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Amath Dansokho : Si Wade veut passer en force, il nous trouvera sur son chemin"

Publié le jeudi 11 janvier 2007 à 07h37min

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Amath Dansokho

C’est dans son duplex situé à la Résidence Remofront, à la limite du quartier Mernoz, qu’Amath Dansokho nous a reçu le 28 décembre 2006 vers 8 h 30. Président du Parti pour l’indépendance et du travail (PIT), il a, au cours de cette interview exclusive, abordé sa vie estudiantine, la politique telle qu’il la conçoit, le "cas" Abdoulaye Wade, la "mafia" sénégalaise qui dépèce le pays, sa sympathie pour Idy.

Journaliste dans les années 60 (formé à Prague), celui qui se qualifie "d’éléphant sans défenses" estime que pour les élections de février, le président-candidat va tenter un coup de force pour passer et que derechef le Sénégal sera ingouvernable, car la rue va se soulever...

Amath Dansokho, vous avez été journaliste. De ce métier à la politique, il n’y a qu’un pas que vous n’avez pas hésité à franchir. Pourquoi ?

• En effet, j’ai commencé le journalisme très tôt. En fait, j’étais chargé de presse de l’Union générale des étudiants d’Afrique occidentale. J’ai été élu vice-président lors de l’AG de cette union, chargé de la presse. C’était en novembre 1958. A ce titre, j’assurais le rôle de directeur de publication de "Dakar étudiant".

Un seul numéro de ce journal a d’ailleurs été édité à Dakar, parce que le président Senghor a immédiatement ordonné à l’imprimerie qui a imprimé ce premier numéro de ne plus le faire. J’étais donc obligé de partir tous les mois à Conakry, en Guinée, pour imprimer ce journal, le mettre dans les valises pour l’amener à Dakar.

Cet épisode a beaucoup affecté mes conditions d’études. Ensuite, j’ai dirigé l’organe clandestin du parti où j’ai connu un grand nom du journalisme sénégalais, Mam Less Dia, qui a dirigé le Politicien. Enfin, mon séjour à Prague, pendant 13 ans et où j’étais communiste, a fait le reste.

Pourquoi le PIT, votre parti, a-t-il choisi d’aller à ces élections de février sous la bannière de la Coalition populaire pour l’alternative (CPA) ?

• La conception de la politique au PIT est très claire : nous sommes là pour résoudre les problèmes des Sénégalais. Nous voulons dès maintenant agir de manière efficace pour changer les choses dans le bon sens. Je crois que nous y avons réussi parce que la vie politique a été ordonnée, cette position est centrale chez nous. Les solutions aux problèmes sénégalais sont prioritaires au PIT, la question du pouvoir est secondaire, on ne l’a pas encore posée.

Le jour où nous la poserons, on m’entendra sur le sujet. Car, en termes de popularité et de notoriété, il n’y a personne, pas même le président Abdoulaye Wade, qui me dame le pion. Vous pouvez le vérifier. Je n’ai jamais touché de sous. J’ai été deux fois dans des gouvernements de coalition, et j’en suis sorti la tête haute.

Croyez-vous toujours au communisme, même après la chute du mur de Berlin, la fin de la guerre froide ... ?

• La vie a tranché un certain nombre de questions. Le communisme historique est celui qu’on a connu depuis 1917. Il a beaucoup déçu, car il s’est transformé en dictature, sous des rapports sanglants.

Il a contribué à la libération des peuples, mais cela a tourné court, car la démocratie, qui est au cœur de la pensée de Marx, a été dévoyée ; or elle est encore plus actuelle de nos jours, quand on voit ce que les multinationales et la mondialisation font à des peuples entiers. Et pour ce combat-là, le communisme est d’actualité.

Et sous diverses formes, il revient, même dans les religions qui, très souvent, sont perçues comme des adversaires du communisme. J’ai entendu, lors de l’homélie de cette fête de Noèl 2006, des paroles dénonçant le système en place ici (Nldr : lors de la messe de minuit, Mgr Adrien Théodore Sarr, archevêque de Dakar, est revenu sur le sens 1er de la politique (gestion de la cité) et a invité les politiciens à se préoccuper des problèmes des citoyens).

