée.

Le dimanche 22 octobre 2006, nous étions surpris de voir à l’émission « ACTU HEBDO » de la Télévision nationale du Burkina, un « invité spécial » dans un décor spécial. Monsieur Pascal Yemboani Thiombiano, l’animateur de cette émission hebdomadaire recevait Monsieur Guillaume Soro, Secrétaire général des Forces nouvelles, le mouvement de la rébellion ivoirienne.

Entre autres questions posées à l’invité du jour, la raison qui a motivé ce jeune Ivoirien à s’engager dans une rébellion armée. En substance, monsieur Guillaume Soro a répondu : « La société est faite de telle sorte qu’il y a des mécanismes qui permettent de régler des frustrations et par conséquent de préserver la paix sociale. Mais quand ces mécanismes ne permettent plus l’expression démocratique, cela peut conduire à la révolte ; c’est l’impunité qui a conduit à une partition de fait de la Côte d’Ivoire ».

Nombreux étaient les Burkinabè à tomber des nues ce jour-là en l’écoutant. On se demandait si Guillaume Soro savait sur quel terrain il se trouvait, quand on sait que l’impunité a aussi un siège à Ouagadougou au Burkina Faso. Ce qui fonde le régime du Président Blaise Compaoré, c’est l’impunité, ce sont des frustrations au quotidien, c’est l’injustice flagrante érigée en système de gouvernement.

Au Burkina Faso, si vous êtes de la famille du Président Blaise Compaoré, vous pouvez tout vous permettre. La justice n’y peut rien. Ceux qui sont en prison sont des sous-citoyens, des abandonnés de la société, des gens dont personne ne s’occupe du sort. Ils n’ont rien fait d’aussi grave, ils n’ont tué un parent de personne. Leur seul malheur, c’est qu’ils ne sont pas de la famille présidentielle ou à la limite du club de ceux couverts par la famille présidentielle.

Je n’invente rien et je n’écris pas du n’importe quoi non plus. L’affaire Norbert Zongo est là. Une injustice flagrante devant laquelle la justice est impuissante, pour la simple raison que la famille présidentielle y est citée. Tant qu’on continuera à citer un proche de Blaise Compaoré et de surcroît son frère cadet, le dossier restera en l’état. C’est la presse qui risque de "récolter les pots cassés".

Le journal l’Evénement est déjà dans les filets de la famille présidentielle. Cette affaire Norbert Zongo devient de plus en plus frustrante. On a l’impression qu’on continue de faire la force à ceux qui n’ont pas de force. Et quand on veut en parler, il se trouve des gens qui, au lieu de se cacher pour leur incapacité à résoudre le problème, se fâchent. Alors, cette injustice doublée d’une impunité jamais égalée au Burkina Faso fâche tout le monde.

Des journalistes sont fâchés

De l’histoire de la Haute-Volta au Burkina Faso, on n’a pas connu de crime aussi odieux que celui du journaliste Norbert Zongo. Certes, l’exécution des militaires rebelles du BIA de Koudougou en Octobre 1987, qui protestaient contre l’assassinat du Président Thomas Sankara, reste aussi mémorable. De même, de la Haute-Volta au Burkina Faso, la justice n’a autant montré ses limites comme dans les dossiers Thomas Sankara et Norbert Zongo. Nombreux sont des journalistes d’ici et d’ailleurs qui grincent des dents dans cette affaire, car ça n’arrive pas qu’aux autres. Au Burkina Faso, on ne critique pas impunément la famille de Blaise Compaoré.