Le mouvement pour la libération humaine est toujours donc en cours et des forces nouvelles pointent encore. De ce point de vue, je demeure toujours rouge, car je suis pour le respect des droits de l’homme. Je n’ai jamais participé à une action liberticide.

J’étais présent à l’invasion de Prague, et je fus le seul parmi 45 délégués à prendre ma plume pour dénoncer l’invasion soviétique et à envoyer une lettre de solidarité aux dirigeants de pays socialistes à visage humain.

Tantôt vous descendez le président Abdoulaye Wade en flammes, tantôt vous versez des larmes pour lui. A quoi est dû ce comportement ambivalent ?

• Cela relève de ma personnalité, qui est comme cela. J’ai eu le plus long commerce politique avec Wade, parmi tous les autres hommes politiques. Dès 1977, dès que je suis revenu d’exil, j’ai travaillé à rassembler les forces pour mettre fin au système du parti-Etat.

Sous le rapport idéologique, je n’avais rien à voir avec Wade, puisque je savais qu’il était libéral ; mais la question nœudale chez nous étant de résoudre les problèmes du Sénégal, j’ai fait fi de cela et nous avons noué une alliance avec Wade.

Mais à ce jour, il n’y a pas, je le crois (y compris parmi les dirigeants du PDS, et Dieu seul sait qu’il y en avait de très grands qui sont malheureusement décédés), un seul avec lequel il a conversé des choses très graves. Et cela laisse des traces. Encore que Wade soit mon adversaire sous tous les rapports, à l’heure actuelle surtout.

Cependant, il a des talents qu’il ne faut pas lui contester, et quand je pense à cela, je verse des larmes. Qu’un grand talent comme lui échoue de cette manière désastreuse, et surtout à la lumière de ce que nous avons projeté de faire ensemble me fait pleurer.

D’où le qualificatif de "chauffard de transport public sans frein" que vous lui collez à la peau.

• Cette expression, je l’ai lancée au cours des législatives d’avril 2001. Je faisais campagne au fond du Sénégal et j’ai dit que la Constitution que le Sénégal s’était octroyée le PIT ne s’y reconnaissait pas parce que ce n’était pas cette Constitution qu’on avait arrêtée de commun accord. Cela m’a valu d’être éjecté du gouvernement.

N’empêche, on avait promis au pays une Constitution qui réduisait les pouvoirs du président, qui procèderait à un équilibrage en faveur du Premier ministre et qui, surtout, tendrait vers un régime parlementaire. C’était cela le programme de la CA 2000 que lui-même Wade a contresigné, puisque c’est lui qui en a fait la préface. Je ne parle pas de son programme dans lequel il y avait des choses qui faisaient rire tous les Sénégalais.

Par exemple, il nous parlait de voiture qu’on allait créer qui ne tombe jamais en panne, qui est modulable et transformable en camion, en tracteur...

J’ai dit alors, qu’en plus de cette Constitution, si on ajoute à Wade toutes les autres forces politiques à l’exception de Jeff-Jel et du PIT, le Sénégal sera comme un car rapide sans frein, avec la pédale au plancher. Aujourd’hui, nous y sommes, il y a une clameur nationale contre sa désastreuse politique.

Estimez-vous que l’opposition, formée de coalitions, sera majoritaire à l’AN à l’issue de ces législatives de février prochain ?

• Elle le sera. Malheureusement, et cela est appliqué dès la préparation de ces élections ; tout est mis en œuvre pour que rien ne se fasse selon les règles, c’est-à-dire selon le code électoral et la Constitution. Wade a violé tout le processus électoral, et il n’y a pas de doute ; il croit s’en sortir par un coup de force électoral.

Je lui ai dit au mois d’octobre 2005 quand il a reçu toute l’opposition : "Attention ! Soit, monsieur le président, vous faites les élections de façon normale et nous avons tous la paix, soit vous tentez un coup de force et là, soyez sûr que vous ne gouvernerez pas le Sénégal". Face à face, j’ai dit cela à Wade.

Et je vous assure que c’est ce qui se prépare. On est à quelques semaines des élections, et on ne sait pas où on en est. Beaucoup sont ceux qui pensent que ces élections n’auront pas lieu. Et Wade ne fait rien pour qu’on sente qu’on va vers des élections régulières. Il prépare un coup de force. Il a accumulé des ressources énormes pour cela. Il a distribué des véhicules 4x4 pour l’ensemble de ses structures de base. Le résultat est que le PDS a explosé : Wade est actuellement cloîtré dans son bureau et ne sait que faire.

Il sait que les listes qu’il a confectionnées sont celles de la défaite du PDS. Je ne vois pas comment il va sauver la mise, ce n’est pas par des inaugurations factices d’infrastructures qu’il va sauver la situation.

Les scandales sont quotidiens : par exemple, les 7 milliards que Wade a dissipés dans la nature, et cela avec le concours de complices qui sont manifestement de la mafia ; regardez également cette histoire des Industries chimiques du Sénégal (ICS) qui s’apparente aussi à une opération mafieuse orchestrée à partir de la présidence. Wade a monté des contrats avec des individus qui devaient faire disparaître ces ICS (qui produisent du phosphate, des engrais), en quelques semaines. C’est la mafia qui gouverne le Sénégal !

Les Sénégalais en ont marre. Wade a tout déglingué. L’agriculture, par exemple, est à terre. Au Burkina, vous avez une agriculture florissante, or les variations climatiques entre le Sénégal et le Burkina ne sont pas si énormes pour justifier le fossé béant qui existe en matière agricole entre le Burkina et le Sénégal.

Ici, tout est fait pour accaparer les ressources du monde agricole, au profit d’une minorité agglutinée autour de Wade. Je dis d’autre part, qu’il a introduit des choses pernicieuses dans la société sénégalaise. Il prépare la guerre contre le Sénégal, contre son peuple.

Est-ce que le 26 février, il aura les moyens de faire cela, ou d’ici là va-t-il prendre conscience et reculer ? Il a introduit, dans la police et la gendarmerie, dans les segments chargés de la répression des groupes connus de son parti, des casques bleus, sa milice personnelle, une milice politique.

Une milice politique au Sénégal ?

• Wade a toujours eu sa milice. Maintenant qu’il est à la tête de l’Etat, cette milice a été promue, légalement. D’abord, ces éléments ont été introduits illégalement dans la police et la gendarmerie, c’est-à-dire contre l’avis même des chefs de ces corps. Ensuite, Wade a fait le reste.

De toute façon, pour entrer dans la police, il faut passer par l’école de police, même chose pour la gendarmerie. Il y a, par exemple encore, dans la gendarmerie, un des neveux de Wade, qui est officier déjà, mais qui n’a jamais fait l’armée. Wade croit qu’avec tout cela il va s’en sortir. Seule une élection normale peut le sauver. Wade veut faire un coup, il nous trouvera dans la rue.

Comment voyez-vous l’issue du duel Wade/Seck qui se dessine ?

• Pour le moment, ce duel transcende la compétition électorale du 25 février 2007. Cet affrontement se fera d’abord entre Wade et les alliances qui se sont formées. Ce que je peux dire est qu’entre ces deux, c’est bonnet blanc et blanc bonnet, si je m’en tiens à ce qu’a dit Idrissa Seck de sa propre bouche : "Ce qui m’oppose à Wade, c’est une affaire de bandits... les bandits sont toujours des amis quand ils font leur forfait, quand ils volent ; c’est au partage qu’il y a des problèmes".

C’est Seck qui l’a dit lors de sa toute première conférence de presse après son éjection de la primature. Il a ajouté en substance qu’il est immensément riche et qu’il va faire un tour, question d’aller s’entretenir avec les gestionnaires de son portefeuille. Il a dit l’autre jour à Dakar, devant tout le peuple sénégalais, "qu’il a pris l’argent des fonds politiques", des fonds extensibles à volonté.

Abdoulaye Wade, lui, ne s’en tient pas à ce que la loi lui confère de ce point de vue. Il s’est arrangé pour que quand il a besoin d’argent, on puise directement des milliards du Trésor public pour les lui donner, souvent au détriment de projets ficelés et adoptés par le Parlement.

J’ai défendu les droits civiques de Seck, car justement, mon engagement communiste m’interdit, même une seule seconde, une injustice. Ainsi, dans le cas des chantiers de Thiès, je ne vois pas comment il pouvait être arrêté alors qu’il n’est pas ordonnateur de finances publiques, qu’il n’est pas non plus gestionnaire de projet, qu’il n’est pas aussi ministre compétent de l’Administration des crédits de projets.