Elle laisse le temps faire, elle prépare et sait qu’elle t’aura un jour. Elle étudie. Elle cherche à savoir ce qu’il faut te coller pour te faire taire même si c’est en prison. Des gens pensent que nous n’en sommes pas conscients. Parmi les journalistes fâchés, il y a « l’incorrigible » Robert Menard, secrétaire général de Reporters sans Frontières qui continue à provoquer des gens. Heureusement pour lui que lors de sa conférence de presse au Centre national de presse Norbert Zongo, le 20 octobre 2006, à l’occasion de la journée internationale de la presse, le Procureur général ne savait pas qu’il avait traité le juge d’instruction du dossier Norbert Zongo de « pingouin ». (Là aussi reconnaissons que notre ami Robert Menard était allé trop loin et ayons le courage de lui dire de ne plus recommencer cela). Les journalistes ne comprennent donc pas l’attitude de la justice dans cette affaire. Et ça les fâche.

Des juges sont fâchés

Apparemment, l’affaire Norbert Zongo fâche aussi les juges en charge du dossier. Plus le peuple réclame justice dans cette affaire, plus ces juges semblent grincer des dents. Apparemment encore, ce qui les fâche, c’est qu’ils ne comprennent pas pourquoi on ne les comprend pas. Si les choses devaient être discutées entre quatre murs, loin des oreilles indiscrètes, ces juges vous diraient ceci : « On est fâché contre vous qui réclamez justice dans des affaires comme celles de Thomas Sankara et Norbert Zongo.

On dirait que vous êtes des enfants. Si depuis huit ans et près de vingt ans vous voyez que les choses n’évoluent pas, vous devez comprendre. Héï ! nous, on se cherche. Dans ces affaires là, y a pas à dire qu’on a prêté serment. Faut pas nous pousser au suicide. On parle depuis du Peul qui aurait été témoin oculaire de l’assassinat de Norbert Zongo. Est-ce que vous voyez qu’on cherche à le voir alors qu’on dit qu’il est actuellement à Sapouy. Faut pas qu’il vienne dire des choses ici qui vont précipiter notre suicide.

Indépendance de la justice, indépendance de la justice... c’est des mots oui ! On aurait souhaité vous voir à notre place pour comprendre. C’est pas facile hein ! Et quand, nous, on sait qu’on n’arrive pas à dormir correctement avec ces affaires-là et vous continuez à nous demander l’impossible, ça nous fâche ». Ces juges semblent donc être fâchés.

Le pouvoir est fâché

Depuis l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et la lutte populaire qui s’en est suivie contre l’impunité, le pouvoir de Blaise Compaoré a été contraint à des concessions : nomination d’un juge d’instruction en charge spécialement du dossier ; mise en place d’une commission d’enquête indépendante pour déterminer les circonstances dans lesquelles le journaliste a été assassiné ; des réformes institutionnelles, etc. Malgré tout, le dossier n’avance pas. Pour l’opinion publique, la famille présidentielle est pour quelque chose dans l’attitude de la justice, pour la simple raison que monsieur François Compaoré est cité dans l’affaire.

Là aussi, la famille présidentielle semble être fâchée. Comme les juges, apparemment, elle aussi ne comprend pas pourquoi on ne la comprend pas. Si les choses devaient également être discutées entre quatre murs, on entendrait ceci : « Il faut que les gens nous comprennent.

Ce n’est pas facile. On nous demande de reconnaître. Le problème n’est pas de reconnaître ! Après avoir reconnu, il faut justifier pourquoi on a fait ça. On va dire quoi ? Que c’est parce que Norbert Zongo ne pensait pas comme nous ! Rien ne peut justifier de nos jours qu’on tue quelqu’un parce qu’il ne pense pas comme vous. Donc, nous on comprend la réaction des gens mais c’est difficile ! En tout cas si on reconnaît ça, on est foutu pour de bon.

Donc, on n’a qu’à nous comprendre. Si on savait que les choses allaient se passer comme ça, on ne serait pas allé à une telle aventure. Dans la vie on peut se tromper grandement. Si vous voyez qu’on est fâché, nous aussi, c’est qu’on sait que les gens savent elles-mêmes que ce n’est pas facile, mais on fait exprès pour chercher à nous faire tomber du pouvoir. Sinon vous avez parfaitement raison, mais comprenez nous ». Juste preuve du contraire, la famille présidentielle n’est pas neutre dans cette affaire. Tel est le point de vue de l’opinion publique.