Dans le cas d’espèce, on n’a pas touché au ministre des Finances, ni à celui de la Construction et on touche à Seck. Or, Abdoulaye Wade a dit publiquement que c’est lui qui donnait l’argent à Seck.

"Seck est venu une fois, je lui ai donné 25 milliards, ensuite il est revenu, et je lui en ai encore donné...", a lâché le président un jour. C’est comme l’informel : Wade a introduit dans les finances publiques "l’informelisation". Je suis l’un des rares hommes politiques à être allé voir Idrissa Seck en prison.

Cependant, je ne peux, parce que je lutte pour la bonne gouvernance (du reste, j’étais le premier en Afrique noire à employer l’expression de mal gouvernance, et pour cela, Abdou Diouf m’avait mis à la porte de son gouvernement), souscrire, de quelque façon que ce soit, à des détournements de fonds.

Pour le moment, on verra en ce qui concerne ce duel. J’ai beaucoup d’affection pour Seck, on a d’excellents rapports, mais il y a une ligne rouge que je ne franchirai jamais : je ne couvrirai jamais un détournement au détriment des populations. Car, vous savez, beaucoup de familles à Dakar ne mangent qu’un seul repas par jour et quel repas ! Et dans les campagnes, c’est pire. Alors, si quelques individus s’amusent avec des milliards volés...

Vous adorez les chemises Pathé’O. Y a-t-il une explication à votre préférence pour cette marque vestimentaire ?

• C’est tout un symbole. Le socle du Burkina est celui de la liberté. L’empire mossi n’a jamais été vaincu, cela me fascine. Personne ne l’a terrassé. C’était une démocratie militaire, comme les historiens l’appellent, qui a résisté à toutes les attaques. Je crois que ce socle mossi est le soubassement de tout ce qui est venu après.

Avez-vous des amis politiques au Burkina ?

• J’ai beaucoup d’amis là-bas, notamment au PAI : Adama Touré que j’ai connu il y a longtemps. Il était tout le temps avec un journaliste sénégalais, et ils sont venus un jour me voir dans ma chambre à l’université de Dakar.

C’était pour me dire qu’ils adhéraient désormais au PAI ; feu Amirou Thiombiano et le polytechnicien Philippe Ouédraogo qui est actuellement l’ami intime d’un des membres de mon bureau politique, à savoir le Pr Madier Thiam ; il y avait feu Joseph Ki-Zerbo qui était à l’IFAN avec moi et on se voyait quand il allait à Conakry.

Avec Blaise Compaoré, le chef de l’Etat burkinabè, nous avons d’excellents rapports. D’ailleurs, je considère que Blaise est l’un des chefs d’Etat les plus productifs, malgré tout ce qui s’est passé. Il a su rassembler une jeunesse très inventive et je crois que même si sur le plan économique, tout n’est pas rose, il ne faut pas exagérer. Il fait exception en Afrique de l’Ouest. Compaoré a une vision très claire de ce qu’il doit faire.

Je rends hommage encore au Pr Joseph Ki-Zerbo, je me rappelle qu’on s’est vu à Moscou en 1975, lors d’un colloque. Il m’a raconté ses déboires à l’aéroport de Lagos, lors d’un transit, car à l’époque, dans cet aéroport, vous pouviez perdre vos bagages et même la vie.

On en a beaucoup ri. La dernière fois que je l’ai vu, cela fait 3 ans, il était à Dakar pour la présentation de ses œuvres. D’ailleurs, son fils était à l’université à Dakar, et mon épouse y était aussi.

Pour en revenir au Burkina, j’aime ce pays, j’y vais de temps en temps, comme lors d’un FESPACO. Le peuple burkinabè est organisé, discipliné, travailleur et c’est la combinaison de tous ces facteurs qui fait qu’il s’y passe de bonnes choses. Encore une fois, j’ai préféré évoqué ce qui marche, sinon, c’est sûr, il y a des problèmes, mais dans l’ensemble, le Burkina avance.

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana
Ouaga-Dakar/Conakry-Ouaga

L’Observateur Paalga

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