Le peuple est fâché

Pour le peuple, il est impensable que tout un Etat, doté d’agents de renseignements et d’une justice, soit incapable de faire la lumière sur une affaire comme celle de Norbert Zongo surtout quand il existe un faisceau d’indices. Le peuple estime que les dirigeants et les premiers responsables de la justice ne sont pas à la hauteur pour agir en son nom. Le peuple estime encore que l’affaire n’est pas aussi compliquée qu’on veut le faire croire.

Il croit plutôt qu’il y a complicité quelque part avec une volonté manifeste de cacher la vérité. Et ça fâche. En somme, dans l’affaire Norbert Zongo tout le monde, du fond de lui-même, parle le même langage. Mais on ne comprend pas pourquoi on ne se comprend pas. Conséquence, tout le monde est fâché. Mais le pouvoir a intérêt à sortir de ce jeu dangereux en vue de permettre un dénouement heureux de ce dossier. L’impunité est incompatible avec la volonté d’entretenir la paix sociale. C’est l’impunité, donc l’injustice, qui a divisé la Côte d’Ivoire. Guillaume Soro l’a dit, et cela doit nous donner à réfléchir.

Evitons des frustrations préjudiciables à la nation entière. L’exemple des Forces nouvelles en Côte d’Ivoire est la plus mauvaise des solutions aux frustrations. Un tel exemple ne doit inspirer personne au Burkina Faso, car la guerre est un grand ennemi des peuples. Avec la guerre, il n’y a ni gagnant ni perdant mais des victimes. Et nul ne peut prévoir qui pourrait en être victime et quand.

Les Burkinabè doivent donc s’armer toujours de courage afin d’amener le pouvoir de Blaise Compaoré et la justice à faire la lumière sur les dossiers pendants en justice par des voies légales et laisser la presse tranquille. Le pouvoir appartient au peuple et seule la colère du peuple doit compter à travers les mécanismes d’expression dont il s’est lui même doté.

Jonas Hien

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Vos commentaires

  • Le 16 janvier 2007 à 14:31, par Malaika En réponse à : > Affaire Norbert Zongo : "Tout le monde est fâché"

    Bravo pour la lucidite de vos propos. Tres bonne reflexion !

  • Le 19 janvier 2007 à 18:26, par Serge Gaëtan depuis la Belgique En réponse à : > Affaire Norbert Zongo : "Tout le monde est fâché"

    Bravo M. Hien

    je loue, la cohérence de tes idées et le style humouristique avec lequel tu a decortiqué cette ténébreuse "affaire Norbert Zongo".

    Tu as raison, il faut que la justice soit dite et faite, enfin que les rancoeurs et les rancunes puissent s’estompés. On ne construit pas un pays dans l’injustice, l’impunité, et j’ajouterai l’insouciance. S’il est vrai que pour des intérêts personnels, le pouvoir tout comme l’institution judiciaire de notre pays se cramponnent à voiler, voire effacer un crime aussi odieux que celui de sapouy, c’est se mettre soit même le doigt dans l’oeil.

    Tous ceux qui de près ou de loin qui ont été des membres actifs ou passifs de cet assassinant repondront tôt ou tard. Norbert Zongo lui même disait en substance dans Rougbeinga "le mal est comme une urine, on s’efforce de le rejeter au loin mais elle finit à nos pieds". Il n’a pas si tort que ça quand on voit la justice internationale faire et defaire certaines lois (vous constaterez comme moi, que certaines lois telles que l’expatriation des personnes jugées de génocides, ou de crime contre l’humanité, ou de trotures de guerres ne s’appliquent pas intégralement aux citoyens américains) pour rattrapper des ex-dictateurs, des personnalités jadis intouchables pour regler leurs comptes (Pinochet, Charles Taylor, le defunt sloloban milosévic....).

    Tôt ou tard la vérité renaîtra. On ne tord jamais le cou à l’histoire, elle rejaillera de plus belle et avec fracas. A bon entendeur salut

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